Chimie organique l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394 56 Le fl
Chimie organique l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394 56 Le fluor en chimie organique : une montée en puissance Thierry Billard, Emmanuel Magnier et Jean-Pierre Vors Résumé L’atome de fluor est exceptionnel tant les propriétés conférées aux molécules par sa présence sont intéressantes. En quelques années, l’introduction douce et sélective d’un ou de plusieurs atomes de fluor à l’aide de réactifs stables et non toxiques a connu un essor remarquable. Cet article décrit les avancées récentes en listant tour à tour les méthodes de fluoration, de trifluorométhylation, l’imagerie médicale du fluor 18 et se termine par les applications en sciences du vivant. Mots-clés Fluor, trifluorométhylation, TEP, médicaments, agrochimie. Abstract Fluorine in organic chemistry: gaining momentum The fluorine atom is remarkable since properties conferred by its presence in molecules are of great interest. During recent years, the smooth and selective introduction of one or several fluorine atoms with non-toxic and stable reagents has grown exponentially. This article describes the new reactions and reagents and particularly the mono- and perfluoroalkylation methods, the medical imagery by fluorine-18 and ends by the applications in life sciences. Keywords Fluorine, trifluoromethylation, PET, drugs, agrochemistry. e fluor occupe une place très particulière dans la classifi- cation périodique et dans le cœur des chimistes. Il pos- sède en effet une double particularité. Sa présence modifie profondément les propriétés (stériques, électroniques, conformationnelles, physico-chimiques…) des molécules et la faible polarisabilité de la liaison C-F confère une certaine inertie chimique. L’ensemble de ces caractéristiques a per- mis des progrès considérables, souvent méconnus, dans la vie quotidienne (réfrigération, matériaux et polymères hydro- phobes, sels pour batteries, cristaux liquides, produits de santé). Mais son introduction dans les composés organiques est un des challenges les plus ardus de la chimie organique. Des développements récents, nombreux et remarquables ont permis de « démocratiser » la chimie du fluor, jusqu’ici « réservée » à des laboratoires spécialisés. Cet article ne peut, en aucun cas, prétendre à être complet ou exhaustif tant la littérature récente est abondante mais présente les résultats les plus marquants. Pour les lecteurs désireux d’aller plus loin, quelques revues récentes sont proposées dans les références. L’introduction d’un seul atome de fluor sur une molécule organique est une des plus vieilles réactions de la chimie du fluor et les méthodes de fluoration industrielle des composés aromatiques restent encore assez limitées à la réaction de Balz-Schiemann et à l’échange halogène-fluor (réaction Halex) [1]. Progressivement, la diversité moléculaire s’est fortement accrue et les réactions de fluoration se sont éten- dues à des motifs polyfluorés. Méthodes de monofluoration État de l’art des réactifs et méthodes existantes Récemment, de nouvelles méthodes ont émergé, don- nant accès facilement à des molécules monofluorées en séries aromatique et aliphatique. En série aliphatique, même si la classique substitution nucléophile avec des ions fluo- rures – KF, CsF, AgF, fluorure de tétrabutylammonium (TBAF)… – peut conduire à l’obtention de produits mono- fluorés, des réactifs permettant, entre autres, de substituer un groupement OH par un fluor sont également disponi- bles et très utilisés ces dernières années : Deoxo-Fluor®, XtalFluor®, Fluolead™, PhenoFluor™(figure 1) [2]. Des équivalents de fluor électrophile (« F+ ») ont égale- mentétédéveloppés,permettantenparticulierd’introduireun atome de fluor à la place d’hydrogènes acides. Certains de ces réactifs sont également commerciaux : Selectfluor®, NFSI (N-fluorobenzènesulfonimide), fluoropyridiniums (figure 2) [1, 3-4]. L Figure 1 - Réactifs courants de déoxyfluoration. 57 l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394 Chimie organique Nouvelles méthodes utilisant la catalyse Les réactions de couplages organométalliques, deve- nues maintenant classiques en chimie organique, ont trouvé ces dernières années un nouveau champ d’investigation en chimie du fluor. Ainsi des réactions de fluoration, métalloca- talysées (Pd, Cu…) de composés aromatiques porteurs des motifs esters boroniques, trifluoroborates, stannanes, sily- loxys, triflates, iode, brome, trifluoroborates et iodoniums aromatiques, ainsi que des réactions d’activation C-H, ont été développées en utilisant soit des agents de fluoration électrophile (Selectfluor®, NFSI…), soit plus simplement des ions fluorures (CsF, AgF, KF) (figure 3). Dans ces réactions, le métal favorise la substitution du groupe partant présent sur le noyau aromatique par un atome de fluor via des mécanismes faisant intervenir des complexes C-métallés. À l’issue du processus, le métal est régénéré, ne nécessitant ainsi son utilisation qu’en faible quantité. Ces méthodes sont des alternatives intéressantes aux méthodes de fluoration aromatiques déjà existantes car elles sont régiosélectives et nécessitent des conditions moins drasti- ques [3, 5-9]. Méthodes émergentes La fluoration radicalaire a longtemps été un domaine peu développé du fait des difficultés à générer le radical F•, hormis en utilisant F2 qui conduit à des réactions dif- ficilement contrôlables