LA QUESTION ROMAINE DU SACER. Ambivalence du sacré ou construction symbolique d
LA QUESTION ROMAINE DU SACER. Ambivalence du sacré ou construction symbolique de la sortie du droit Robert Jacob Presses Universitaires de France | Revue historique 2006/3 - n° 639 pages 523 à 588 ISSN 0035-3264 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-historique-2006-3-page-523.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jacob Robert, « La question romaine du sacer. » Ambivalence du sacré ou construction symbolique de la sortie du droit, Revue historique, 2006/3 n° 639, p. 523-588. DOI : 10.3917/rhis.063.0523 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.111.136.174 - 15/10/2014 20h13. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.111.136.174 - 15/10/2014 20h13. © Presses Universitaires de France RELIGION ET SOCIÉTÉ La question romaine du sacer. Ambivalence du sacré ou construction symbolique de la sortie du droit Robert JACOB LE PROBLÈME ET SES ENJEUX Patronus si clienti fraudem fecerit, sacer esto : le patron, s’il porte tort à son client, qu’il soit sacer ! Ainsi s’exprime une loi que la tradition romaine attribuait aux XII Tables (8, 21). Ce verset appartient au petit nombre des dispositions du droit romain archaïque qui décla- rent hors la loi l’auteur des infractions qu’elles entendent punir. Une telle condamnation privait celui qu’elle visait de la protec- tion élémentaire normalement reconnue par l’ordre juridique à ses sujets. En principe, le sacer pouvait être tué impunément par qui- conque, sans que le meurtrier eût à craindre ni procès ni vengeance. Eum ius fasque esse occidi, écrit Tite-Live (3, 55, 5) : cet homicide-là est licite au regard du droit comme de la religion. À ce trait, que souli- gnent toutes les sources, viennent s’ajouter d’autres, qu’elles men- tionnent à l’occasion : la confiscation des biens, dont la propriété était attribuée à un temple, la déchéance du droit de cité, l’exil, l’exclusion des liens de la famille et de la parenté1. Le sacer n’était Revue historique, CCCVIII/3 1. Sur l’immunité de l’homicide : Liv. 3, 55, 5 ; Festus, De verborum significatione, Wallace M. Lindsay (éd.), p. 424 ; Cicéron, Pro Tullio, 20, 47 ; Macrobe, Saturnales, 3, 7, 5 ; Denys d’Halicarnasse, 2, 10, 3 et 2, 74, 3 ; Plutarque, Publicola, 12, 1-2 ; pour les autres aspects de la peine, voir les textes qui seront commentés ci-dessous, notamment n. 27, 31, 32, 41, 43, 54 ; exposés généraux du statut du sacer dans Théodore Mommsen, Le droit pénal romain, trad. franç., Paris, 1907, III, p. 233 s., et, dans la littérature scientifique la plus récente : Roberto Fiori, « Homo Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.111.136.174 - 15/10/2014 20h13. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.111.136.174 - 15/10/2014 20h13. © Presses Universitaires de France plus un être social. Il avait cessé d’être sujet de droit. On l’abandon- nait à la vindicte du premier venu. Tel est en tout cas le sort auquel le vouaient ceux-là, magistrats, particuliers, assemblées, qui pronon- çaient contre lui la formule rituelle sacer esto. Que cette proclamation fût en pratique toujours suivie d’effet, et qu’elle le fût de tous les effets auxquels elle prétendait, est une autre histoire. Le sacer romain correspond à d’autres figures de hors-la-loi bien connues des historiens du droit, en particulier dans le Moyen Âge occidental. Le condamné que la Loi salique déclare wargus, les lois anglo-saxonnes outlaw, les formules de bannissement du Moyen Âge allemand verachtet, se trouvait dans la même condition que le sacer. Le proscrit était « mis au ban » de l’ordre social, c’est-à-dire projeté à l’extérieur du champ du ban, de la loi ou du droit (ban, law, acht), déchu de tous les attributs du sujet de droit, promis à une mort que n’importe qui pouvait lui donner à la première occasion2. Cette forme primitive d’exclusion est marquée d’archaïsme. On ne la rencontre que dans les strates les plus anciennes de chaque culture juridique, mais, partout, on observe qu’elle recule de bonne heure. Que l’autorité du pouvoir judiciaire s’affirme, que s’affinent tant soit peu les techniques de sa procédure, et l’on se détourne aus- sitôt de ces formules imprécatoires dont l’exécution était sujette à tant d’aléas. L’ordre juridique leur préfère tantôt une peine de mort qu’il réserve à ses agents, selon des formes qu’il détermine, tantôt des figures plus