3 Banque & Droit nº 126 juillet-août 2009 L’application du taux effectif global

3 Banque & Droit nº 126 juillet-août 2009 L’application du taux effectif global aux contrats de financement islamique La structuration d’opérations de financement conformes à la Charia et régies par le droit français se heurte à la problématique de la mention du taux effectif global (TEG). En effet, tout contrat qualifié, en droit français, d’opération de crédit est soumis aux dispositions impératives sur le TEG, l’une d’entre elles étant de mentionner par écrit ce dernier. Or, la finance islamique interdit la stipulation de l’intérêt. Par conséquent, la mention du TEG risquerait-elle de rendre l’opération non conforme aux préceptes de l’Islam ? A ux termes de l’article L. 313-2 du Code de la consommation, le taux effectif global (TEG) doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt. Toute infraction aux dispositions de l’article L. 313-2 du Code de la consommation est punie d’une amende de 4 500 euros. Contrairement aux dispositions relatives à l’usure, celles ayant trait au TEG s’appliquent indistinc- tement aux professionnels et aux non-professionnels. Selon l’article L. 313-1 du Code de la consommation, le TEG doit être calculé de façon à représenter le coût réel total du crédit. Il doit également permettre à l’emprun- teur de comparer les différentes offres de prêt proposées par des établissements de crédit 1, ainsi que de vérifier si le taux proposé n’est pas usuraire au sens de l’article L. 313-3 du Code de la consommation. Le TEG a donc à la fois un objectif de protection des non-professionnels contre l’usure, mais également une finalité informative et de transparence. 1. J. Huet, Traité de droit civil, « Les Principaux contrats spéciaux », edit. LGDJ, p. 1005. Contrat de prêt et opération de crédit Le droit français ne prévoit pas de définition générale du contrat de prêt. Le Code civil prévoit deux sortes de prêt : le prêt à usage (commodat) et le prêt de consommation. Néanmoins, l’article 1905 dispose qu’il est permis de stipuler l’inté- rêt en matière soit de prêt d’argent, soit de prêt de den- rée ou autres choses mobilières 2. Quant à la doctrine, elle définit le prêt comme étant un contrat « par lequel l’une des parties, le prêteur, met à la disposition de l’autre, l’emprunteur, une chose pour son usage, à charge de restitution » 3. Concernant les opérations de crédit, le droit français les définit à l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier comme étant « tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement ou une garantie ». L’alinéa 2 du même article dispose que « le crédit-bail et de manière générale, toute opération de location assortie d’une option d’achat, sont assimilés à des opérations de crédit », ceci en raison du ratio legis qui y assimile les garanties ban- caires et les opérations assorties d’une option d’achat. Sont des opérations de crédit non seulement des opéra- tions de prêt à intérêts, mais également des opérations d’affacturage, de cession de créance par bordereau Dailly, d’escompte, de découvert en compte 4. Il apparaît alors que si toute opération de prêt à intérêts est une opération de crédit 5, toute opération de crédit n’est pas une opération de prêt à intérêts 6. Doit-on alors comprendre que l’obligation de men- tionner le taux effectif global, telle que prévue à l’arti- 2. Voir le régime juridique de la prohibition de l’intérêt en droit musulman, I. Z. Cekici, La prohibition islamique de l’intérêt et les opérations de crédit islamiques en France, Revue Lamy Droit des Affaires, octobre 2008, p. 107. 3. « Lexique des termes juridiques », Dalloz 10e édition. 4. Rép. Min. n° 4067, JOAN Q 27 janvier 2003, p. 600. 5. M. Vasseur, « Droit et économie bancaire, Les cours du droit, Institutions bancaires », Fasc. I-A, 4e édition, 1985-1986, p. 74. 6. Juris Classeur Banque, Crédit et Bourse, fascicule 50, F. Peltier et E. Fernandez-Ballo, v.3/2005, p. 8. Chucri Joseph Serhal Avocat, département financier, financement de projets Gide Loyrette Nouel AARPI Ibrahim Zeyyad Cekici Enseignant- chercheur ; coresponsable du diplôme Finance islamique, Université de Strasbourg 4 Banque & Droit nº 126 juillet-août 2009 la nouvelle réforme du droit des entreprises en difficulté cle L. 313-1 et L. 313-2 du Code de la consommation, ne s’applique qu’aux contrats de prêt à intérêts, ou bien cette obligation s’étend-elle plus généralement à toute opération de crédit ? Champ d’application du TEG Selon la doctrine, « la fixation par écrit du taux effectif glo- bal n’est pas exigée seulement pour le prêt au sens étroit