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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 La charge d’un juge d’instruction français contre le président du Gabon PAR FABRICE ARFI ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 21 FÉVRIER 2022 Le président du Gabon, Ali Bongo, en novembre 2021 à Paris. © Julien De Rosa / pool / AFP Selon les récentes conclusions d’un magistrat anticorruption, Ali Bongo a non seulement acquis ces dernières années de nombreux biens immobiliers à Paris grâce à des malversations mais il ne peut ignorer l’origine présumée frauduleuse du faramineux patrimoine familial en France, estimé à au moins 85millions d’euros. Il est rare qu’un chef d’État étranger en exercice soit si nettement mis en cause par la justice française. Et pourtant : selon les récentes conclusions d’un magistrat anticorruption parisien, l’actuel président du Gabon, Ali Bongo, a non seulement acquis ces dernières années de nombreux biens immobiliers à Paris grâce à des malversations, mais il ne peut ignorer l’origine présumée frauduleuse du faramineux patrimoine familial en France, estimé à au moins 85 millions d’euros. Le juge d’instruction Dominique Blanc, chargé de l’affaire des «biens mal acquis», a fait part, le 7 février, de ses observations accablantes pour le chef de l’État gabonais dans un document judiciaire dont Mediapart a pu prendre connaissance. Il s’agit d’une ordonnance ayant déclaré l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de l’État du Gabon, qui essaie depuis des années d’exciper du statut de victime dans ce dossier. Le président du Gabon, Ali Bongo, en novembre 2021 à Paris. © Julien De Rosa / pool / AFP Un comble : l’enquête des biens mal acquis vise précisément à démontrer comment une dynastie régnant sans partage depuis plus d’un demi-siècle, celle des Bongo, a utilisé son pouvoir et les attributs qui vont avec pour s’enrichir avec l’argent de la corruption et des détournements au Gabon, avant d’en blanchir une partie, notamment dans des investissements immobiliers de luxe, en France. Plus précisément, grâce à un minutieux exercice d’archéologie judiciaire, le juge Blanc et les policiers de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) sont parvenus à mettre en relation l’argent noir de l’affaire Elf (définitivement jugée) avec le train de vie phénoménal des Bongo en France. « Il est établi par les investigations que l’argent dont a bénéficié M. Omar Bongo [président du Gabon de 1967 à 2009 - ndlr] pendant de longues années provenait en grande partie des commissions indues que lui versait la société Elf », écrit à ce titre le juge d’instruction dans son ordonnance du 7 février. Et il poursuit : « Ses enfants, dont certains occupaient à ses côtés des fonctions officielles, ont eux aussi bénéficié d’importants financements de leur père pour acquérir des biens immobiliers. » « L’ensemble des acquisitions financées par M. Omar Bongo pour son compte et celui de ses enfants est estimé à au moins 85 millions d’euros, sans rapport aucun avec les émoluments dont pouvait se prévaloir M. Omar Bongo au titre de ses fonctions de chefs d’État […]. L’état de fortune d’Omar Bongo Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 était connu de ses enfants, qui ne pouvaient ignorer son origine frauduleuse, largement alimentée par la société Elf », selon le magistrat, qui précise : « Il en est ainsi de l’actuel président de la République gabonaise. » Ordonnance judiciaire du 7 février Avant de prendre la suite de son père à la tête de l’État du Gabon, petit pays longtemps considéré comme l’un des exemples les plus éclatants de la Françafrique, Ali Bongo en a été le ministre des affaires étrangères (1989-1991), puis de la défense (1999-2009). Le concernant, l’enquête sur les biens mal acquis, démarrée il y a plus d’une décennie à la suite d’une plainte déposée par plusieurs ONG, a pu déterminer l’existence d’un train de vie français sans commune mesure avec les émoluments officiels qui sont les siens et ceux de sa famille. Cela concerne par exemple l’achat de voitures de luxe, acquises par le futur président gabonais parfois dans des conditions douteuses. Ici