1 LES TRANSFORMATIONS DE L’ADMINISTRATION DE LA PREUVE PENALE : APPROCHES ET PE

1 LES TRANSFORMATIONS DE L’ADMINISTRATION DE LA PREUVE PENALE : APPROCHES ET PERSPECTIVES COMPAREES La question de l’administration de la preuve pénale est essentielle dans le processus d’application de la norme dans un contexte de judiciarisation au sein duquel le système pénal prend une place croissante. Les mutations actuelles du droit en cette matière invitent à réexaminer les pratiques des professionnels du procès et de l’enquête, sur deux plans : - d’une part au regard des libertés publiques, telles que celles-ci s’imposent à mesure que s’affirment les normes et mécanismes de recours internationaux et singulièrement ceux de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; - d’autre part au regard des progrès technologiques qui modifient profondément tant certains types de délinquance que les modes de travail des professionnels du judiciaire et des experts dans la recherche des preuves. A chacun de ces niveaux de l'analyse une démarche comparative trouverait sa justification dans un double but : - de mise en perspective, des pratiques française et étrangères, - de mise en évidence des règles et dispositifs en tant que premiers éléments d'une construction judiciaire européenne, voire internationale. 1. De nouveaux standards d’administration de la preuve ? Les évolutions du mode d’administration de la preuve pénale s’inscrivent dans un contexte plus large concernant les mutations du droit pénal et de la procédure pénale qui appellent un examen approfondi et délibérément critique. Au-delà de la philosophie traditionnelle du droit pénal attaché au concept de la culpabilité comme fondement de la responsabilité pénale, un premier domaine d'interrogation concerne l'évolution du droit procédural qui se cherche entre des formes empruntées au système inquisitoire et d’autres issues du système accusatoire. 2 Peut-on ainsi, pour illustrer le propos sur les pratiques concrètes de procédure pénale, envisager que le développement de l’oralité contradictoire dans le procès pénal, particulièrement dans les affaires médiatisées où l’instruction à l’audience se prête à une véritable discussion des éléments de preuve bien éloignée de la logique inquisitoriale première, remette en question l’importance du rôle effectif des procès-verbaux établis par les officiers de police judiciaire ? A partir de ces emprunts mutuels, un relatif estompement des frontières procédurales peut-il être envisagé en Europe avec des "standards" d'administration de la preuve qui s'uniformiseraient sous l'effet de la généralisation de la norme pénale et des principes généraux du procès équitable ? Ce rapprochement induit-il aussi l’émergence de standards européens communs d’administration de la preuve pénale, en termes d’uniformisation ou d’harmonisation ? Rappeler les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, que ce soit en matière d’écoutes téléphoniques par exemple ou encore en matière de conditions de déroulement de la garde-à-vue ne saurait suffire à définir des évolutions fondamentales dont la cohérence reste à caractériser. Doivent donc être précisées les caractéristiques des évolutions procédurales nationales, européennes et internationales, par exemple à travers les pratiques des juridictions de création récente qui constituent autant de lieux de confrontation de cultures judiciaires différentes (Tribunal pénal international, administration judiciaire au Kosovo…). Ce premier champ de recherche, par ailleurs déjà exploré, renvoie donc aussi à l’élaboration de problématiques spécifiquement conçues pour rendre intelligible le contexte international en matière de modalités d’administration de la preuve pénale. Ce ne sont là que quelques uns des nombreux questionnements qu’appelle l’examen des évolutions du droit procédural, notamment mais pas seulement, nationales et européennes, avec le déplacement qui en résulte des équilibres entre les exigences d'efficacité et celles de droit, l’affirmation de l’égalité des armes et l’émergence de garanties nouvelles comme, par exemple, l’enregistrement vidéo des auditions. La loi du 15 juin 2000 consacre ce mouvement. 2. Vers une objectivation du mode d’administration de la preuve ? Il faut encore s’interroger sur l’incidence éventuelle de mutations à l’œuvre dans le droit pénal lui-même, notamment l’importance sensible prise par le champ des infractions non-intentionnelles, où une recherche objective de responsables, dans une logique de protection d’autrui contre les risques de l’existence, pourrait prendre le pas sur la démarche plus classique de caractérisation de l’intention coupable et de la faute. En ce sens, l’instrumentalisation du droit pénal à des fins réparatrices, tant sur le plan symbolique que matériel, aboutit, pour certaines infractions, à un glissement de la notion de faute vers celle du risque créé, nécessitant moins le recours à un inquisiteur qu'à un accusateur, chargé d'établir à tout prix les 3 conditions objectives de la responsabilité pénale. Peut-on vérifier l’hypothèse que les tendances procédurales actuelles évolueraient sous l'effet de ce que l'on pourrait nommer une "objectivation" du mode d'administration de la preuve, ayant désormais