du terme, mais pour toute forme de crédit au sens de l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier » 7. Cette notion de contrat de prêt, telle que désignée à l’article L. 313-2 du Code de la consommation, doit être entendue largement : « Il en est ainsi des prêts et crédits sous toutes formes, dont les avances, les découverts en compte, l’escompte d’effets de commerce ou de créances professionnelles » 8. Il ressort ainsi que le champ d’application de l’obligation de mentionner le TEG s’étend à toute opération de crédit au sens large, exception faite toutefois du crédit-bail. Application du TEG aux opérations de financement islamique Aux termes de l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier, deux éléments cumulatifs conditionnent la qualification d’une opération d’opération de crédit : une mise à disposition de fonds et le caractère onéreux de l’opération. La mise à disposition de fonds peut prendre différen- tes formes, et ne se limite pas aux seules opérations de prêt à intérêts. En effet, « la notion d’opération de crédit […] recouvre diverses opérations juridiques (prêt, avance, découvert, escompte, etc.) » 9. Concernant le caractère onéreux, il repose sur toute forme de rémunération « directe ou indirecte, voire sur une indexation du capital, et non pas uniquement sur de l’intérêt » 10. Ainsi, toute opération de financement islamique répon- dant aux deux critères précités, à savoir la mise à disposi- tion de fonds, et ce d’une façon onéreuse, entre donc dans le champ d’application des règles relatives au TEG. La compatibilité de la détermination du TEG avec l’interdiction du riba L’un des piliers de la finance islamique est l’interdiction de la stipulation de l’intérêt (riba). Cela ne veut pas dire pour autant que la simple men- tion d’un TEG dans un contrat est susceptible de rendre « l’opération nulle vis-à-vis des règles de l’Islam. 7. « Droit bancaire », 7e ed., C. Gavalda et J. Stoufflet, n° 516, p. 288 8. Dominique Schmidt et Paul Lutz, Réflexions sur les articles 1907 alinéa 2 du Code civil et 4 de la loi du 28 décembre 1966, Revue de droit bancaire et de la bourse, n° 9, septembre/octobre 1988, p. 143 9. J.-L. Rives-lange et Mme Contamine-Raynaud, « Droit bancaire », Précis Dalloz, 6e édition, 1995, n° 389, p. 387. 10. Guillen, « Lexique des termes juridiques », édition Dalloz, 1995 En effet, dans le cadre d’une opération de mourabaha (achat-revente), les jurisconsultes de l’Islam 11 acceptent que le profit soit calculé sur la base d’un indice de réfé- rence de taux d’intérêts 12, par exemple le Libor ou l’Euri- bor. Un éminent jurisconsulte, président du comité Cha- ria de l’AAOIFI 13, considère que « dans une mourabaha, le profit déterminé sur la base d’un benchmark de taux d’intérêts ne rend pas l’opération haram 14 dans la mesure où le contrat se conforme aux principes de l’Islam et respecte les conditions impo- sées par la Charia » 15. La finance islamique, fondée sur une certaine concep- tion de l’éthique dans les affaires, préconise et encourage toute forme de communication d’informations permet- tant aux parties de mesurer le risque et le coût afférent à la transaction. Dans ce sens, la Charia ne peut qu’adhé- rer à la finalité « éthique » qui réside également derrière les motivations du législateur français pour imposer la mention du TEG dans toute opération de crédit. Opérations bancaires islamiques Dans le cadre de cette étude, nous allons nous intéres- ser aux contrats les plus utilisés dans la pratique par la finance islamique, à savoir l’ijara (location), la mousha- raka (prêts participatifs), la moudaraba (commandite) et la mourabaha (achat-revente). Ijara (location) L’ijara est un contrat de location qui peut également, selon la Charia, prendre la forme d’une location-vente (ijara muntahia bittamleek) ou d’un crédit-bail (ijara wa- iqtina). Même si le second alinéa de l’article L. 313-1 du Code Monétaire et financier « assimile à des opérations de crédit le crédit-bail, et, de manière générale, toute opération de location assortie d’une option d’achat », la jurisprudence a considéré que le crédit-bail est en dehors du champ d’ap- plication du TEG tel que prévu à l’article L. 313-2 du Code de la consommation. Dans un arrêt en date du 12 novem- bre 1979, la chambre criminelle de la Cour de cassation se prononce sur la nature juridique du crédit-bail en affir- uploads/Finance/ banque-amp-droit-juillet-aout-2009.pdf

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  • Publié le Mai 04, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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