une Ferrari à 200000 euros, là une Bentley à 180000 euros, ou encore une Mercedes à 70000 euros, somme payée intégralement en cash avec, au moment de l’achat en 2006, la présentation de son passeport, sur lequel on pouvait lire : «Ministre d’État, ministre de la défense nationale ». Cela concerne aussi des mouvements de fonds suspects identifiés par l’enquête de police. Comme ces 800000 euros envoyés en 2009 par virement du Gabon à Paris par la BGFI, une banque au cœur de plusieurs affaires de blanchiment dans divers pays d’Afrique. Ou encore les services de limousine à Paris payés la même année au bénéfice d’Ali Bongo par la société de l’homme d’affaires corse Michel Tomi, surnommé « le parrain des parrains ». Mais aussi les 926000 euros dépensés entre 2010 et 2011 en France par l’épouse d’Ali Bongo, dont 144000 euros chez Hermès ou 132000 chez le bijoutier Van Cleef. L’« hypercynisme » judiciaire du Gabon dénoncé Mais le plus gros soupçon porte sur les biens immobiliers du président gabonais. Qu’il s’agisse de ceux acquis dans le passé par son père et dont il profite aujourd’hui dans les plus beaux quartiers parisiens (avenues Foch et Victor-Hugo, dans le XVIe arrondissement), ou de ceux achetés par le biais de sociétés civiles immobilières détenues par son ancien directeur de cabinet, Maixent Accrombessi, mais dans lesquelles Ali Bongo a des intérêts à titre personnel, selon la justice française. Les enquêteurs ont également identifié l’achat, en 2010, par l’État du Gabon, mais « à des fins privées », d’un immeuble rue de l’Université, à Paris, d’une superficie de… 5487 m2, avec au moins 25 millions d’euros de travaux à la clé. À ce stade, Ali Bongo ne risque pas de mise en examen, tout chef d’État en exercice étant protégé par une immunité, selon les règles du droit international. Mais l’instruction, qui a mis au jour des pratiques équivalentes parmi les frères et sœurs d’Ali Bongo, a débouché sur les mises en examen de plusieurs intermédiaires français (avocat, notaire, homme de paille…), qui sont soupçonnés d’avoir permis le blanchiment en France des sommes détournées au Gabon. C’est aussi vrai pour la BNP, géant bancaire français, suspectée d’avoir aidé le clan Bongo à blanchir 35 millions d’euros sans avoir rempli aucune des obligations de contrôle auxquelles l’établissement est pourtant astreint. Toutes les personnes mises en examen sont présumées innocentes. Dans ce contexte, la constitution de partie civile du Gabon, défendue par les avocats Mes Francis Szpiner et Martin Pradel, peut paraître pour le moins audacieuse, l’État gabonais étant indissociable depuis 1967 de la famille qui le dirige. Dans son ordonnance de refus de constitution de partie civile, le juge Blanc relève d’ailleurs que le Gabon n’a fourni « aucun écrit ni aucune pièce justifiant d’un préjudice en relation directe avec les infractions ». La démarche est d’autant plus téméraire que le même État gabonais conteste les délits d’origine (les détournements de fonds), dont il veut néanmoins être reconnu comme la victime potentielle. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 « Il est assez cocasse et surtout d’un hypercynisme que le Gabon prétende avoir subi un dommage tout en niant l’existence d’une cause à ce dommage, puisque ses représentants contestent fermement que des infractions aient pu être commises. C’est totalement absurde », commente auprès de Mediapart Me William Bourdon, l’avocat de l’ONG Transparency International France, qui a participé au déclenchement des poursuites. « Le Gabon invoque avec le même cynisme la loi d’août 2021 sur la restitution des biens mal acquis aux populations. Une sinistre blague : restituer au Gabon les avoirs confisqués, ce serait comme si on restituait au braqueur le produit de son hold-up ! », poursuit-il. Contactés, les avocats de l’État du Gabon n’ont pas donné suite à nos sollicitations. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 24 864,88€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. 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- Publié le Jul 17, 2022
- Catégorie Business / Finance
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