Gazette du Palais juin 2020 (pages 58 à 61) LA REVISION TRIENNALE POST-COVID 19
Gazette du Palais juin 2020 (pages 58 à 61) LA REVISION TRIENNALE POST-COVID 19 : GARE AUX EPINES ! La question se pose de savoir si l’épidémie de Covid-19 est un bon motif, pour les preneurs, d’obtenir la fixation d’un loyer révisé à la baisse. Il semble que le chemin pour y parvenir soit étroit et semé d’embuches… Ord. n°2020-306, 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période : JO, 26 mars 2020 Ord. n°2020-316, 25 mars 2020, relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de Covid-19 : JO, 26 mars 2020 La crise du coronavirus a eu le mérite – si l’on ose dire – de stimuler la réflexion intellectuelle des auteurs en matière de baux commerciaux. A cet égard, la question du sort du loyer pendant et après la pandémie a alimenté les colonnes des revues. Au-delà des dispositions des ordonnances n°2020-306 et 2020-316 du 25 mars 2020 relatives aux prorogations de délais de paiement des loyers et charges, ainsi que des débats sur la force majeure ou l’exception d’inexécution et sur l’imprévision contractuelle, se pose la question du montant du loyer et de son évolution prévisible. Sur ce point et dans une économie de marché, nul ne peut prédire comment vont évoluer les loyers ; cela dépendra évidemment de la loi de l’offre et de la demande, laquelle va se diviser en une multitude de micromarchés. Les effets négatifs du Covid-19 sur les plus fragiles et la mise sous cloche de l’économie auront eu au moins un effet positif, celui de créer chez les consommateurs une épargne forcée dont les effets pourraient être positifs sur la consommation. Ce qui est certain, c’est que tous les commerçants ne profiteront pas de la même manière de cette épargne forcée et les plus fragiles vont connaître des difficultés, nonobstant les mesures gouvernementales de grande ampleur qui ont été adoptées. Dans ce contexte, certains commerçants pourraient être tentés de demander à leur bailleur une révision de leur loyer à la baisse, dans un premier temps amiablement puis, en cas d’échec de cette négociation, judiciairement sur le fondement de l’article L.145-38 du Code de commerce. Il est certain que dans une conjoncture économique difficile et pour les emplacements commerciaux les moins attractifs, les bailleurs auront intérêt à faire preuve d’une certaine souplesse, sous peine de se retrouver avec un local vacant difficile à relouer soit à l’occasion du dépôt de bilan de leur locataire, soit à l’occasion de l’échéance triennale suivant la demande de renégociation avortée du loyer. A cet égard, force est de constater que, depuis quelques années, les enseignes n’hésitent plus à se séparer de locaux non rentables à l’occasion soit de périodes triennales, soit en fin de bail, en délivrant des congés secs, démontrant par là même qu’en quelques années, le bail ne constitue plus un outil de capital mais un outil de travail. Néanmoins, la question se pose de la possibilité pour les preneurs de faire réviser leur loyer de manière judiciaire. Il semble qu’une telle opportunité s’avère complexe et aléatoire. Aux termes de l’article L.145-38 du Code de commerce : « La demande en révision ne peut être formée que 3 ans au moins après la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. La révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision. De nouvelles demandes peuvent être formées tous les 3 ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable. Par dérogation aux dispositions de l’article L.145-33, et à moins que ne soit rapportée la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (…) intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer. (…) En aucun cas il n’est tenu compte, pour le calcul de la valeur locative, des investissements du preneur ni des plus ou moins-values résultant de sa gestion pendant la durée du bail en cours. » Ainsi, 3 ans après la date de prise d’effet du bail (nouveau ou renouvelé) ou 3 ans après une nouvelle fixation amiable ou judiciaire du loyer, le bailleur ou le preneur peut demander la révision de son loyer à la hausse ou à la baisse. Cette demande doit être formulée soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, soit par acte d’huissier. Si la demande est accueillie favorablement, la valeur locative sera déterminée par le juge à la date à laquelle la demande de révision aura été notifiée. Or, au-delà de la recevabilité de la demande liée au délai de 3 ans susvisé, celle-ci, pour être admise, suppose : - que soit apportée la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de plus de 10 % de la valeur locative ; - en outre et à défaut de faire cette démonstration, le retour à la valeur locative du loyer serait inefficace, en présence d’une clause d’indexation dans le bail ; - enfin, on rappellera que les baux comportant des clauses recettes sont exclus du mécanisme de la révision triennale. Telles seront les trois parties de notre analyse. 