1 Deleuze, Gilles - Cours de Vincennes sur l'image temps et l'image mouvement C

1 Deleuze, Gilles - Cours de Vincennes sur l'image temps et l'image mouvement Cours Vincennes - St Denis 2 Bergson, Matière et Mémoire - 05/01/1981 J'aborderais le premier chapitre de Matière et Mémoire. Ce premier chapitre est extraordinaire en soi, et par rapport à l'oeuvre de Bergson. Même dans le bergsonisme, il a une situation unique. C'est un texte très curieux. Supposons que la psychologie, à la fin du 19ème siècle, se soit trouvé dans une crise. Cette crise c'était qu'ils ne pouvaient plus se tenir dans la situation suivante, c'est à dire une distribution des choses telles qu'il y eut des images dans la conscience et des mouvements dans le corps. Cet espèce de monde fracturé en images dans la conscience et en mouvements dans le corps soulevait tellement de difficultés. Mais pourquoi est-ce que ça soulevait des difficultés à la fin du 19ème siècle et pas avant ? Est-ce que, par hasard, ça coïncide avec les débuts du cinéma ? Est-ce que le cinéma n'aurait pas été une espèce de trouble rendant de plus en plus impossible une séparation de l'image en tant qu'elle renverrait à une conscience et d'un mouvement en tant qu'il renverrait à des corps ? Au début du vingtième siècle, les deux grandes réactions contre cette psychologie classique qui s'était enlisée dans la dualité de l'image dans la conscience et du mouvement dans le corps, les deux réactions de dessinent. L'une qui donnera le courant phénoménologique, l'autre qui donnera le bergsonisme. La phénoménologie a traité si durement Bergson, ne serait-ce que pour se démarquer de lui. Ce qu'il y a de commun entre la phénoménologie et Bergson, c'est cet espèce de dépassement de la dualité image-mouvement. Ils veulent sortir la psychologie d'une ornière. Mais si ce but leur est commun, ils le réalisent, ils l'effectuent de manière complètement différente. Et je disais que si l'on accepte que le secret de la phénoménologie est contenu dans la formule stéréotypée bien connu "toute conscience est conscience de quelque chose", par quoi ils pensaient justement surmonter la dualité de la conscience et du corps, de la conscience et des choses. Le procédé bergsonien est complètement différent et sa formule stéréotypée, si on l'inventait, ce serait : "toute conscience est quelque chose". Il faut voir la différence entre ces deux formules, et là aussi j'avais une hypothèse, comme marginale, concernant le cinéma, à savoir est-ce que d'une certaine manière ce n'est pas Bergson qui est très en avance sur la phénoménologie. Dans toute sa théorie de la perception, la phénoménologie, malgré tout, conserve des positions pré-cinématographiques, tandis que Bergson qui, dans l'Evolution Créatrice, opère une condamnation si globale et si rapide au cinéma, développe peut-être dans Matière et Mémoire un étrange univers qu'on pourrait appeler cinématographique et qui est beaucoup plus proche d'une conception cinématographique du mouvement que la conception phénoménologique du mouvement. Je vous raconte ce premier chapitre avec ce qu'il a de très bizarre. C'est un texte très difficile. Ce texte nous lance de plein fouet, immédiatement, que bien 3 entendu, il n'y a pas de dualité entre l'image et le mouvement, somme si l'image était dans la conscience et le mouvement dans les choses. Qu'est-ce qu'il y a ? Il y a uniquement des Images-mouvement. C'est en elle-même que l'image est mouvement et c'est en lui-même que le mouvement est image. La véritable unité de l'expérience c'est l'image-mouvement. A ce niveau il n'y a que des images- mouvement. Un univers d'images-mouvement. Les images-mouvement c'est l'univers. L'ensemble des images-mouvement, cet ensemble illimité, c'est l'univers. Dans quelles atmosphère est-on ? Bergson se demandera de quel point de vue parle-t-il ? C'est un chapitre très inspiré. Un univers illimité d'images-mouvement, ça veut dire quoi ? Ca veut dire que, fondamentalement, l'image agit et réagit. L'image c'est ce qui agit et réagit. L'image c'est ce qui agit sur d'autres images et ce qui réagit à l'action d'autres images. L'image subit des actions d'autres images et elle réagit. Pourquoi ce mot "image" ? C'est très simple, et otute compréhension est un peu affective. L'image c'est ce qui apparaît. On appelle image ce qui apparaît. La philosophie a toujours dit "ce qui apparaît c'est le phénomène". Le phénomène, l'image, c'est ce qui apparaît en tant que ça apparaît. Bergson nous dit donc que ce qui apparaît est en mouvement et, en un sens, c'est très classique. Ce qui ne va pas être classique, c'est ce qu'il en tire. Il va prendre au sérieux cette idée. Si ce qui apparaît c'est en mouvement, il n'y a que des images-mouvement. Ca