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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/7 Condamnation de Sarkozy: l’indignation salutaire de la rédaction du «Parisien» PAR LAURENT MAUDUIT ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 4 MARS 2021 Unanimes, les personnels du quotidien protestent contre un éditorial s’appliquant à défendre Nicolas Sarkozy au lendemain de sa condamnation. Le geste retient d’autant plus l’attention que de nombreux médias, pratiquant un journalisme de connivence, ont l’habitude de faire le carré autour des puissants. Dans l’univers de la presse française, qui est passée en large partie sous la tutelle des puissances d’argent, et qui souffre du même coup d’un manque cruel d’indépendance éditoriale – quand elle ne fait pas l’objet d’instrumentalisation, de manipulations ou de censures –, il faut saluer l’indignation de la rédaction du Parisien face à un éditorial de la direction du journal accablant la justice au lendemain de la condamnation de Nicolas Sarkozy – alors que ce journal est depuis 2015 la propriété du milliardaire Bernard Arnault, ami de Nicolas Sarkozy et témoin de son second mariage. Il faut la saluer à un double titre. D’abord, elle vient confirmer que même dans les journaux croqués par des milliardaires, les journalistes peuvent, face à leur actionnaire, revendiquer le droit d’exercer librement leur métier, et d’informer honnêtement les citoyens qui les lisent, en déjouant les systèmes de connivence ou d’interférences que les directions de ces journaux ont mis en place. Enfin, la très vive réaction des personnels du Parisien vient souligner, en creux, l’état d’asservissement dans lequel se trouve une bonne part de la presse française où des éditoriaux aussi poisseux ont été écrits, mais sans que cela suscite la moindre réaction. Reproduction du début de l'édito du Parisien Cette nouvelle crise au sein du Parisien, c’est un éditorial du mardi 2 mars, signé par le directeur des rédactions du journal, Jean-Michel Salvator, qui l’a provoquée (voir le fac-similé ci-contre). Le même jour, à peine quelques heures plus tard, les Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/7 organisations syndicales (SNJ, SNJ-CGT, SGJ-FO, SNPEP-FO, SGLCE-CGT), la Société des journalistes (SDJ) et le collectif des femmes du journal ont publié un communiqué commun pour se désolidariser « de ce texte dont la teneur ne correspond pas aux valeurs portées depuis 77 ans par le Parisien ». Formules sévères qui soulignent l’émotion de la rédaction et la gravité de la crise. Pour mémoire, Le Parisien – du temps où il s’appelait Le Parisien libéré – a participé à la refondation de la presse à la Libération, voulue par le Conseil national de la résistance, en renaissant sous la forme d’une coopérative ouvrière, avant de connaître une lente et progressive normalisation, puis de tomber dans l’escarcelle du milliardaire Bernard Arnault. Dans un texte très documenté (que l’on peut lire dans sa version intégrale sous l’onglet « Prolonger » associé à cet article), les signataires font de multiples griefs au directeur des rédactions. « Dans cet éditorial, qui accompagne un fait du jour sur la condamnation de Nicolas Sarkozy pour des faits de corruption et de trafic d’influence, Jean-Michel Salvator fustige “des décisions de justice” devenant, selon lui, “d’une sévérité accrue ou d’une intransigeance implacable”. Il n’appartient pas à notre journal de donner une opinion sur une décision de justice. Éclairer sur ses conséquences, oui. Le reste relève du commentaire », constatent-ils d’abord. Et ils poursuivent : « Le directeur des rédactions minimise ensuite les faits reprochés à l’ancien président de la République : “Nicolas Sarkozy se voit reprocher d’avoir envisagé d’appuyer une promotion en faveur d’un magistrat (qui ne s’est pas faite).” Jean-Michel Salvator ne l’ignore pas : en matière de droit, il n’est pas nécessaire que l’avantage ait été accordé pour que le délit de corruption soit caractérisé. » Les signataires font aussi cet autre constat : « Le directeur des rédactions fait ensuite maladroitement référence, avec indulgence, à la condamnation de Georges Tron, “pour agressions sexuelles à cinq ans de prison dont trois ferme”, en omettant la condamnation pour viol aggravé, crime passible de vingt ans d’emprisonnement et en l’occurrence décidée par une cour d’assises et un jury populaire. En plus d’omettre une partie de la réalité, le propos est contradictoire avec l’engagement affiché par la direction de la rédaction, dans la charte de l’égalité signée en novembre dernier, de “veiller particulièrement à utiliser le vocabulaire approprié lorsqu’elle traite des violences faites aux femmes”. » Les signataires de ce communiqué tiennent donc « à réaffirmer les principes de notre métier : exposer des faits, permettre l’expression de points