pour fin d'identifier un responsable amené à garantir, par le mécanisme de l'assurance, la réparation des dommages causés ? Ces développements, que le législateur a récemment souhaité encadrer, sont-ils de nature à provoquer certaines évolutions dans les modalités d’administration de la preuve pénale ? Cette tendance à l’objectivation du mode d’administration de la preuve pénale se renforce également par la sophistication des techniques d’enquête en vue de l’établissement de la matérialité des faits. Il suffit d'évoquer le recours aux empreintes génétiques et à la recherche d’ADN, les progrès réalisés pour la datation et l’authentification de documents, la constitution de fichiers multipliant les possibilités de croisement de données, les identifications des comportements privés à travers les possibilités d’écoute et de localisation d’appels téléphoniques, les investigations concernant les utilisateurs de cartes magnétiques et d’ordinateurs connectés à Internet….. Reste à savoir, par delà les problèmes de coût, si le recours à ces techniques opère un transfert de la maîtrise de l’enquête de l’officier de police judiciaire et du juge vers les différentes formes d’expertise et si les standards de réalisation de celles-ci doivent évoluer pour respecter le principe d’égalité des armes qui accorde en particulier une place plus importante au principe du contradictoire lors de leur déroulement, voire le recours complémentaire à des experts choisis par la défense. Si l'établissement de la matérialité des faits s'appuie de plus en plus sur la technique, le témoignage en justice, expression citoyenne par essence, reste un élément déterminant dans la recherche de la preuve. Le principe en a été réaffirmé avec force dans la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales qui, en son article 6 (droit à un procès équitable) stipule que tout accusé a droit à interroger et à faire interroger, dans les mêmes conditions, les témoins à charge et à décharge. Eu égard à l'expression parfois violente de la délinquance et à de possibles pressions - voire menaces - sur les témoins, la question se pose de leur statut et de leur sécurité comme garants de la production du témoignage devant les juridictions. Pour spécifique qu'elle soit, cette question mérite certainement réponse, sur la base notamment des solutions retenues par d'autres pays. 3. Une redéfinition des objectifs et des modalités de l’enquête impliquant des choix essentiels concernant la justice pénale et la police judiciaire. La sensibilité supposée de l’opinion publique, amplifiée par la pression médiatique, à tout ce qui pourrait être pris pour une carence de la répression, dans une logique de rétribution et d’expiation, a pu – et peut encore – conduire, dans la pratique des professionnels de la « scène judiciaire » à rechercher à tout prix un coupable au moyen de l’aveu et de preuves parfaites. 4 Les évolutions des normes procédurales et des règles déontologiques (formation des officiers de police judiciaire, présence de l’avocat en garde-à-vue, techniques d’interrogatoire, rôle du parquet, etc.), aboutissent-elles à maîtriser ce danger ? Imposent-elles une redéfinition des priorités de l’enquête, l’audition du mis en cause perdant son rôle central pendant la phase initiale du processus pénal (sauf dans les enquêtes de flagrance), au profit du recours croissant et en quelque sorte substitutif à l’enquête environnementale, aux moyens de police technique (perquisitions, saisies, recueil de témoignages, rassemblement des preuves) et d’analyse expertale ? Ce mouvement n’ira pas sans une réflexion approfondie sur les contentieux pénaux à privilégier, depuis la police judiciaire de proximité jusqu’à la délinquance cybernétique et transnationale. Cette émergence de nouvelles méthodes doit faire l’objet d’études approfondies. Elle induit nombre de questions, dont en particulier celles relatives à l’évolution considérable des investissements humains et matériels, impliquant nécessairement des choix. Une approche économique du coût de ces procédures doit être réalisée. Elle se limite principalement aujourd’hui à l’analyse de l’évolution des frais de justice qui mesure seulement « l’externalisation » via le recours à des experts et des laboratoires spécialisés mandatés par les officiers de police judiciaire et les magistrats. Investit-on le plus d’argent en fonction des nécessités réelles ou en fonction d’autres impératifs, en particulier la pression médiatique ? Existe-t-il une logique et une régulation du système ? Le coût de certaines procédures peut-il être évalué ? Plus généralement, une économie du procès pénal autour de la question de l’administration de la preuve, dans toutes ses phases, de l’enquête au jugement peut-elle constituer un champ d’investigation critique ? Cette dernière interrogation devra aborder la question de la répartition de la dépense publique entre le coût direct pour l’Etat (personnels, moyens, laboratoires publics…) et la uploads/S4/les-transformations-de-l-x27-administration-de-la-preuve-penale-approches-comparees.pdf

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  • Publié le Jul 05, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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