AUX SOURCES DU DROIT : L'AUTORITÉ ET LA RUSE Alain Papaux Université Saint-Loui
AUX SOURCES DU DROIT : L'AUTORITÉ ET LA RUSE Alain Papaux Université Saint-Louis - Bruxelles | « Revue interdisciplinaire d'études juridiques » 2013/1 Volume 70 | pages 207 à 223 ISSN 0770-2310 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-interdisciplinaire-d-etudes- juridiques-2013-1-page-207.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Université Saint-Louis - Bruxelles. © Université Saint-Louis - Bruxelles. Tous droits réservés pour tous pays. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 03/11/2020 sur www.cairn.info par Skander IBEN ALAYA via ISBA Sousse - CNUDST (IP: 196.234.125.202) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 03/11/2020 sur www.cairn.info par Skander IBEN ALAYA via ISBA Sousse - CNUDST (IP: 196.234.125.202) R.I.E.J., 2013.70 207 Aux sources du droit : L’autorité et la ruse Alain PAPAUX Professeur de philosophie du droit et de méthodologie juridique à la Faculté de droit et des sciences criminelles de l’Université de Lausanne En cette année 2013, l’Université Saint-Louis de Bruxelles a offert un nouveau monument à la doctrine juridique et à la philosophie du droit : « Les sources du droit revisitées »1. La richesse des propos est enivrante, nous convainquant de quelque sobriété ici, organisant notre étude autour des trois pôles de la théorie tridimensionnelle du droit, laquelle définit le phénomène juridique par l’équilibre réciproque, dialectique, des Légitimité, Effectivité et Légalité (validité formelle). Nous tenterons de pénétrer cet équilibre en élucidant, un peu, deux idées maîtresses du droit en tant que pratiqué c’est- à-dire du droit en contexte : l’autorité - auctoritas - et la ruse - mètis -, montrant en quoi elles sont consubstantielles au droit et reconfigurent la tridimensionnalité de la validité juridique. Le droit y apparaîtra métalangage, réalité épistémologique point dépourvue de dimension esthétique, comme si l’autorité et la ruse nous disaient la beauté du droit. Quant au mot source, le juriste en sait l’extrême polysémie, laquelle, sans être réduite, a donné lieu à une fort suggestive synthèse par Hachez dans cette revue2. Nous retiendrons, modestement, une seule « opposition »: les sources au sens technique, courant dans sources formelles versus sources matérielles versus sources informelles, sens technique en contraste avec un sens symbolique de « (quasiment) aux origines ». Cette dernière acception confine au mythologique, en rejetant toutefois la compréhension péjorative due à un rationalisme étriqué, lui préférant de beaucoup la puissance heuristique du mythe, si bien explicitée par Mattei : « Au commencement est le mythe qui déplie le mystère de la 1 Près de 3.000 pages, en 4 volumes, sous la direction de I. HACHEZ, Y. CARTUYVELS, H. DUMONT, PH. GERARD, Fr. OST et M. VAN DE KERKHOVE, s’étendant des Normes internationales et constitutionnelles (volume 1), des Normes internes infra-constitutionnelles (volume 2), des Normativités concurrentes (volume 3) à la Théorie des sources du droit (volume 4), publiées chez Anthémis et aux Facultés universitaires Saint-Louis. 2 I. HACHEZ, « Balises conceptuelles autour des notions de “source du droit”, “force normative” et “soft law” », R.I.E.J., vol. 65, 2010, p. 3 et s. © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 03/11/2020 sur www.cairn.info par Skander IBEN ALAYA via ISBA Sousse - CNUDST (IP: 196.234.125.202) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 03/11/2020 sur www.cairn.info par Skander IBEN ALAYA via ISBA Sousse - CNUDST (IP: 196.234.125.202) R.I.E.J., 2013.70 Aux sources du droit: l’autorité et la ruse 208 nuit pour laisser poindre la manière, toujours unique, dont le monde nous est donné [...] ». La fonction paradoxale du mythe consiste à briser ce mutisme du commencement qui, d’emblée, échappe aux hommes, et à leur transmettre la parole des dieux pour déployer la figure du monde en sa totalité »3. Etude consacrée aux sources, on comprendra « dieux » comme ce qui se trouve en premier lieu (princeps), à l’origine… Autorité et ruse se donnent, dès lors, comme les premiers modes d’apparaître du droit, lesquels, dans la logique mythologique que nous déploierons, nous disent quelque chose de la nature même du phénomène juridique et de sa beauté. Nous articulerons cette étude en quatre chapitres, présentant en premier lieu les rapports de la ruse et du droit, en lesquels se joue le pôle Effectivité. Deux dimensions de la ruse seront mises en exergue : la ruse instauratrice du droit d'une part, la ruse épistémologique du droit d’autre part. Dans un deuxième temps, nous exposerons la dimension d’autorité – auctoritas – du droit, en laquelle se joue principiellement le pôle Légitimité de la théorie tridimensionnelle. Dans un troisième temps, aux épousailles de la ruse et de l'auctoritas, nous aborderons brièvement le soft law, parcourant le troisième pôle de la théorie, la Légalité, prise ici en creux, le soft law se présentant comme une instance de non-Légalité, donnant à voir un affadissement du troisième pôle et, corrélativement, un redéploiement de la théorie tridimensionnelle du droit. Un quatrième chapitre, conclusif, voudrait montrer que le droit ne découle pas de la source formelle, celle-ci, au rebours, se contentant de formaliser le droit, lequel de quelque manière lui préexiste, par l’intrication de la ruse et de l’autorité. 