Chapitre 1 : Les grandes entreprises et la globalisation La notion de globalisa
Chapitre 1 : Les grandes entreprises et la globalisation La notion de globalisation1 est très fréquemment reprise, aussi bien par les politiques, journalistes et dirigeants d’entreprise que par les chercheurs en économie ou en sciences sociales. La plupart du temps employée de façon assez abstraite et connotée – soit comme un fléau, soit comme une opportunité – elle se caractérise d’abord par un manque de définition précise. Souvent, elle est assimilée à une force quasi naturelle et extrapolitique. De tel sorte que l’on éprouve les plus grandes difficultés à distinguer ce à quoi elle renvoie précisément dans la réalité et à évaluer ses conséquences sur le monde du travail. Pourtant, la globalisation paraît générer un certain nombre de manifestations directes sur les entreprises qui sont loin d’être réductibles à sa dimension purement financière – même si celle-ci demeure l’une de ses caractéristiques principales aujourd’hui. Ainsi, la globalisation recouvre des politiques économiques spécifiques, des réformes financières, des institutions économiques internationales, un accroissement de l’internationalisation des échanges de biens et de services, des modifications de la structure du capital des entreprises, des stratégies et organisations productives typiques ou encore une progression de l’incertitude de l’activité. C’est pourquoi, avant d’exposer quelles pourraient être les conditions d’un desserrement des contraintes auxquelles sont soumises aujourd’hui les organisations productives, il convient au préalable d’examiner les origines de leurs manifestations. Plus précisément, l’objectif de ce chapitre est de décrire les expressions concrètes de la mondialisation financière à travers les grandes entreprises aujourd’hui. Il s’agira dans un premier temps de montrer comment s’est effectuée l’émergence du capitalisme financier qui caractérise notamment le contexte économique dans lequel évoluent les entreprises et qui correspond à la globalisation. Ensuite, deux sections seront consacrées aux nouveaux modes de financement des entreprises et à leur internationalisation croissante en tant qu’expressions de la firme globalisée. La quatrième section permettra d’aborder les formes de contrôle et de gestion des organisations productives impliquant la mise en œuvre de stratégies spécifiques. Enfin, le chapitre s’achèvera par l’évocation des crises et défaillances de la mondialisation financière susceptibles d’accroître sensiblement les risques pour les salariés. Tout au long de ce développement, une illustration concrète de cette emprise de la financiarisation de l’économie sera apportée à l’aide d’exemples de quatre cas d’entreprises qui appartiennent aux domaines de l’aérospatial, des télécommunications, de l’industrie pétrolière et de l’ingénierie nucléaire et que nous avons respectivement renommées Satel, Electra, Carburo et Nucléus. 1 – L’émergence d’un capitalisme financier Les formes prises par le capitalisme varient selon les périodes historiques. C’est pourquoi la présente section se donne pour objet d’étudier la constitution historique de la configuration actuelle du capitalisme. Ce qui suppose de rappeler que la mondialisation est indissociable de la dynamique du capitalisme et qu’elle nécessite d’être qualifiée avec précision afin de bien comprendre ce qui en fait toute sa spécificité aujourd’hui. Ensuite, les formes historiques revêtues par le capitalisme d’une époque à l’autre ne suivent pas un mouvement naturel et inéluctable mais relève bien d’une dynamique politique. Ce constat amènera à repérer les 1 Tout au long de ce premier chapitre, on utilisera les termes de globalisation ou de capitalisme financier pour décrire les diverses mutations dont a fait l’objet le capitalisme contemporain au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. décisions politiques qui, à travers des réformes financières et des politiques économiques d’orientation néo-libérale, ont conduit à la constitution de la globalisation à partir de la fin des années 1970. Enfin, cette section se concentrera sur l’une des manifestations saillantes de l’avènement de la globalisation au niveau des organisations productives, c’est-à-dire la privatisation de leur capital. Capitalisme et mondialisation La notion de mondialisation employée sans qualificatif demeure insuffisante pour pouvoir caractériser avec précision le contexte économique international dans lequel évoluent les grandes entreprises aujourd’hui. En effet, loin d’être un phénomène nouveau, la mondialisation économique serait inhérente au capitalisme. Depuis sa naissance au XVe siècle, le capitalisme se serait toujours déployé dans une perspective internationale, outrepassant les frontières de ses pays originels. Les travaux de F. Braudel (1993) ont par exemple bien montré le rôle moteur joué par les « économie-mondes » dans la dynamique d’extension du capitalisme au cours des siècles. La description de l’émergence du capitalisme depuis le XVe siècle par M. Beaud (2000) confirme également cette nécessité des capitalismes nationaux de fonctionner et de se développer à l’échelle mondiale, ce qui vient donner corps à la notion d’impérialisme. La dimension intrinsèquement internationale du capitalisme rend par conséquent insuffisamment explicite l’emploi seul de la notion de mondialisation si l’on veut préciser son évolution historique et ses formes actuelles. Les phénomènes qu’elle désigne sont en effet complexes et multidimensionnels, ce qui implique d’en rappeler les composantes principales. De fait, outre sa consubstantialité avec le capitalisme qui fait traditionnellement reposer sa définition sur les échanges de biens et de services au niveau mondial, C.