de vue contradictoires, analyser… et ne pas orienter de manière partisane des éléments factuels au service d’on ne sait quels intérêts ». En conclusion, les signataires demandent à être reçus par Jean-Michel Salvator. « Alors qu’une partie de la rédaction nous fait part d’un sentiment de défiance croissant, nous souhaitons lui demander des éclaircissements ainsi que des garanties sur le respect de l’intégrité du travail d’information de la rédaction. » C’est donc là une prise de position énergique de la part des signataires. Et pour tout dire, inhabituelle dans l’univers de la presse parisienne car au fil de ces dernières années, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy puis sous celui de François Hollande, la normalisation économique de la presse s’est accélérée, sous les effets des rachats par des milliardaires boulimiques de tous les grands titres parisiens. De son côté, Emmanuel Macron a multiplié les lois limitant la liberté de la presse et le droit de savoir des citoyens (loi sur le secret des affaires, sur les fake news, etc.). Tant et si bien qu’on a davantage tenu la chronique, ces derniers temps, d’une presse entravée, plutôt que celle d’une presse assumant normalement sa fonction citoyenne. Dans cet écosystème mortifère, la réaction des personnels du Parisien tranche donc avec les formes de journalisme couché que l’on a trop souvent la possibilité de déplorer. La colère qui couve parmi les personnels du Parisien, et tout particulièrement parmi les journalistes, est d’autant plus vive que l’éditorial qui a mis le feu aux poudres n’est pas le premier de cet acabit. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/7 À l’automne dernier, il y avait ainsi eu un éditorial tournant en dérision la cuisine chinoise en des termes qui étaient restés en travers de la gorge de beaucoup de journalistes du Parisien, et dont Claude Askolovitch s’était indigné, dans sa revue de presse sur France Inter, avec verve : « Cette prose bizarrement trumpienne et culinairement xénophobe illustre que la folie peut saisir un grand journal populaire. » Et puis, à la même époque, le 16 octobre, il y avait eu un autre éditorial s’inquiétant des perquisitions qui venaient d’avoir lieu aux domiciles et aux bureaux de plusieurs personnalités, dont le ministre de la santé Olivier Véran, dans le cadre de l’enquête judiciaire sur la gestion de la pandémie, éditorial qui suggérait que le temps de la justice n’était pas encore venu. Pour beaucoup, au sein de la rédaction du Parisien, la coupe est pleine. Les signataires attendaient dans le courant de la journée de mercredi de savoir si le directeur des rédactions acceptait de les rencontrer, comme ils en avaient fait la demande. Mais, selon les nombreux témoignages que nous avons recueillis, il est peu probable que l’affaire en reste là. Beaucoup demandaient la tenue d’une assemblée générale ou le vote d’une motion de défiance à l’encontre de la direction de la rédaction. Au sein de la SDJ comme de certains syndicats de journalistes, en particulier le SNJ, l’idée a par ailleurs cheminé d’exiger la suppression de l’éditorial du journal, qui a transformé le Parisien en instrument de propagande, surfant sur le travail de la rédaction, mais en le dévoyant «au service d’on ne sait quels intérêts » – selon la formule allusive utilisée par les signataires. C’est-à-dire, pour parler clair, au service d’intérêts clairement identifiés, ceux du richissime actionnaire du journal et de ses amis politiques. Aux dernières nouvelles, une réunion devrait avoir lieu jeudi 4 mars en milieu de journée, rassemblant l’intersyndicale, la SDJ, le collectif des femmes et Jean-Michel Salvator. Le SNJ comptait y demander l’arrêt de l’édito. La prise de position claire et nette de la rédaction du Parisien retient d’autant plus l’attention qu’elle contraste avec le comportement d’une bonne partie de la presse mainstream. À l’évidence, la condamnation, lundi 1er mars, de Nicolas Sarkozy à trois ans de prison dont un ferme pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire dite « Paul Bismuth » est en effet un événement historique dans la vie politique et judiciaire française. Dans l’histoire de la Ve République, c’est la première fois qu’un ancien chef d’État est condamné pour des faits aussi graves. Le seul précédent est celui de Jacques Chirac, mais ce dernier, longtemps protégé par son statut de chef de l’État, ne fut condamné que trente ans après les délits qui avaient été retenus contre lui. En toute logique, la presse pouvait donc être encline à souligner qu’il s’agissait d’un événement exceptionnel, méritant réflexion. C’est ce que mon confrère Fabrice uploads/Finance/ article-944731.pdf
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- Publié le Sep 02, 2022
- Catégorie Business / Finance
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