RELIGIOLOGIQUES, no 10, automne 1994, pp. 255-270 LES BUTS DE LA DÉPENSE EN ISL

RELIGIOLOGIQUES, no 10, automne 1994, pp. 255-270 LES BUTS DE LA DÉPENSE EN ISLAM Ali Daher1 ___________________________________________________ Les actes humains sont généralement dirigés vers des buts déterminés. Pour les atteindre, l'homme utilise les différents genres de ressources qu'il possède. Il lui arrive parfois de faire appel à des fonds moraux comme l'honnêteté, la ponctualité, la sociabilité, etc. Car toute activité humaine demande une dépense des biens, du temps ou de la personne. Ce qui donne à la notion de dépense un rôle important et fait d'elle une activité sans laquelle la vie devient impossible. Les individus et les communautés sont différents. Les conditions dans lesquelles ils existent, leur histoire, leur culture, leur morale, etc. ne sont pas les mêmes. Les buts, qu'ils visent par leurs activités socio-économiques, diffèrent et dépendent d'une gamme d'éléments où la religion, avec ses multiples prescriptions et ordonnances, occupe une place et exerce une influence. Cela signifie que la façon d'utiliser les ressources est, partiellement, le reflet de la religion qui régit dans telle ou telle communauté. L'islam, comme les autres religions, possède des prescriptions en matière d'éthique du comportement économique et social. Ces prescriptions imposées s'occupent de différents aspects de la vie et visent à orienter les dépenses de l'individu. 1 Ali Daher prépare une thèse de doctorat en sciences des religions à l'Université du Québec à Montréal. Ali Daher 2 Le présent texte essaie d'étudier les buts qui résident derrière les activités du musulman en matière du comportement économique et social. Il vise plus particulièrement à étudier ce que le musulman tente d'atteindre en dépensant ses ressources selon les prescriptions du Coran. Les buts de la dépense en Islam 3 Classification des buts Les activités et les efforts exercés visent une fin. Les biens, le temps et les forces sont utilisées pour satisfaire les besoins humains ou pour servir à créer, à augmenter et à reconstituer les ressources. Les dépenses peuvent être divisées en deux catégories: dépense productive et dépense improductive. Georges Bataille (1967: 28) insère dans la première catégorie toutes les dépenses qui ont pour but la production, la conservation et la consommation nécessaire à la conservation de la vie et à la continuation de l'activité productive. Tandis que dans la deuxième catégorie entre le reste qui renferme une quantité de comportements humains économiques et sociaux, qui n'est pas ajustée à des calculs et qui s'échelonne de la guerre féroce destructrice jusqu'à l'amour tendre créateur, en passant par les cultes, les prières, les jeux, les danses, etc. Nous n'insistons pas sur les dépenses destinées à l'investissement. Ce sont les dépenses improductives mais prescrites, sur lesquelles insistent les religions, qui nous intéressent. Du point de vue rationnel, les ressources utilisées dans ces comportements économiques et sociaux sont dépensées inutilement et considérées comme un gaspillage. Georges Bataille (1967: 28) trouve que ces dépenses, conçues comme une «part maudite», «ont leur fin en elles-mêmes». Pour les religions, ces comportements constituent des pièces indisponibles de l'édifice sur lequel repose toute religion. Les croyants les utilisent largement et ne doutent point de leur utilité et leur rationalité. Chacun d'eux a un but qui diffère selon les religions. Mais nous pouvons les classer sous les trois groupes suivants: 1. les buts divins ou les buts qui visent à glorifier Dieu; Ali Daher 4 2. les buts humains ou les buts qui visent à satisfaire les besoins personnels du croyant dans la vie ici-bas et à faciliter la route du salut personnel qui le mène vers l'au-delà; 3. les buts communautaires. Les buts de la dépense en Islam 5 Les buts divins En Islam, la dépense est un comportement économique et social permis ou Halal. Dans le côté opposé se trouve l'épargne «qui a subit l'influence de l'interdiction de l'intérêt» (Ghanie Ghaussy, 1990: 46), ce qui le met près des actes considérés comme interdits ou Haram. Même la dépense devient parfois blâmée, quand elle dépasse une certaine limite.2 Mais ce n'est pas une règle générale. Car dans plusieurs situations, les exégètes donnent au gaspillage, un sens qui permet aux croyants de dépenser tout ce qu'ils possèdent, à condition que cet acte ait comme but la gloire de Dieu. En Islam, Allah est le seul propriétaire. Les croyants sont invités à rendre compte devant Lui de la façon dont ils ont géré les propriétés, qui ne sont pas des droits des individus mais sont destinées à servir «une fonction sociale» (Garaudy, 1981: 62).3 Le but de glorifier Dieu est universel et essentiel pour les religions. Chaque religion pense à le faire à sa manière. Max Weber (1964: 197) voyait que le protestantisme est une manière de comportement qui pousse à respecter les ressources et crée «un sentiment de responsabilité à leur égard, [le devoir] de les 2 Le Coran blâme les excessifs «(...) mangez et buvez; mais pas d'excès! Il n'aime pas les excessifs» (Coran 7: 31); «Et donne (...). Mais ne gaspille pas en gaspillage; — oui, les gaspilleurs sont frères des Diables; et le Diable est très ingrat envers son Seigneur.» (Coran 17: 26-27). 