-A. Michalet explique que la configuration de la mondialisation dépend également de deux autres facteurs : la mobilité des unités de production, avec l’exemple typique des délocalisations et le rôle des capitaux financiers. C’est l’ampleur respective de chacune de ces trois composantes principales et les combinaisons particulières qu’elles forment selon les époques qui vont permettre de déterminer les différentes figures de la mondialisation économique. Plus particulièrement, c’est la prépondérance prise par les échanges de capitaux financiers sur les deux autres composantes à partir des années 1980 qui justifie désormais d’employer le concept de globalisation. L’ampleur prise par la financiarisation de l’économie conduit à parler d’un « nouveau capitalisme » (Plihon, 2004), c’est-à-dire d’un système dont la dynamique s’appuierait sur la globalisation, mais également sur le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC), des entreprises transnationales ou encore du marché en tant que mode principal de régulation. Les étapes de la globalisation : politiques économiques et réformes financières L’émergence de la globalisation ne résulte pas d’une évolution naturelle et incontrôlée de l’économie vers un horizon indépassable que serait le marché mondial, comme le laissent entendre certains auteurs (Fukuyama, 1993 ; Minc, 2000). Tout au contraire, elle est le produit d’une série de mesures politiques et de réformes financières précises sur lesquelles il importe de revenir. Ainsi, afin de bien comprendre le processus d’émergence de la globalisation et ce qui en fait sa spécificité, C.-A. Michalet inscrit la globalisation dans un mouvement historique et politique de fond composé de trois périodes d’importances inégales et correspondant à trois configurations distinctes des composantes principales de la mondialisation. L’auteur repère une première configuration de la mondialisation économique – la plus longue – qui démarre des débuts du capitalisme jusqu’au milieu des années 1960 et qu’il qualifie d’« inter-nationale ». Dans cette première phase, la dimension des échanges commerciaux semble largement prévaloir sur les autres aspects de la mondialisation tels que la mobilité des unités de production ou la circulation des capitaux financiers. Au cœur de ce mécanisme marchand prédominant se situe la spécialisation internationale des territoires nationaux qui repose sur les disparités de productivités sectorielles d’un pays à l’autre. Une telle spécialisation nécessite l’immobilisation des unités de production entre les différents pays. D’autre part, la régulation de cette phase se caractérise par la souveraineté des États-nations sur les marchés des biens et des services. La meilleure illustration de cette régulation étatique de l’économie mondiale est l’établissement d’une gouvernance publique internationale au sortir de la Seconde Guerre mondiale avec la signature des accords de Bretton Woods en 1944. Ces accords consistent en la mise en place d’un nouveau système monétaire destiné à prévenir les crises monétaires susceptibles d’être responsables de différents maux comme le chômage ou les guerres. Afin d’assurer une certaine stabilité économique, cette nouvelle architecture monétaire repose sur l’instauration de taux de changes fixes entre monnaies, le dollar devenant une devise internationale en étant doté d’une convertibilité en or (le « Gold Exchange Standard ») et accordant la possibilité aux pays industrialisés d’exercer un contrôle sur les marchés, quels qu’ils soient. A partir du milieu des années 1960, une seconde phase, transitoire cette fois-ci, va se faire jour en assurant le passage de la « configuration inter-nationale » de la mondialisation à sa « configuration globale », ou globalisation. C’est d’ailleurs à partir de cette période que date le franchissement des premières étapes de libéralisation et de déréglementation – adoptées par les principaux pays industrialisés –, conduisant à l’avènement de la globalisation. Pour définir cette phase de transition annonçant l’émergence de la globalisation, C.-A. Michalet parle d’une « configuration multi-nationale » de la mondialisation puisque commencent à prédominer les investissements directs à l’étranger (IDE) à travers une forte mobilité des activités économiques en dehors des pays d’origine. Ce mouvement touchera d’abord les multinationales américaines et britanniques, puis ensuite les multinationales européennes à partir du milieu des années 1970. Dans un contexte d’exacerbation d’une concurrence oligopolistique, la compétitivité par les prix et par les coûts devient un élément clé de la logique économique en place. Cela conduit les entreprises à mettre en œuvre différentes stratégies de délocalisation, à l’image de la stratégie de marché qui consiste à implanter des filiales relais uploads/Finance/ chapitre-1-bachet-floco.pdf
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- Publié le Mai 20, 2021
- Catégorie Business / Finance
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