1 LA CRISE FINANCIÈRE : ASPECTS JURIDIQUES CONFÉRENCE ASSOCIATION DROIT ET COMM
1 LA CRISE FINANCIÈRE : ASPECTS JURIDIQUES CONFÉRENCE ASSOCIATION DROIT ET COMMERCE TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS - 25 MAI 2009 PAR ARLETTE MARTIN-SERF* Introduction On voit toujours mieux avec du recul. La crise financière remonte à plus de deux ans, ses causes, ses conséquences et rebondissements sont apparus progressivement. Il est maintenant incontesté que la cause première était économique : un excès de liquidité monétaire aux Etats-Unis créé par une politique monétaire trop souple de la Fed qui, en faisant considérablement baisser les taux d’intérêt après les attentats du 11 septembre 2001 – le taux des fonds fédéraux est même tombé à 1% en 2003 – a poussé les ménages et les entreprises à emprunter plus que de raison. La mondialisation a entraîné une globalisation des conséquences financières, boursières et économiques avec la plus grave crise économique depuis la dernière guerre. La débâcle financière aurait en effet miné l’ “économie réelle” – selon l’expression consacrée mais vide de sens – une économie réelle présentée comme vertueuse qui subirait une dégradation, entraînant elle-même une crise sociale dont les salariés seraient les innocentes victimes par ricochet. Tel est le schéma que la pensée dominante en économie présente actuellement pour résumer l’enchaînement tragique des événements qui se sont succédé depuis maintenant deux ans. Beaucoup s’évertuent également à comparer l’ampleur et l’intensité de la crise actuelle avec celle de 1929, pour en tirer des enseignements, donner des leçons de capitalisme éthique, et suggérer des traitements de choc, de nouveaux accords de Bretton Woods, une refondation du capitalisme, une nouvelle régulation et une supervision financières à l’échelle planétaire, et j’en passe. Entre ces deux phénomènes, ces deux extrémités qui relèvent de la macroéconomie, se sont intercalés des phénomènes politiques. Des choix politiques comme celui fait par les autorités de Washington de ne pas sauver Lehman Brothers –dont la faillite en septembre 2008 a joué le rôle de détonateur dans l’explosion * Arlette Martin-Serf est Professeur à l’Université de Bourgogne et Vice-Président de l’Association Droit et Commerce devant laquelle elle a prononcé le texte ici publié. ©Revue de Jurisprudence Commerciale – une revue de Thomson Reuters Mai / Juin 2009 - Numéro 3 Revue de Jurisprudence Commerciale Ancien journal des agréés Direction scientifique Bâtonnier Jean-Marie Leloup Etude 2 du système financier occidental et provoqué l’effondrement des bourses du monde entier- ou en sens inverse la tempête politique soulevée en mars 2009 par le sauvetage de l’assureur américain AIG(1), des réponses politiques comme les multiples plans adoptés Etat par Etat, parcellaires, sectoriels, limités dans le temps et dans l’espace et engageant des milliers de milliards de dollars ou d’euros(2), ou comme les déclarations successives des G3,G5,G7, G8 ou G20, influent sur le déroulement de la crise financière. Ces solutions ou déclarations politiques reflètent les dogmes de chacun : l’attachement au dogme libéral qui fait confiance au marché continue d’être l’apanage des anglo-saxons, qui privilégient les remèdes économiques, le “soft law” et des mécanismes incitatifs plutôt que coercitifs, alors que les pays de tradition romano-germanique veulent plus d’Etat, plus de réglementation, plus de régulation, à tous les niveaux. Et l’accouchement de nouvelles règles du jeu mondiales supposera in fine des abandons de souveraineté que de nombreux Etats ne sont pas prêts à accepter, et je ne parle pas des paradis bancaires et fiscaux ! Certaines répercussions politiques ou politiciennes sont également préoccupantes, alimentées par quelques scandales retentissants, y compris en France: des poussées de nationalisme, de populisme, de protectionnisme, la recherche de boucs émissaires comme les dirigeants d’établissements bancaires, les traders, les agences de notation, les rehausseurs de crédit, les hedge funds, les paradis fiscaux ou les règles comptables. Des analyses multiples et croisées sont donc indispensables pour comprendre et décrypter les causes et les effets de cette crise financière. Nous allons nous concentrer ici et maintenant sur les aspects juridiques les plus marquants, en reprenant le schéma causes-conséquences. I. Causes juridiques de la crise financière A. Financiarisation excessive du crédit et crise des “subprimes” a) Tout est parti des crédits hypothécaires américains à haut risque, les “sub- prime mortgages”, type de crédit immobilier utilisé dans les pays anglo- saxons, à côté des prêts classiques (prime)(3). Jusqu’en 2006 le marché immobilier a été très porteur aux Etats-Unis, dynamisé par une augmentation des prix de 15 à 18% par an. En 2003, les établissements de crédit ont commencé à accorder des prêts à taux variables(4) – censés compenser les risques de défaillance – à des millions de ménages non solvables(5), à partir d’un taux très bas de l’ordre de 1%. La remontée des taux d’intérêt (5, 23% pour