EPUIS LONGTEMPS, la réforme du régime commercial compte parmi les politiques mi

EPUIS LONGTEMPS, la réforme du régime commercial compte parmi les politiques mises en œuvre pour favoriser l’efficacité de l’économie, le développement de nouveaux marchés et la croissance. Pourtant, après plus de cinquante ans de négociations commer- ciales,l’économie mondiale est encore entravée par des barrières importantes dont la suppres- sion pourrait sans doute profiter à tous. Les restrictions perdurent, car elles sont un moyen commode et opaque pour les États d’avantager économiquement certains groupes. Même si la libéralisation des échanges entraîne une élé- vation du niveau de vie à moyen terme, les groupes jusque-là avantagés par ces protec- tions peuvent voir leur revenu diminuer et la restructuration de l’économie qui s’ensuit provoquer des bouleversements économiques à court terme. Une prise de conscience de plus en plus nette s’opère au sujet de certaines des victimes des réformes commerciales, à savoir les plus pauvres, ceux qui disposent de moyens plus limités pour se protéger des vicissitudes de la vie et qui sont donc moins aptes que leurs concitoyens à supporter les coûts de l’ajuste- ment. Une perte de revenu même transitoire peut empêcher un pauvre de «créer du capital humain» en s’instruisant, en se soignant et en s’alimentant mieux; elle peut donc diminuer ses chances d’échapper à la pauvreté. La vul- nérabilité des pauvres justifie d’évaluer plus soigneusement l’impact de la libéralisation des échanges sur ces individus et de réfléchir aux moyens d’en minimiser les effets négatifs. Les effets de la libéralisation La libéralisation des échanges peut influer sur le niveau de vie des pauvres • en modifiant le prix des biens échangeables et en facilitant l’accès aux nouveaux produits; • en modifiant le salaire relatif de la main- d’œuvre qualifiée et non qualifiée ainsi que le coût du capital, ce qui a une incidence sur l’emploi des pauvres; • en modifiant les recettes publiques is- sues des taxes sur le commerce et donc la ca- pacité de l’État à financer des programmes en faveur des pauvres; • en modifiant les incitations à investir et à innover, ce qui influe sur la croissance économique; • en modifiant la vulnérabilité d’une éco- nomie aux chocs extérieurs négatifs. Prix et disponibilité des produits. La libérali- sation des échanges profite aux pauvres de la même manière qu’à la plupart des autres caté- gories, en abaissant le prix des importations et en maintenant le prix des produits de substitu- tion aux importations à un niveau peu élevé, d’où une hausse des revenus réels. Les produits importés dont les pauvres peuvent avoir le plus besoin sont les aliments de base, les médica- ments et autres produits médicaux ou sani- taires de base, les vêtements usagés, etc. Les pauvres peuvent aussi retirer des avantages si- gnificatifs de la levée des taxes sur les expor- tations ou des interdictions d’exporter dans la mesure où leur production (généralement agricole) est axée sur l’exportation. Un régime commercial ouvert permet aussi d’importer des technologies et des procédés utiles aux pauvres (conditionnement des denrées péris- sables légères conservables à température am- biante, produits pour la stérilisation chimique de l’eau, semences et engrais sélectionnés, etc.). Le Sommet africain d’avril 2000 contre le palu- disme donne un exemple des retombées con- crètes et immédiates de la libéralisation des échanges : les chefs d’État du continent se sont engagés à réduire ou à supprimer les taxes et tarifs douaniers sur les moustiquaires, les in- secticides, les antipaludiques et autres biens et Commerce international et réduction de la pauvreté G e o f f r e y J . B a n n i s t e r e t K a m a u T h u g g e En quoi la libéralisation des échanges affecte-t-elle les pauvres et comment les protéger de ses effets à court terme négatifs? Finances & Développement / Décembre 2001 48 D services nécessaires à la lutte contre l’infection paludéenne. Cer- tains éléments indiquent en outre que la libéralisation des im- portations de vêtements usagés peut également améliorer les conditions de vie des pauvres. Salaires et emploi. La théorie des échanges montre comment la libéralisation influe sur les salaires et l’emploi dans des condi- tions très particulières qui, dans la pratique, sont rarement véri- fiées. Pour une analyse plus générale, mieux vaut donc s’appuyer sur des études empiriques. Celles-ci suggèrent qu’au moins deux facteurs déterminent de façon directe l’impact de la libérali- sation des échanges sur les salaires et l’emploi des pauvres. Pre- mièrement, en fonction de la flexibilité des marchés du travail, la réforme commerciale peut avoir des répercussions soit sur l’emploi, soit sur les salaires. Lorsque la législation du travail empêche les entreprises d’ajuster leurs effectifs, la majeure partie de l’ajustement aux variations du prix relatif des produits se traduit par des variations des salaires réels. Quand la législation