1. La preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de plus de 10% de la valeur locative. La première question que devra se poser le juge des loyers commerciaux, s’il venait à être interrogé, est celle de savoir si la crise sanitaire actuelle est assimilable à une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité. En raison de la règle d’intangibilité des contrats, la modification matérielle doit être exceptionnelle et notable. Une modification matérielle suppose, à l’évidence, une transformation de la commercialité résultant d’éléments concrets. Bien évidemment, la fermeture définitive de nombreux commerces dans une zone déterminée pourrait constituer une modification de la commercialité pouvant donner lieu à la révision du loyer, à la condition toutefois qu’elle soit la conséquence d’éléments concrets comme la fermeture d’un parking ou une démolition de logements ayant une incidence sur les commerces de proximité… Sur ce point, la jurisprudence a toujours considéré qu’à défaut de démontrer l’existence d’une modification portant sur « des éléments concrets existants », la demande ne pouvait prospérer. A fortiori, l’action est difficilement envisageable dans l’hypothèse d’une fermeture de commerces résultant d’une mesure gouvernementale ayant touché la France entière, alors que la loi exige de retenir une modification des facteurs locaux de commercialité, c’est-à-dire ceux dépendant d’une zone géographique considérée, ce qui exclut nécessairement la prise en compte d’un évènement national, voire mondial en l’occurrence. On rappellera à cet égard que la jurisprudence a, dans le passé, exclu la prise en compte d’éléments de commercialité pris au niveau d’une agglomération entière, au motif qu’ils ne constitueraient pas une modification des facteurs locaux de commercialité. Ainsi, il appartiendra au demandeur de démontrer que la pandémie constituerait en elle-même une modification matérielle et qu’elle aurait eu une incidence au niveau local. La démonstration paraît à l’évidence compliquée. Mais quand bien même, en dépit de la rédaction du texte et pour le seul plaisir du raisonnement intellectuel, on considérerait que la fermeture des magasins liée au Covid-19 constituerait une modification matérielle, et qu’elle aurait entraîné une modification des facteurs locaux de commercialité, encore faudrait-il que le preneur démontre que cette modification aurait, par elle-même, entraîné une baisse de la valeur locative de plus de 10 %. Or une telle démonstration peut s’avérer périlleuse dans la mesure où les tribunaux admettent que la baisse des valeurs locatives liée à la conjoncture économique générale ne peut caractériser une évolution matérielle des facteurs locaux de commercialité. De plus, si la demande est faite trop tôt, c’est-à-dire pendant la période de fermeture ou immédiatement après la réouverture des commerces, cela sera peine perdue car le marché n’aura pas eu le temps de traduire l’incidence de cette fermeture sur les valeurs locatives. Comment, dans cette hypothèse, pourrait être démontrée la modification substantielle exigée qui aurait entraîné une variation de plus de 10 % de la valeur locative ? La preuve d’une telle variation sera à l’évidence difficile à apporter dès lors qu’elle devra être appréciée entre le loyer applicable à la date de prise d’effet du bail (nouveau ou renouvelé) ou 3 ans après le jour d’une nouvelle fixation du prix du loyer, et le loyer tel qu’il devrait être fixé à la date de la demande de révision. Or si le loyer d’origine a été fixé au prix du marché, il est certain qu’à la date de la demande de révision, la valeur locative sera inférieure de plus de 10 %, ne serait-ce que uploads/Finance/ article-andre-jacquin-revision-triennale.pdf
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- Publié le Dec 17, 2022
- Catégorie Business / Finance
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