1. Ruse et droit : une origine oubliée – le pôle Effectivité Une première ruse ouvre cette étude puisque son titre commandait de commencer par l’autorité, non par la ruse. Manière de ruse de la ruse, ruse à la puissance deux, ruse au carré confinant à l’astuce. Pour racheter ce péché de l'esprit, nous invitons à la méditation d'une Annonciation, celle de Francesco Del Cossa. Le peintre de l'Ecole de Ferrare commence lui aussi par une ruse à la puissance deux : grand maître de la perspective et donc des proportions (autant de figures de l'analogie !), il peint pourtant un défaut, volontairement, le rendant de surcroît visible, insoutenable même une fois remarqué : l’escargot. L’escargot, peut-être symbole de la lenteur du Père dans 3 J.-F. MATTEI, Platon et le miroir du mythe, Paris, P.U.F., 1996, p. 1-2. © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 03/11/2020 sur www.cairn.info par Skander IBEN ALAYA via ISBA Sousse - CNUDST (IP: 196.234.125.202) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 03/11/2020 sur www.cairn.info par Skander IBEN ALAYA via ISBA Sousse - CNUDST (IP: 196.234.125.202) Alain Papaux R.I.E.J. 2013.70 209 l'incarnation du Fils malgré la misère avérée des hommes4, est le symétrique du pied de l’archange Gabriel par l'axe représenté par la colonne. Le spectateur ne peut donc que référer l’escargot à la taille du pied, pied-étalon permettant de calibrer la mesure du gastéropode : le défaut est énorme, l’escargot monstrueux. Eu égard à la taille d'un pied humain, l'escargot mesurera une bonne quinzaine de centimètres. La ruse commence de se manifester, ruse instauratrice d'ordre5 puisque livrant la clé du message du peintre, la ratio - comme l’on dit ratio legis ou ratio iuris. Nous verrons que cette « force » instituante de la ruse est simultanément ruse épistémologique, et dans ces deux dimensions exerce l'autorité « du droit » autant quelle la fonde. A. La ruse instauratrice du droit – La séduction d’Athéna Monstrueux, assurément, par l’ubiquité et donc la ruse, à la fois dans et sur le tableau, soit point de vue de point de vue ou pertinence à la puissance deux. L’escargot en tant que peint dans le tableau constitue un point de vue, une référence de la fabula qui y est contée. Mais il constitue simultanément le point de vue sur ce point de vue en tant que dessiné sur le rebord du tableau, sur le cadre, c'est-à-dire très précisément représenté dans notre monde, le monde du spectateur et non seulement dans la fabula du tableau. Cette nature duale – deux dans un, dans la même figure – est génialement représentée par Francesco Del Cossa : l’escargot, de mesure monstrueuse si on le considère peint dans le tableau, comme élément de la composition, se révèle de taille normale, de juste mesure si on le considère peint sur le cadre, comme un escargot vivant qui s’y promènerait, se détachant sur fond peint constitué par le tableau. Subtil, rusé jeu du « dedans/dehors ». 4 « Anomalie là encore, comment peut-on croire que l’escargot est une figure de Dieu, c’est inimaginable. UMBERTO ECO (…) m’a dit que c’était au contraire une pensée tout-à-fait normale au Moyen-Age. L’un des grands problèmes du Moyen-Age, c’est de savoir pourquoi Dieu a attendu aussi longtemps entre la Chute et l’Incarnation, pourquoi est-il allé aussi lentement, lui qui savait que l'Incarnation aurait lieu un jour, pourquoi a-t-il fait l’escargot ? », D. ARASSE, histoires de peintures, Paris, Denoël, 2004, p. 79-80. 5 Possiblement un ordre juridique, tout étant question d’harmonie, de proportion (et donc d'analogie) depuis Platon déjà et sa définition de la justice comme harmonie des Idées sous l’égide du Bien. Ce qui ouvre la réflexion sur une esthétique du droit, « Le beau droit » tel que Ph. Jestaz, par exemple, le campe dans les Archives de philosophie du droit, Tome 40 consacré à « droit et esthétique », Paris, Sirey, 1996, p. 14 et s. Que la peinture ou la sculpture parle gravement du droit ne devrait plus surprendre. On lira avec grand profit uploads/S4/ riej-070-0207.pdf
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- Publié le Mar 29, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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