Crimes internationaux et statut pénal du chef de l’Etat français par Martin GAL
Crimes internationaux et statut pénal du chef de l’Etat français par Martin GALLIE Doctorant à l’Université de Paris Sud XI En janvier 1999, le Conseil constitutionnel a relevé un certain nombre de motifs de contrariété entre le Traité de Rome et la Constitution1. Par conséquent, pour assurer la compatibilité de la Constitution française avec l’ensemble des dispositions du Statut, le pouvoir exécutif a choisi d’intégrer un article 53-2 dans la Constitution, qui stipule, de manière très générale : « La République française peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 »2. En ce qui a trait à la responsabilité pénale du chef de l’Etat, il est donc désormais admis que celui-ci pourra être remis à la Cour pénale internationale (CPI) et qu’une fois devant la Cour il ne pourra invoquer aucune sorte d’immunité. En revanche, les implications de la révision constitutionnelle sur la responsabilité pénale du chef de l’Etat devant, cette fois- ci, les juridictions nationales sont pour le moins obscures. En effet, selon le principe de complémentarité, énoncé dans le préambule et à l’article premier du Statut de Rome, la Cour pénale internationale n’a qu’une compétence secondaire à l’égard des juridictions nationales, c’est-à-dire qu’elle ne peut exercer sa compétence qu’après avoir constaté l’absence de volonté ou l’incapacité d’un Etat à mener les poursuites. Donc, à moins de vider de son sens ce principe, les Etats parties au Statut de Rome ont non seulement l’obligation de s’assurer que le chef d’Etat pourra être remis à la Cour pénale internationale, ce qui semble être réglé, mais également de garantir que celui-ci pourra être traduit devant une juridiction nationale pour les crimes internationaux relevant de la compétence de la CPI3. Or, sur cette question, la 1 CC n° 99-408 DC du 22 janvier 1999, JO du 24 janvier 1999, p. 1317. 2 Loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999. La décision du Conseil et la loi constitutionnelle ont fait l’objet de très nombreuses analyses. Une grande partie des références doctrinales sont répertoriées sur le site du Conseil constitutionnel (http://www.conseil-constitutionnel.fr/doctrine/98408dc.htm, dernière visite le 12 février 2005). Pour cette étude on renverra notamment à Mickaël BENILLOUCHE, « Droit français », in : A. CASSESE et Mireille DELMAS-MARTY, Juridictions internationales et crimes internationaux, PUF, 2002, pp. 159-193 ; Michel COSNARD, « Les immunités du chef d’Etat », SFDI, colloque de Clermon-Ferrand, Le Chef d’Etat et le droit international, Pedone, 2002, pp. 202-203 ; Regis de GOUTTES, « Conclusions sur l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 10 octobre 2001 », Revue française de droit constitutionnel, 49, 200 ; Jocelyn CLERCKX, « Le Statut de la Cour pénale internationale et le droit constitutionnel français », Revue trimestrielle des droits de l’Homme, 2000, pp.641-681; Benoît TABAKA, « Ratification du Statut de la Cour pénale internationale : la révision constitutionnelle française et rapide tour du monde des problèmes posés », http://www.jurisweb.citeweb.net/articles/17051999.htm. 3 Pour le moment la compétence de la Cour internationale porte sur les crimes internationaux suivants : les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes de génocide. 1 révision constitutionnelle laisse en suspend au moins deux points importants. Premièrement, elle ne clarifie pas la question de savoir quelle est désormais la juridiction compétente pour poursuivre le Président de la République française pour les crimes visés dans le Statut de Rome. Et, deuxièmement, elle ne règle pas non plus la question de savoir si la ratification du Statut de Rome est compatible avec le maintien d’immunités devant les juridictions nationales alors que l’article 27 du Statut prévoit, explicitement, le défaut de pertinence de la qualité officielle. Le statut du chef d’Etat devant les juridictions nationales, pour les crimes relevant de la compétence de la Cour4, est ainsi pour le moins confus. Cette question reste cependant fortement d’actualité étant donné d’une part, que l’actuel Président de la République s’est engagé en 2002 à modifier le régime de responsabilité pénale des chefs d’Etat français5 et, d’autre part, qu’une loi d’adaptation du Statut de Rome, qui doit notamment clarifier la portée de l’article 27, est en cours d’élaboration6. On est certes depuis longtemps sans nouvelles de ces deux textes mais les récentes propositions de lois du sénateur et professeur de droit Patrice Gélard visant à donner aux anciens