Morasse c. Nadeau-Dubois 2012 QCCS 5438 COUR SUPÉRIEURE CANADA PROVINCE DE QUÉB
Morasse c. Nadeau-Dubois 2012 QCCS 5438 COUR SUPÉRIEURE CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE QUÉBEC N° : 200-17-016412-124 DATE : 1er novembre 2012 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE DENIS JACQUES, j.c.s. ______________________________________________________________________ JEAN-FRANÇOIS MORASSE Demandeur c. GABRIEL NADEAU-DUBOIS Défendeur ______________________________________________________________________ JUGEMENT (sur requête en outrage au Tribunal) ______________________________________________________________________ [1] La requête du demandeur, tel que nous le verrons ci-après, s’inscrit dans le contexte du conflit étudiant qui a eu cours au Québec au printemps 2012. [2] Le 17 mai 2012, monsieur Gabriel Nadeau-Dubois est cité à comparaître pour entendre la preuve des faits qui lui sont reprochés, soit d’avoir incité à passer outre à une ordonnance de la Cour, et faire valoir les moyens de défense qu’il peut avoir pour éviter une condamnation pour outrage au Tribunal, le tout à la suite de la requête déposée par le demandeur, monsieur Jean-François Morasse. [3] Le 29 mai 2012, lors de sa comparution, monsieur Nadeau-Dubois plaide non coupable à l’accusation d’outrage au Tribunal. JJ0379 200-17-016412-124 PAGE : 2 [4] L’audience sur le verdict, relativement à l’accusation portée contre lui, s’est tenue les 27 et 28 septembre 2012, au Palais de justice de Québec. Le contexte [5] Le demandeur, monsieur Jean-François Morasse, est un étudiant inscrit à l’Université Laval au programme d’arts plastiques pour l’année scolaire 2011-2012. [6] L’Association des étudiants en arts plastiques de l’Université Laval « ASÉTAP » est un organisme officiellement reconnu comme représentant des étudiants(es) en arts plastiques de l’École des arts visuels. [7] La Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) regroupe des membres de plusieurs associations étudiantes de niveaux collégial et universitaire du Québec. [8] Les 28 et 29 avril 2012, lors d’un congrès de la CLASSE tenu à l’Université Laval, l’ASÉTAP devient membre de cette coalition1. [9] La CLASSE s’oppose notamment à toute hausse des frais de scolarité, préconise la gratuité scolaire et constitue un des acteurs principaux du conflit étudiant. [10] En tout temps pertinent au présent jugement, monsieur Gabriel Nadeau-Dubois est le principal porte-parole de la CLASSE. [11] Selon ce que rapporte l'honorable Jean Lemelin dans un jugement du 12 avril 2012, à compter du 29 février 2012, des lignes de piquetage étanches sont érigées devant les locaux où monsieur Morasse doit recevoir ses cours à l'Université Laval. [12] À la suite d'une requête demandant l'intervention de la Cour, le demandeur Morasse obtient une ordonnance en injonction interlocutoire provisoire lui permettant d’avoir libre accès aux salles de l’Université Laval où sont dispensés les cours menant au certificat en arts plastiques auxquels il est inscrit. [13] Dans son jugement en vigueur pour 10 jours, le juge Lemelin conclut que le demandeur Morasse a un droit clair à l’ordonnance recherchée et qu’il sera exposé à un préjudice sérieux s’il ne peut avoir accès à ses cours. Notons qu'à l'audience, l'ASÉTAP, bien que représentée, ne prend alors pas position. [14] Pour en venir à ses conclusions, le juge Lemelin retient que les étudiants qui boycottent les cours ne peuvent empêcher l’accès à ceux qui veulent y assister : 1 Voir le procès-verbal du congrès de la CLASSE, pièce P-3. 200-17-016412-124 PAGE : 3 [14] Le Tribunal ne discute pas le droit de certains étudiants de soutenir et de participer au boycottage des cours en refusant d’y assister, mais leur refus ne leur accorde pas le droit de brimer et même d’anéantir le droit des autres étudiants d’assister à leurs cours de manière à terminer leur session. [15] Il appartient aux étudiants qui boycottent les cours de supporter seuls les risques de cette action. Ils n’ont pas le droit d’imposer ou de faire supporter ce risque à ceux qui veulent assister à leurs cours. [15] L’ordonnance du juge Lemelin vise clairement à accorder au demandeur le libre accès à ses cours, à l’abri de toute obstruction, nuisance, intimidation ou action susceptible de l’empêcher ou d’affecter négativement l’accès aux salles de cours. [16] Le 26 avril 2012, les parties se présentent à nouveau devant la Cour. [17] Devant le juge Jean-François Émond, l’ASÉTAP conteste cette fois le renouvellement de l’ordonnance prononcée par le juge Lemelin. [18] L’ASÉTAP fait notamment valoir au Tribunal que monsieur Morasse est lié par le vote de grève des étudiants, membres de l’Association. [19] L’Association ajoute que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur, du fait qu’une ordonnance donnant libre accès au demandeur aux salles de cours brimerait le droit à la libre expression des étudiants qui boycottent