et peu sélectives. Cependant, récemment, des méthodes de fluoration radicalaire utilisant des réactifs donneurs de « F+ » ou des ions fluorures ont fait leur apparition. Ces réactions sont essentiellement basées sur l’utilisation de catalyseurs métalliques. Des processus photoredox ont également été développés (figure 4). En particulier, cette fluoration radicalaire a pu être utilisée pour réaliser des fluorations de liaisons Csp3-H alipha- tiques, non activées, qui jusqu’à présent n’avaient pu être fluorées qu’à partir de F2 (figure 4) [10-12]. Méthodes de trifluorométhylation et de difluorométhylation Les travaux de la littérature décrivant l’introduction d’un groupe trifluoromé- thyle sur un atome de carbone croissent de façon exponentielle. Ce phénomène s’explique à la fois par l’invention de nou- veaux réactifs stables (ainsi que l’amélio- ration des voies de synthèse des compo- sés « plus anciens ») et l’apport récent de la chimie organométallique (notamment de la chimie du cuivre et du palladium) [3,13]. État des lieux des réactifs existants Les réactifs de trifluorométhylation sont traditionnelle- ment présentés et classés en fonction de leurs propriétés : électrophile, radicalaire et nucléophile (figure 5). Le trifluoro- méthyltriméthylsilane, réactif de Ruppert-Prakash, est une Figure 2 - Réactifs courants de fluoration électrophile. Figure 3 - Fluoration aromatique métallocatalysée. F F F [Métal] O H H H [Mn], TBAF PhIO, AgF O H H F [Mn] : N N N N Mn Cl Figure 4 - Fluoration radicalaire. Figure 5 - Principaux réactifs de trifluorométhylation. 58 l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394 Chimie organique des principales sources de CF3 nucléophile avec le tri- fluorométhyle cuivre. Ce dernier, longtemps formé in situ dans des conditions basiques donc peu tolérantes de nombreux groupes fonctionnels, est maintenant préparé dans des conditions douces et peut être stocké comme le composé commercial, le Trifluoromethylator™. Les composés, précurseurs de CF3 radicalaire, sont l’iodo- trifluorométhane, le trifluorométhane sulfinate de sodium (ou réactif de Langlois) et le chlorure de trifluoromé- thanesulfonyle. Enfin, les molécules stables capables de délivrer un groupe trifluorométhyle sur des nucléophiles sont les trifluorométhyle sulfoniums (réactif de Ume- moto), les composés à base d’iode hypervalent (réactifs de Togni) et les sulfoximines. Illustration du potentiel de chaque réactif Le réactif de Ruppert-Prakash permet d’introduire une entité trifluorométhyle nucléophile par réaction avec des dérivés carbonyles ou des imines. L’association de ce com- posé avec du cuivre conduit à accroître significativement son spectre de réactivité et à former ainsi des liaisons avec des carbones aromatiques, vinyliques, acétyléniques et même aliphatiques de type sp3. La voie radicalaire connaît elle aussi une véritable renais- sance grâce à la mise au point de nouvelles méthodes et la (re)découverte de nouveaux réactifs. Ainsi, l’iodotrifluoromé- thane, le trifluorométhane sulfinate de sodium et le chlorure de trifluorométhanesulfonyle se sont révélés être d’excel- lentes sources de radicaux CF3, capables de réagir avec des dérivés aromatiques et vinyliques. Enfin, les dérivés sources de CF3 électrophile (sulfo- niums, iode hypervalent, sulfoximines) réagissent avec une très large gamme de nucléophiles carbonés ou d’hétéroélé- ments, à l’exception des nucléophiles durs. De plus, l’utilisa- tion de la photocatalyse a permis d’employer ces réactifs pour générer des radicaux. De même, leur association avec le cuivre engendre la formation du réactif nucléophile CF3Cu. Ainsi, ces composés s’avèrent être très polyvalents puisqu’ils sont employés dans les trois approches : nucléo- phile, radicalaire et bien sûr électrophile. Évolution vers l’introduction de CF2H Le groupe difluorométhyle est également au cœur des préoccupations de nombreux chimistes et sa préparation a bénéficié des progrès des réactifs de trifluorométhylation. En effet, les versions difluorométhylées des réactifs électrophiles (iode hypervalent, sulfoniums et sulfoximines), nucléophiles (difluorométhyltriméthylsilane) et radicalaires (difluorométhyl- sulfinate de zinc) ont récemment été décrites. Leur réactivité est très proche de leurs analogues trifluorométhylés. Trifluorométhylation directe d’hétéroatomes Les motifs OCF3 et CF3S figurent parmi les groupements fluorés les plus lipophiles. À ce titre, ils présentent un inté- rêt dans de nombreuses applications, et en particulier dans le domaine des sciences du vivant où la lipophilie d’une molécule est souvent directement reliée à sa biodisponibilité. L’introduction dans des édifices moléculaires complexes de ces groupes fait l’objet de développements récents résumés ci-après. Réactions de trifluorométhoxylation Hormis l’emploi de réactifs onéreux, corrosifs et/ou toxiques, le groupe OCF3 peut être préparé selon trois approches, faisant appel à des conditions relativement douces (figure 6). La première voie de synthèse (voie a) consiste à construire l’entité trifluorométhyle via le traitement d’un xanthate par un acide fluoré fort (HF/pyridine ou HF/ Et3N) et une source de brome (ou d’iode) électrophile [14]. La deuxième approche (voie b) uploads/Finance/ 2015-393-394-fev-mars-p56-billard-hd.pdf
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- Publié le Mai 06, 2021
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