Présidents de la République le statut matériel d’un parlementaire, rappellent que le sujet continue de préoccuper les principales autorités françaises7. Dans ce contexte, et afin de tenter de clarifier le statut pénal du chef d’Etat français en exercice pour les crimes relevant de la compétence de la Cour, on reviendra brièvement dans un premier temps sur la décision du Conseil constitutionnel de janvier 1999 ainsi que sur la révision constitutionnelle qui l’a suivie en juillet de la même année (I). Dans un deuxième 4 La Cour de cassation a certes précisé le 10 octobre 2001 qu’à l’exception du crime de « haute trahison » qui peut faire l’objet de poursuites devant la Haute Cour de justice, « les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel ». Toutefois, l’arrêt de la Cour de cassation ne portait que sur les actes détachables des fonctions. C. Cass. plénière, 10 octobre 2001, Breisacher : Bull. n° 11. D. 2002.237, note DEBBASCH (nos italiques). 5 Cf. Rapport de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, Remis au Président de la République le 12 décembre 2002. 6 Le gouvernement travaille actuellement à l’élaboration d’un projet de loi portant adaptation de la loi Française afin de compléter la loi de coopération avec la CPI du 26 février 2002 Le document n’a toujours pas été adopté mais le projet de loi ne prévoyait pas de modifier le régime des immunités reconnues au chef d’État. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) qui a été saisie pour avis par le ministère de la Justice le 25 mars 2003 de cet avant-projet de loi constate ainsi l’absence « de dispositions relatives au défaut de pertinence de la qualité officielle en matière de mise en œuvre de la responsabilité pénale. Elle souhaite que l’article 27 du Statut de Rome fasse l’objet d’une incorporation en droit interne français » : Commission nationale consultative des droits de l’homme, Avis sur l’avant-projet de loi portant adaptation de la législation française au Statut de la Cour pénale internationale, adoptée le 15 mai 2003, disponible sur le site http://www.commission-droits-homme.fr . 7 En effet, en mars 2005, Patrice GELARD, a déposé deux nouvelles propositions de loi sur la question. Ces deux textes ne concernent toutefois que les anciens chefs d’Etat ; Antoine GUIRAL, « Les protections tenaces du futur ex-chef d’Etat », Libération, vendredi 11 mars 2005, p. 13. 2 temps, afin d’évaluer les répercussions de la révision constitutionnelle sur le statut pénal du chef de l’Etat, deux questions retiendront notre attention : premièrement, doit-on interpréter la révision constitutionnelle de 1999 comme introduisant une exception au statut pénal du chef de l'Etat français tel qu’il est actuellement prévu par l’article 68 de la Constitution ? Et, deuxièmement, le maintien des immunités des dirigeants en exercice devant les tribunaux internes est-elle compatible avec le principe de complémentarité et l’article 27 du Traité de Rome ? (II). I – Les motifs d’incompatibilité et la révision constitutionnelle On examinera dans un premier temps les motifs d’incompatibilité entre la Constitution française et le Traité de Rome (A) avant de présenter, dans un deuxième temps, la méthode choisie par le pouvoir exécutif afin de respecter ses engagements internationaux (B). A – La décision du Conseil constitutionnel de janvier 1999 : les motifs d’incompatibilité Le 24 décembre 1998, le Conseil constitutionnel a été saisi, par le Président de la République et le Premier Ministre, conformément à l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si, compte tenu des engagements souscrits par la France, l'autorisation de ratifier le traité portant Statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 devait être précédée d'une révision de la Constitution. Le 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a répondu par l’affirmative en constatant un certain nombre d’incompatibilités. En ce qui a trait à la responsabilité pénale du chef de l’Etat le Conseil a déclaré : « Considérant qu'il résulte de l'article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité ; qu'au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les modalités fixées par le même article (…) Considérant qu'il suit de là que l'article 27 du statut est contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution »8. La doctrine retient généralement de ce considérant deux motifs d’incompatibilité entre l’article 27 du Statut de Rome, uploads/S4/coll-2005-sceauxgal.pdf
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- Publié le Sep 24, 2022
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