les cours. [20] Par son jugement du 2 mai 2012, le juge Émond rejette comme étant mal fondés en droit les arguments soulevés par l’ASÉTAP et prononce l’ordonnance recherchée par le demandeur lui permettant d’obtenir le libre accès à ses cours. [21] À cet égard, le juge Émond motive le rejet de la position de l’ASÉTAP en ces termes, soulignant notamment que le droit de grève étudiant ne trouve assise dans aucune loi et que le boycottage exercé par certains ne peut empêcher les autres d’assister à leurs cours : [30] L’ASETAP confond le monopole de représentation, si monopole de représentation il y a, avec le monopole du travail, lequel découle des dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail qui interdisent à un employeur de retenir les services d’un salarié qui fait partie d’une unité de négociation en grève. [31] Contrairement au Code du travail, la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants ne contient aucune disposition permettant à une association de forcer un étudiant, contre son gré, à pratiquer le boycott de ses cours et de lui en faire supporter les effets. [32] Les références au Code du travail sont non seulement boiteuses et inappropriées, mais encore, elles confirment l’interprétation de ceux qui, comme 200-17-016412-124 PAGE : 4 le juge Lemelin, considèrent que les lois du Québec ne confèrent aucun véritable droit de grève aux étudiants. (Nos soulignements) [22] Reconnaissant les droits du demandeur Morasse et afin de permettre à ce dernier, en toute légitimité, d’avoir accès à ses cours, le juge Émond prononce une ordonnance de sauvegarde comportant les conclusions suivantes : […] [59] ORDONNE à l’Université Laval, l’Association des étudiants en arts plastiques ainsi qu’à toute personne informée de la présente ordonnance, de laisser libre accès aux salles de cours de l’Université Laval où sont dispensés les cours menant au certificat en arts plastiques, et ce, afin que ces cours puissent être donnés à l’horaire prévu à la session d’hiver 2012; [60] ORDONNE à tous les étudiants et autres personnes qui pratiquent présentement le boycottage des cours de s’abstenir d’obstruer ou de nuire à l’accès aux cours par intimidation ou de poser toute action susceptible d’empêcher ou d’affecter négativement l’accès à ces cours; [61] CONFIE à l’Université Laval le soin de signifier sans délai la présente ordonnance selon les modalités prévues au Code de procédure civile et d’en informer toute personne qu’elle jugera à propos de façon à ce qu’elle puisse, à titre de propriétaire et responsable des lieux, s’assurer de la bonne exécution de la présente ordonnance; [62] DÉCLARE que la présente ordonnance demeure en vigueur jusqu’au 14 septembre 2012; […] [23] Le jugement du juge Émond fut cité avec approbation à plusieurs reprises dans les jours suivants dans d'autres jugements en injonction prononcés par la Cour supérieure dans des circonstances semblables, dont celui rendu au Collège de Rosemont2, alors que l’objectif demeure toujours le même, soit de permettre le libre accès à des étudiants à leurs cours, malgré le vote de boycottage tenu par leur association étudiante3. 2 El Madi et Autres c. Collège de Rosemont, 500-17-071932-126, 11 mai 2012. 3 Voir aussi à cet égard, notamment les jugements prononcés par le juge en chef de la Cour supérieure, L’honorable François Rolland, entre le 3 mai et le 12 mai 2012 : Mahseredjian c. Collège Montmorency, 2012 QCCS 2276, Doyon c. Cégep de St-Hyacinthe, 2012 QCCS 2159; Carignan c. Collège Lionel- Groulx, 2012 QCCS 2158; L’Abbé c. Collège Ahuntsic, 2012 QCCS 2156; Labbé c. Collège d’enseignement général et professionnel Edouard-Montpetit, 2012 QCCS 2155; Beausoleil c. Cégep régional de Lanaudière à Terrebonne, 2012 QCCS 2022; Breton Supper c. Cégep Marie-Victorin, 2012 QCCS 2019. 200-17-016412-124 PAGE : 5 [24] Le 13 mai 2012, le défendeur Gabriel Nadeau-Dubois et son collègue, le président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), Léo Bureau-Blouin, profitent de l’occasion qui leur est offerte par le réseau public d’information télévisé RDI pour s'adresser à leurs membres et sympathisants, ainsi qu'à la population du Québec. [25] Le défendeur Gabriel Nadeau-Dubois s'y exprime comme suit : Ce qui est clair c’est que ces décisions-là, ces tentatives-là de forcer les retours en classe, ça ne fonctionne jamais parce que les étudiants et les étudiantes qui sont en grève depuis 13 semaines sont solidaires les uns les autres, respectent, de manière générale là, respectent la volonté démocratique qui s’est exprimée à travers le vote de grève et je crois qu’il est tout à fait légitime pour les étudiants et les étudiantes de prendre les moyens pour faire respecter le choix démocratique qui uploads/S4/jugement-de-la-cour-superieure.pdf
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- Publié le Sep 03, 2021
- Catégorie Law / Droit
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