le taux de base en 2006), combinée à la baisse des prix de l’immobilier(6), a enclenché l’engrenage, début 2007. Pris de court, les particuliers surendettés ne peuvent plus rembourser les banques, les défauts de paiement se multiplient, et le monde de la finance découvre le piège dans lequel il s’est lui-même enfermé : celui du “subprime”. Les saisies immobilières se multiplient, les prix s’effondrent, les maisons vidées, mises aux enchères, ne ©Revue de Jurisprudence Commerciale – une revue de Thomson Reuters Mai / Juin 2009 - Numéro 3 Etude 3 valent plus rien. Les banques américaines ont ainsi récupéré des millions de maisons, invendables, qu’elles essaient de louer faute de mieux. L ’organisme de refinancement de prêts hypothécaires American Home Mortgage, dans l’impossibilité de rembourser plus de 300 millions de dollars d’échéances arrivées à terme, l’annonçait en août 2007 et licenciait la quasi-totalité de ses 7000 salariés. Les banques américaines relevèrent leurs provisions pour créances immobilières douteuses de dizaines de milliards de dollars. b) Dissémination internationale des “subprimes” transformés en titres finan- ciers, produits dérivés des prêts immobiliers à risque par la technique de la titrisation(7) L ’opinion découvre en août 2007 le deuxième étage de la fusée “subprime” : les produits titrisés, qui permettent aux banques de compacter leurs créances, de les sortir de leur bilan et de les revendre à des investisseurs comme les fonds. Le recours quasi automatique des banques à des solutions d’externalisation du risque a ainsi créé un vrai marché du transfert du risque par le biais des dérivés de crédit et de la titrisation(8). Les agences de notation avaient fait la promotion de ces produits à haut rendement en les notant AAA, accélérant leur propagation dans les portefeuilles des établissements financiers(9), d’où l’emballement de la crise financière. La titrisation, en supprimant la traçabilité des créances et en allongeant les chaines de transaction, joue l’effet d’un poison qui se diffuse sans limite. Les créances hypothécaires irrecouvrables, devenues des déchets financiers toxiques incorporés dans des produits dérivés(10) qui devenaient eux-mêmes des actifs toxiques, se sont trouvées fractionnées et disséminées dans le monde entier, emportant le système bancaire mondial dans une spirale de dépréciations d’actifs. c) Effet amplificateur de la notion de “juste valeur” imposée par les normes comptables IFRS Aujourd’hui des voix s’élèvent pour remettre en cause l’évaluation à la valeur de marché (“mark to market”) du portefeuille de trading des banques, telle qu’imposée par les normes comptables IFRS. Cette représentation comptable aurait selon certains contribué à accélérer la crise financière, voire à la déclencher, en dégradant exagérément les résultats des banques, obligeant ces dernières à de nouvelles cessions d’actifs. En effet, trimestre après trimestre, en vertu des normes comptables IFRS, les banques ont dû revoir à la baisse dans leurs bilans la valeur des actifs comportant du “subprime” et passer des provisions considérables. A la fin du 1er semestre 2008, la dépréciation totale était déjà estimée à 400 milliards de dollars à travers le monde. La valeur de marché subit une décote très importante en raison de l’illiquidité ou de l’inexistence du marché des instruments financiers (actions, titres de créances, produits dérivés, etc.), tandis que leur valeur “économique” reste identique. ©Revue de Jurisprudence Commerciale – une revue de Thomson Reuters Mai / Juin 2009 - Numéro 3 Etude 4 B. Défaillance des contrôles tant internes qu’externes La supervision des établissements bancaires est une prérogative nationale, et il n’existe pas de régulateur supranational(11). En 1999, le Gramm-Leach-Bliley Act a abrogé aux Etats-Unis le Glass-Steagall Act de 1933 qui avait imposé la séparation légale des banques commerciales qui reçoivent les dépôts et des banques d’investissement qui garantissent les placements de titres en Bourse(12). L ’échec de la Securities and Exchange Commission (SEC), créée en 1934 et doyenne des autorités de régulation des marchés financiers, a remis en question le modèle international de surveillance des marchés et des banques d’investissement. L ’absence aux Etats-Unis de garde-fous tels que le concept de TEG, d’obligation de mise en garde et plus généralement de jurisprudence régulatrice en matière de responsabilité bancaire a aggravé le phénomène de la prise de risques par les emprunteurs. Les banques centrales nationales ont été impuissantes à prédire et prévenir la crise des “subprimes”, n’ont pas vu les risques portés par les banques qu’elles supervisaient(13). Pire, la Federal Reserve a une grosse part de responsabilité dans cette crise en raison de sa politique de taux directeur avant le krach immobilier aux Etats-Unis. C. Crise boursière concomitante à uploads/Finance/ conferencedroitetcommerce-25052009.pdf
Documents similaires
-
16
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 02, 2022
- Catégorie Business / Finance
- Langue French
- Taille du fichier 0.2819MB