CHAPITRE 1 - QU’EST-CE QU’UNE INSTITUTION ? Robert Lafore Presses de l’EHESP |
CHAPITRE 1 - QU’EST-CE QU’UNE INSTITUTION ? Robert Lafore Presses de l’EHESP | « Références Santé Social » 2019 | pages 7 à 53 ISBN 9782810908073 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/l-individu-contre-le-collectif---page-7.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de l’EHESP. © Presses de l’EHESP. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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En outre, celles-ci constituent l’objet d’une part importante des sciences humaines et sociales puisqu’elles s’efforcent de saisir les « collectifs » de toutes natures, qu’il s’agisse d’en comprendre l’évolution dans le temps ou dans l’espace ou de déceler les lois de leur établissement et de leur fonctionnement. Les juristes, oscillant entre leurs fonctions d’opérateurs sociaux et leur rôle dans la construc tion, la systématisation et la compréhension du droit, sont par nature des insti tutionnalistes puisque les matériaux qu’ils manipulent, normes ou organes, ne sont que des concrétions institutionnelles. De vastes domaines de la production intellectuelle prennent donc en compte l’institution, que cela soit explicité ou non, voulu ou inconscient : le « social », certes en première approximation constitué d’individus en chair et en os, n’est en réalité qu’une vaste composition institutionnelle où règles et organisations de toutes natures et à tous niveaux façonnent des collectifs plus ou moins articulés à un être-ensemble englobant qui les déterminent en même temps qu’il en dépend pour se constituer et perdurer. Dans cet ensemble inextricable et proprement immaîtrisable, que mettre en lumière pour avancer, même modestement, dans la direction d’une réponse à la question : qu’est-ce qu’une « institution » ? Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut se tourner vers un certain nombre de penseurs qui se sont efforcés d’en produire une analyse et par là de concourir à leur compréhension. Tout d’abord, un socle s’est constitué dans le champ de la philosophie et de la théorie du droit. La première a abordé dans la période moderne les problèmes posés par l’établissement de la collectivité, du « tout », dans le cadre du ratio nalisme et sur le fondement du sujet rationnel ; surgit alors inéluctablement la problématique institutionnelle puisqu’on doit charger les institutions d’accom moder, sous contrainte de rationalité, l’individu et le collectif. La seconde, dans un contexte d’hypertrophie de la volonté censée s’incarner dans les deux seules formes juridiques que l’on pense acceptables, la Loi et le contrat, va devoir penser à nouveaux frais le lien social et les interdépendances qui le constituent ; il faut alors trouver un chemin qui réconcilie les constructions juridiques et les nécessités sociales, et ce chemin sera celui du « droit social » qui restitue une place à la collectivité, aux collectifs et par là au pluralisme des constructions juridiques qui ne peuvent se ramener au face-à-face entre une volonté générale © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 10/11/2021 sur www.cairn.info par L1 Groupe 10 via IEP Madagascar (IP: 102.16.43.123) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 10/11/2021 sur www.cairn.info par L1 Groupe 10 via IEP Madagascar (IP: 102.16.43.123) L’individu contre le collectif. Qu’arrive t-il à nos institutions ? 8 et une volonté individuelle qui se réconcilieraient magiquement dans l’idée que l’une et l’autre procèdent du « sujet-citoyen » et du contrat. Ensuite, dans une quête qui ne pourra qu’être limitée à quelques auteurs ou courants, on s’efforcera de mettre en évidence ce que la sociologie a pu dire au sujet des institutions. La sociologie est tenue d’affronter la question de la « socia lisation », c’est-à-dire le problème du processus qui lie réciproquement l’individu et la société dont il est membre au travers des rapports complexes qui s’instaurent entre eux pour contribuer à la « subjectivation », c’est-à-dire à la constitution d’êtres en lesquels se réconcilie sans trop de tensions la dimension du « sujet » se pensant comme unique et les données et contraintes du « collectif » ; le « social » ou le « sociétal » ne tiennent que parce que les individus y sont pris à la fois dans un rapport instrumental en s’y conformant pour le faire advenir et le maintenir, ainsi que dans un rapport d’adhésion en lui donnant consistance et légitimité. Dans ce cadre, il faudra faire une place particulière à un courant de la sociologie ainsi que de la science politique que l’on nomme le « néo-institutionnalisme ». Venant d’Amérique du Nord et entendant se démarquer par rapport à la sociologie critique européenne, ce nouveau paradigme se propose ni plus ni moins que de recentrer l’analyse sur les institutions ou plutôt les processus d’institutionnalisation. 