PROCÉDURE PÉNALE L’inconventionnalité de la garde à vue : le quai de l’Horloge
PROCÉDURE PÉNALE L’inconventionnalité de la garde à vue : le quai de l’Horloge frappé par le « syndrome du lac » Garde à vue - Assistance d’un avocat - Notification du droit de se taire - Procès équitable - Violation Conv. EDH, art. 6, § 1 (oui) - Application dans le temps de la solution (report) Sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat. Les règles énoncées ne peuvent s’appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en œuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juri- dique et à la bonne administration de la justice. Ces règles prendront effet lors de l’entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011. Cass. crim, 19 oct. 2010, no 10-82306 : M. S. – FP - P+B+R+I – Annulation partielle sans renvoi CA Agen, 15 mars 2010 – M. Louvel, prés. ; M. Finidori, rapp. ; M. Robert, av. gén. – Me Bouthors, av. – Cass. crim, 19 oct. 2010, no 10-82902 : M. T. – FP – P+B+R+I – Rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 1er avr. 2010 – M. Louvel, prés. ; M. Straehli, rapp. ; M. Raysséguier, prem. av. gén. – Me Spinosi, av. – Cass. crim, 19 oct. 2010, no 10-85051 : M. B. – FP – P+B+R+I – Annulation partielle sans renvoi CA Poitiers, 15 juin. 2010 – M. Louvel, prés. ; M. Straehli, rapp. ; M. Boccon-Gibod, av. gén. I3465 « Ô temps ! suspends ton vol ... » Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, « Le lac », 1820 Par Olivier BACHELET Collaborateur de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocats aux conseils Membre du CREDHO-Paris Sud 7 octobre 2010 : le parquet général près la Cour de cassation conclut à la non- conformité au droit à un procès équitable des régimes de garde à vue. 14 octobre 2010 : la Cour européenne des droits de l’homme constate, pour la première fois, une violation de ce même droit à l’encontre de la France pour ce qui concerne le régime de sa garde à vue (1). Ces signes avant-coureurs laissaient présager un épilo- gue heureux pour les droits de la défense, à la hauteur de la loi Constans du 8 décembre 1897 ayant ouvert aux avocats le cabinet du juge d’instruc- tion. Pourtant, comme la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 (2), les trois arrêts rendus par la formation plénière de la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 19 octobre 2010 (3), laissent subsister un désagréable sen- timent d’inachevé. Il est vrai que la haute juridiction s’aligne sur la jurisprudence de la Cour européenne (4) en affirmant, sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne, que la personne gardée à vue doit, d’une part, être informée de son droit de garder le silence et, d’autre part, « sauf renonciation non équivoque » (5), bénéficier de l’assistance d’un avocat « dans des conditions lui permettant d’organiser sa défense et de préparer avec lui ses interrogatoires, aux- quels l’avocat doit pouvoir participer » (6). Elle va même plus (1) CEDH, 14 oct. 2010, no 1466/07, Brusco c/ France : Gaz. Pal. 19 oct. 2010, p. 18, I3369. (2) Cons. const., 30 juill. 2010, no 2010-14/22 QPC, Daniel W et a. : Gaz. Pal. 5 août 2010, p. 14, I2572, note O. Bachelet ; D. 2010, p. 1928, entretien avec C. Charrière-Bournazel ; JCP G 2010, p. 1714 et s., note F. Fournié ; Les Annonces de la Seine, no 46, 16 sept. 2010, p. 9 et s., note G. Latour. (3) Cass. crim., 19 oct. 2010, nos 10-82306, 10-82902 et 10-85051. (4) V., les nombreux arrêts de la Cour de Strasbourg ayant déclaré contraires à l’article 6 de la Convention les régimes de garde à vue ne permettant pas au suspect d’être assisté par un avocat lors des interrogatoires et d’être informé de son droit au silence, notamment : CEDH, gde ch., 27 nov. 2008, no 36391/02, Salduz c/ Turquie – CEDH, 24 sept. 2009, no 7025/04, Pishchalnikov c/ Russie – CEDH, 13 oct. 2009, no 7377/03, Dayanan c/ Turquie : Gaz. Pal. 2 déc. 2009, p. 19, note H. Matsopoulou ; JDI 2009, p. 967, obs. O. Bachelet – CEDH, 19 nov. 2009, no 17551/02 , Oleg Kolesnic c/ Ukraine – CEDH, 2 mars 