relative au salaire minimum interdit les ajustements de salaire à la baisse mais que la main-d’œuvre est très mobile, les ajuste- ments prennent alors la forme de mouvements d’effectifs. Dans les pays en développement, les pauvres vivent en milieu rural et dans les zones urbaines marquées par l’économie in- formelle (pan d’une économie représenté par les entreprises qui ne sont ni immatriculées ni enregistrées d’une quelconque manière officielle), où le marché du travail fonctionne le plus souvent avec une extrême souplesse (du fait, généralement, de l’absence de réglementation) et se distingue par la forte élasti- cité de l’offre de main-d’œuvre. Les salaires sont normalement déterminés en fonction du revenu minimum de subsistance en zone rurale ou urbaine ou selon les autres emplois disponibles. On peut donc s’attendre à ce que l’ajustement aux chocs com- merciaux se traduise principalement par des variations de l’emploi. Le cas échéant, le coût de la réforme commerciale peut être élevé et une aide de l’État se révéler nécessaire afin d’en atténuer l’impact pour les pauvres. Deuxièmement, selon la configuration initiale du système de protection, sa suppression n’avantage pas les mêmes : quand la configuration favorise les travailleurs non qualifiés de l’agriculture et de l’industrie manufacturière légère (cas du Mexique au début des années 80), la suppression des barrières commerciales peut entraîner une baisse des salaires relatifs dans ces segments-là de la population active. Recettes publiques et programmes en faveur des pauvres. Partout on craint que les réformes du régime de commerce ne provoquent une diminution des recettes publiques liée à la baisse des taxes et que les États, pour préserver la stabilité macroéconomique, ne réduisent les dépenses sociales ou créent de nouveaux impôts susceptibles de pénaliser les pauvres de manière excessive. Pourtant, durant les phases initiales de libé- ralisation des échanges, le remplacement des obstacles non tarifaires par des droits de douane et l’élimination des exonéra- tions font généralement augmenter les recettes budgétaires. De même, quand le droit initial est prohibitif, son abaissement peut amplifier les flux d’échanges, donc gonfler les recettes. En outre, la diminution des droits élevés atténue l’attrait de la contrebande et de la corruption, ce qui peut accroître le volume des marchandises enregistrées et donc, là aussi, les recettes de l’État. Enfin, une simplification du régime vers un barème plus unitaire, limité à quelques tarifs, peut accroître la transparence et faciliter l’administration fiscale, ce qui améliore les recettes. Durant les phases ultérieures de la réforme, en revanche, l’abaissement des tarifs peut peser sur les recettes publiques. Il peut alors falloir réformer la fiscalité intérieure (introduire, en particulier, des impôts à assiette plus large ou créant moins de distorsions), ou modérer les dépenses pour maintenir la stabi- lité macroéconomique afin de minimiser les effets néfastes de la réforme sur les pauvres. Investissement, innovation et croissance. Pour envisager une réduction durable de la pauvreté, il faut savoir si le pays bénéficie d’une croissance économique vigoureuse à laquelle les pauvres peuvent participer. Les réformes commerciales peuvent influencer la croissance principalement en atténuant l’orientation anti-exportations de la politique commerciale et en permettant une affectation plus efficace des ressources. Toutefois, ce gain d’efficacité n’est pas récurrent et n’influe pas forcément sur la croissance à long terme. La libéralisation des échanges peut modifier le taux de croissance à long terme en incitant à investir. De surcroît, les réformes commerciales sti- mulent généralement l’investissement direct étranger, avec des retombées positives des technologies avancées et des nouvelles pratiques commerciales qui prennent la forme de gains de pro- ductivité globale et de croissance pour les entreprises nationales. Des études empiriques récentes (par exemple celles de Rodri- guez et Rodrik, 1999) suggèrent que la relation entre libérali- sation des échanges et croissance est complexe et, notamment, que les effets sur la croissance de toute réforme du régime de commerce dépendent de l’existence d’autres politiques macro- économiques et structurelles et de la création d’institutions appropriées. Par exemple, les études portant sur plusieurs pays contiennent une variable systématiquement liée au taux de croissance, à savoir la prime de change en vigueur sur le marché parallèle, ce qui indique que la surévaluation de la monnaie peut être un frein important à la croissance. Il s’ensuit que toute réforme commerciale entreprise en l’absence d’autres réformes macroéconomiques et de change appropriées (pour améliorer la compétitivité) est uploads/Finance/ banniste.pdf

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  • Publié le Oct 05, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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