élaborées et moins radicales de la proscription, qui ne font plus disparaître d’un seul coup dans le banni toutes les qua- lités du sujet du droit. La même évolution se dessine dans l’histoire du droit romain et dans celle des ordres juridiques du Moyen Âge. À Rome, la clausule sacer esto ne sanctionne que des lois anciennes, remontant peut-être à la période royale, en tout cas bien attestées dans les premières décennies de la République, mais qui ne laissent derrière elle pas de postérité. Bien avant l’éclosion du droit clas- sique, s’étaient imposées des méthodes d’expulsion mieux contrôlées, qui veillaient à préserver à l’égard du pouvoir la sujétion de l’exclu et qui n’en immunisaient plus l’homicide. C’est ce que le langage 524 Robert Jacob sacer ». Dinamica politico-costituzionale di una sanzione giuridico-religiosa, Naples, Jovene, 1996 ; Claire Lovisi, Contribution à l’étude de la peine de mort sous la République romaine (509-149 av. J.-C.), Paris, De Boccard, 1999, p. 13-64. 2. Proscribere est dignum morte condemnare, écrit un commentaire médiéval, cité par Hanna Zaremska, Les bannis au Moyen Âge, trad. franç., Paris, 1996, p. 86 ; parmi une abondante biblio- graphie : Rudolf His, Das Strafrecht des deutschen Mittelalters, I. Das Verbrechen und ihre Folgen im allgemei- nen, Leipzig, 1920, p. 410 s. ; Heinrich Siuts, Bann und Acht und ihre Grundlagen im Totenglauben, Ber- lin, 1959, p. 127 s. ; sur le rapprochement du wargus franc et du sacer romain, classique depuis Ihering : ci-dessous, p. 574 s. et n. 88. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.111.136.174 - 15/10/2014 20h13. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.111.136.174 - 15/10/2014 20h13. © Presses Universitaires de France courant nommait globalement exilium, tandis que le langage tech- nique du droit y distinguait des statuts différents de la peine : inter- dictio igni et aqua (interdiction par le feu et l’eau), proscriptio, relegatio, deportatio3. Au Moyen Âge, dans l’Europe du Nord-Ouest, la pra- tique judiciaire fut animée d’un mouvement comparable. Du XIIe au XVe siècle, on voit partout s’effacer ce qui restait des formes primi- tives de l’outlawry anglaise ou de l’Acht allemande, au profit de divers types d’exclusion du territoire d’une ville ou d’une royaume. Les bannissements des derniers siècles du Moyen Âge ne sont plus nécessairement définitifs, mais volontiers limités dans le temps. Il n’immunisent plus sans réserve le meurtre de l’exclu, pas plus qu’ils n’emportent systématiquement la confiscation de ses biens ou la dis- solution de ses liens familiaux. Ils prennent souvent soin de ménager pour l’avenir la possibilité de réintégrer le banni4. Ainsi, au fil de l’histoire, cette gamme de sanctions s’est com- pliquée et diversifiée. Aussi l’usage de les recouvrir toutes de l’appellation générique de « bannissement », comme on le fait sou- vent, peut-il être une source de confusion s’il suggère l’identité de condition des différentes catégories de bannis. C’est pourquoi, dans les pages qu’on va lire, j’éviterai autant que possible ce terme. Je choisis en principe d’appeler « proscription » la forme la plus archaïque de la mise hors la loi, qui est aussi la plus radicale en ce qu’elle ne connaît pas de degré5. Elle est l’unique objet de la pré- sente étude. Ajoutons, pour prévenir une dernière confusion, que l’interdic- tion de résidence dans un territoire donné, caractéristique des formes ultérieures de bannissement ou d’exil, n’en constituait pas encore un élément perçu comme caractéristique. Le proscrit de la Loi salique est dit projeté par le roi extra sermonem suum : à l’extérieur de la parole souveraine en tant que cette parole fait norme6. On peut comprendre que le royaume dont il était écarté ne se trouvait pas enfermé a priori dans des frontières fixes, qu’une La question romaine du sacer 525 3. Théodore Mommsen, Le droit pénal romain, op. cit., III, p. 309 s. Parallèlement, la confisca- tion des biens s’est transformée, la propriété passant du temple au trésor public : Francesco Salerno, Della « consecratio » alla « publicatio bonorum ». Forme giuridiche e uso politico delle origini a Cesare, Naples, Jovene, 1990. 4. Cf. e.a. uploads/S4/ la-question-romaine-du-sacer.pdf
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- Publié le Jan 08, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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