2010, no 54729/00, Adamkiewicz c/ Pologne – CEDH, 29 juin 2010, no 12976/05, Karadag c/ Turquie. (5) Cette référence renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne selon laquelle toute renonciation aux droits de la défense est conditionnée au consentement libre et éclairé du suspect (v., par ex. : CEDH, 27 févr. 1980, no 6903/75, Deweer c/ Belgique). De la sorte, la Cour de cassation semble implicitement souligner l’une des insuffisances du projet de loi relatif à la garde à vue, adopté en Conseil des ministres le 13 octobre 2010, dans ses dispositions concernant l’« audition libre » (v. O. Bachelet, « La réforme de la garde à vue ou l’art du faux semblant », Gaz. Pal. 14 sept. 2010, p. 5, I2931). (6) Notons que la Cour de cassation, qui n’était pas saisie de cette question, ne se prononce pas sur la conventionnalité du contrôle des gardes à vue policières confié au procureur de la République. Il n’en demeure pas moins que, comme nous l’avons déjà souligné (O. Bachelet, « La garde à vue, entre inconstitutionnalité virtuelle et inconventionnalité réelle », Gaz. Pal. 5 août 2010, p. 14, I2572), l’attribution d’une telle fonction au parquet heurte frontalement les exigences conventionnelles, notamment énoncées dans le Jurisprudence E ´DITION PROFESSIONNELLE SÉLECTION DE JURISPRUDENCE G A Z E T T E D U P A L A I S - D I M A N C H E 2 4 A U M A R D I 2 6 O C T O B R E 2 0 1 0 15 loin que le Conseil constitutionnel, celui-ci ayant refusé de se prononcer en la matière (7), puisqu’elle considère que de telles exigences doivent également être appliquées aux gar- des à vue dérogatoires, « sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non à la seule nature du crime ou délit repro- ché » (8). Néanmoins, dans ses arrêts du 19 octobre 2010, la Cour de cassation conclut en exacte opposition avec les principes qu’elle énonce. Elle annule, en effet, deux arrêts de cham- bres de l’instruction ayant fait une pleine application des droits conventionnellement reconnus au gardé à vue (9) et rejette un pourvoi fondé sur la méconnaissance de ces droits (10). Pour ce faire, les juges du quai de l’Horloge affir- ment que les « règles » énoncées par ces trois arrêts « ne peuvent s’appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en œuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice ». Par consé- quent, « ces règles prendront effet lors de l’entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil cons- titutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011 ». Une telle solution, qui consiste à reconnaître l’existence de droits fondamentaux et à en refuser l’application, contraste singulièrement avec la jurisprudence de la Cour de Stras- bourg selon laquelle la Convention européenne ne garantit pas des droits abstraits et théoriques, mais des droits effec- tifs et concrets (11). À cet égard, les louvoiements de la Cour de cassation (I) ne parviennent pas à en masquer l’inconséquence (II). ‘‘ La Cour de cassation conclut en exacte opposition avec les principes qu’elle énonce” I. LES LOUVOIEMENTS DE LA COUR DE CASSATION Tout en s’efforçant de justifier le report dans le temps des effets de sa jurisprudence, la chambre criminelle de la Cour de cassation rend une solution inappropriée (A) dont elle dissimule mal la pusillanimité (B). A. Une solution inappropriée Dans ses trois arrêts du 19 octobre 2010, la chambre cri- minelle de la Cour de cassation refuse de faire une appli- cation immédiate des droits qu’elle reconnaît au gardé à vue sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne afin de préserver la « bonne administration de la justice » et le « principe de sécurité juridique ». Pourtant, la Cour de cas- sation délivre une solution manifestement inappropriée à la satisfaction de ces objectifs. S’agissant, en premier lieu, de la « bonne administration uploads/S4/commentaire-crim-19-oct-2010.pdf
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- Publié le Jul 29, 2021
- Catégorie Law / Droit
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