veut dire, non seulement que l'image agit et réagit, elle agit sur d'autres images et les autres images réagissent sur elle, mais elle agit et réagit dans toutes ses parties élémentaires. Ces parties élémentaires qui sont elles-mêmes des images, ou des mouvements, à votre choix. Elle réagit dans toutes ses parties élémentaires ou, comme dit Bergson, sous toutes ses faces : chaque image agit et réagit dans toutes ses parties et sous toutes ses faces qui sont elles-mêmes des images. Ca veut dire quoi ? Il essaie de nous dire : ne considérez pas que l'image est un support d'action et de réaction, mais que l'image est en elle-même, dans toutes ses parties, et sous toutes ses faces, action et réaction, ou si vous préférez : action et réaction c'est des images. En d'autres termes, l'image c'est l'ébranlement, c'est la vibration. Dès lors, c'est évident que l'image c'est le mouvement. L'expression qui n'est pas dans le texte de Bergson mais qui est tout le temps suggérée par le texte, l'expression image-mouvement est dès lors fondée de ce point de vue. Bergson veut nous dire qu'il n'y a ni chose ni conscience, qu'il y a des images- mouvement et que c'est ça l'univers. En d'autres termes, il y a un en-soi de l'image. Une image n'a aucun besoin d'être aperçue. Il y a des images qui sont aperçues, mais il y en a d'autres qui ne sont pas aperçues. Un mouvement peut très bien ne pas être vu par quelqu'un, c'est une image-mouvement. C'est un ébranlement, une vibration qui répond à la définition même de l'image- mouvement, à savoir une Image-mouvement c'est ce qui est composé dans toutes ses parties et sous toutes ses faces par des actions et des réactions. Il n'y a que du mouvement, c'est à dire il n'y a que des images. 4 Donc, à la lettre, il n'y a ni chose ni conscience. La phénoménologie gardera encore les catégories de choses et de conscience, en en bouleversant le rapport ? Pour Bergson, à ce niveau, au premier chapitre, il n'y a plus ni chose ni conscience. Il n'y a que des images-mouvement en perpétuelle variation les unes par rapport aux autres. Pourquoi ? Parce que c'est le monde des images- mouvement puisque toute image en tant qu'image exerce des actions et subit des actions, puisque ses parties en tant qu'images sont elles-mêmes des actions et des réactions. La chose c'est des images, les choses c'est des images, des ébranlements, des vibrations. La table c'est un système d'ébranlements, de vibrations. J'introduis tout de suite quelque chose qui peut éclairer certains textes de Bergson. Une molécule, c'est une image dirait Bergson, et justement c'est une image parce qu'elle est strictement identique à ses mouvements. Quand les physiciens nous parlent de trois états de la matière, état gazeux, état solide, état liquide. Ils se définissent avant tout par des mouvements moléculaires de types différents, les molécules n'ont pas le même mouvement dans les trois états. Mais c'est toujours de l'image-mouvement, c'est à dire des vibrations, des ébranlements, soumis à des lois sans doute. La loi c'est le rapport d'une action et d'une réaction. Ces lois peuvent être extraordinairement complexes. Et, pas plus qu'il n'y a de choses, il n'y a pas de conscience. Pourquoi ? Par exemple, la chose solide c'est une image-mouvement d'un certain type. C'est lorsque le mouvement des molécules est confiné par l'action des autres molécules dans un espace restreint de telle manière que la vibration oscille autour d'une position moyenne. Au contraire, dans un état gazeux, il y a un libre parcours des molécules les unes par rapport aux autres. Mais tout ça c'est des types d'ébranlements différents. Et pas plus qu'il n'y a de choses, il n'y a de conscience. Ma conscience c'est quoi ? C'est une image, c'est une image-mouvement, une image parmi les autres. Mon corps, mon cerveau, ce sont des images-mouvement parmi les autres. Aucun privilège. Tout est image-mouvement et se distingue par les types de mouvements et par les lois qui réglementent le rapport des actions et des réactions dans cet univers. Je viens juste de suggérer cette identité image=mouvement. Bergson y ajoute quelque chose de très important dans ce premier chapitre : non seulement image=mouvement, mais image=mouvement=matière. D'une certaine manière, ça va de soi, mais c'est aussi très difficile. Pour comprendre la triple identité, il faut procéder en cascade. Il faut d'abord montrer l'identité première image=mouvement, et l'identité de la matière uploads/Finance/ deleuze-l-x27-image-temps-et-l-x27-image-mouvement-cours-de-vincennes.pdf

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  • Publié le Jui 18, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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