3 M. Hamshari (1985: 309) mentionne que selon Ibn Mass'oud et Ibn 'Abbas, le gaspillage est une dépense sans droit (droit est en arabe Haqq et Haqq est un des noms d'Allah, dépense sans haqq c'est-à- dire dépense outre que dans le chemin de Dieu). Tandis que Moujahid dit: si l'homme dépense tous ses biens conformément aux lois du devoir, il n'est pas gaspilleur; mais s'il dépense une petite portion sans droit il l'est. Quant à Kattadah il pense que le gaspillage est la dépense contre Dieu. Toutes ces opinions permettent la dépense excessive (le gaspillage), si elle est engagée dans le sentier de Dieu. Ali Daher 6 conserver intactes pour la gloire de Dieu» (Weber, 1964: 208). Cela veut dire que le protestant minimise les dépenses et réduit la part de la dépense dite maudite. Les buts de la dépense en Islam 7 Mais il n'est pas le même pour les autres dieux qui ne demandent pas à leurs fidèles d'accumuler les ressources dans le but de les glorifier. Ces dieux sont les créateurs des ressources qu'Ils désirent par la simple phrase: «Ainsi soit-il». Pour cela, ce qui Leur est le plus proche au cœur, c'est la gloire. Pour réaliser ce but, Ils demandent aux fidèles d'épuiser les ressources. Allah, Dieu de l'Islam, entre dans cette catégorie. Les musulmans sont invités à dépenser selon Ses désirs. Un Hadith4 sacré nous explique les désirs divins: «J'étais un trésor caché; J'ai désiré être connu; et c'est pourquoi J'ai créé le monde» (S. H. Nasr, 1975: 170). Ce Hadith sacré conjugué au verset coranique qui explique la cause de créer l'homme («Je n'ai créé les djinns et les hommes que pour qu'ils M'adorent» (Coran 51: 56)) nous révèlent l'essence de l'Islam qui se résume par la phrase suivante: «Tout est pour l'homme, mais l'homme est lui-même pour Dieu» (Hamidallah, 1986: 696). Le but est donc de glorifier Dieu. C'est le but de toutes les activités que les fidèles sont appelés à exécuter, sous la forme d'une série des prescriptions, appelés les piliers5 de l'Islam ou les cinq principaux (Ibadat)6 , devoirs, obligations ou adorations que le musulman doit observer. Ainsi le premier pilier, la profession de foi ou le Shahada, est une citation verbale par laquelle l'homme noue une alliance avec Dieu. C'est un témoignage qui introduit l'individu dans la communauté musulmane, le Ummah, ce qui l'engage dans des 4 Hadith: Les hadiths sont les paroles du prophète. Ils constituent la deuxième source de la loi islamique. Certains parmi eux sont des hadiths sacrés, c'est-à-dire qu'ils sont prononcés par le prophète à la première personne. L'utilisation de la première personne signifie que Allah parle par la bouche du prophète. Les hadiths sacrés sont au nombre de quarante. Ils ne font pas partie du Coran, mais ils sont fortement appréciés. 5 Les piliers de l'Islam sont: la profession de foi; la prière; l'aumône légale; le pèlerinage; le jeûne. 6 Ibadat mot arabe dérivé de la racine ABD (= esclave). C'est tout ce que l'esclave doit faire pour obéir et plaire à son patron, qui est dans notre cas Dieu. Ali Daher 8 obligations précises qui peuvent aller jusqu'à donner la vie pour la gloire de Dieu. D'ailleurs le mot coranique Shahada possède deux significations: 1) témoigner qu'il n'y a Dieu que Dieu et 2) le martyre dans la voie de Dieu. Le deuxième sens est un comportement qui demande une dépense complète d'une entité biologique, utilisée sous l'influence d'une croyance en un référent ontologique, Allah, qui demande cet acte de bravoure afin de satisfaire le désir d'«être connu». Les piliers de l'Islam contribuent fortement à la gloire de Dieu. Le temps dépensé dans les prières quotidiennes a pour but de rappeler au croyant son pacte avec Dieu qui consiste à se prosterner devant Sa grandeur, se soumettre à Son autorité et le louer, etc. Les gestes et les paroles que le croyant répète pendant les prières sont demandées par Dieu «Oui, c'est Moi, Dieu: point de Dieu que uploads/Finance/ daher.pdf

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  • Publié le Dec 04, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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