1.1. La fabrique des institutions : la philosophie et la théorie du droit L’ébranlement produit par les révolutions démocratiques peut se ramener, en ce qui concerne les institutions et si l’on suit les analyses de René Lourau1, à l’affrontement entre deux visions : une vision de l’institution fondée sur le « droit subjectif » et une approche que l’on peut qualifier de « traditionaliste », mettant en avant la prégnance du « droit objectif ». La première perspective, développée par Rousseau, entend rompre avec le primat de l’État s’appuyant sur la providence divine, pour fonder le « social » sur le peuple souverain, cela à partir du modèle « nominal » du contrat : pas sons sur le problème initial posé par l’idée du contrat qui suppose bien qu’il ait été institué lui aussi2, problème que Rousseau résout en considérant juste ment que le contrat n’est qu’une idée permettant de fonder le pouvoir collectif et non un fait ; l’important ici est que les institutions sont perçues essentielle ment à travers le droit subjectif, à savoir l’activité instituante fondatrice de sujets qui, par la convergence et l’association de leurs volontés, font advenir le collectif3. 1. Lourau R., L’Analyse institutionnelle, Les Éditions de Minuit, 1970, p. 27 et suiv. 2. Problème que Rousseau pose lui-même : « Avant donc d’examiner l’acte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon d’examiner l’acte par lequel un peuple est un peuple » : Rousseau J.-J., Du contrat social, Flammarion, 1969, p. 50 et p. 63 et suiv. ; Foessel M., L’Avenir de la liberté de Rousseau à Hegel, PUF, 2017. 3. Foessel M., ibid. © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 10/11/2021 sur www.cairn.info par L1 Groupe 10 via IEP Madagascar (IP: 102.16.43.123) © Presses de l?EHESP | Téléchargé le 10/11/2021 sur www.cairn.info par L1 Groupe 10 via IEP Madagascar (IP: 102.16.43.123) Qu’est-ce qu’une institution ? 9 Chapitre 1 La seconde, en réaction contre les Lumières en général et Rousseau en par ticulier, conteste le primat du contractuel pour revendiquer au contraire la pré existence de l’institutionnel, que celui-ci prenne le visage de la « tradition4 » ou d’idées qui, bien que catégories philosophiques, sont douées de « réalité » : car ces constructions, qui se veulent « réalistes », sont certes issues du traditio nalisme, mais elles annoncent aussi le positivisme et l’école du droit objectif. Toutes les institutions humaines étant fragiles et sujettes au changement, il faut bien les asseoir sur un noyau stable, extérieur au « social », ce que ne peut évidemment garantir le centrage sur les droits subjectifs et l’articulation des subjectivités qui, eux, font entrevoir des perspectives de désordre et de chaos. Face à ces deux visions, dont on ne manquera pas de souligner l’inépuisable actualité, deux types de positionnements théoriques tentent de produire non une voie moyenne, mais une forme de synthèse qui peut se révéler particulièrement utile pour penser aujourd’hui les institutions. Tout d’abord, la construction hégélienne de l’institution, et ensuite les travaux de Maurice Hauriou et des théoriciens du droit qui, bien que s’en démarquant, ont prolongé ses analyses. 1.1.1. Les trois moments de l’institution dans la philosophie du droit de Hegel En première approche, Hegel peut sembler être un champion de l’« objecti vité » et un pourfendeur de la « subjectivité ». Mais rien n’est plus réducteur que d’opposer ainsi son système philosophique aux constructions contractua listes qui pensent le « social » selon le mode de la libre uploads/S4/l-x27-individu-contre-le-collectif.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 07, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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