L’économie de la panique: faire face aux crises financières Jérôme Sgard Paris,

L’économie de la panique: faire face aux crises financières Jérôme Sgard Paris, collection textes à l’appui/économie, éditions La Découverte, 2002. Jérôme Creel Directeur adjoint du département des études A près cinq années de crises récurrentes dans les économies émergentes, des pays asiatiques en 1997-1998 à l’Argentine en 2002, en passant par la Russie, l’ouvrage de Jérôme Sgard arrive à point pour tenter de nous aider à en comprendre, en particulier, les causes et les dynamiques, mais aussi les conséquences pour « l’archi- tecture financière internationale ». Loin de développer une analyse polémique, J. Sgard s’en tient longtemps à une étude descriptive dont les détails se lisent parfois comme un bon polar. C’est le cas notamment du chapitre consacré à la crise russe. Le passage sur l’auto-spoliation des grandes banques russes, en particulier, est stupéfiant, dans tous les sens du terme: on est proche « d’halluciner » ! C’est peut-être cependant la non-recherche de polémique qui est préjudiciable à l’ouvrage. Une certaine forme d’argumentation, longue, touffue, basée sur des terminologies peu transparentes (les « institu- tionnalistes », par exemple, c’est qui?) fait perdre le fil de l’argumentation. Si on comprend que J. Sgard développe une thèse centrée sur les droits de propriété et la monnaie, sur les lois de faillite et le prêteur en dernier ressort, on ne découvre pleinement ce qu’elle est que fort tardivement: une tentative d’adaptation de la théorie (néo-) classique dominante, mais pas le développement d’une alternative à celle-ci. C’est dommage, car J. Sgard avait accumulé suffisamment de matériau pour s’écarter plus fondamentalement du modèle dominant, FICHE DE LECTURE Janvier 2003 Revue de l’OFCE 84 non pas seulement en opposant la réalité à la théorie en termes d’hypothèses, mais aussi en s’attaquant aux déterminants spécifiques des comportements économiques: on n’investit pas dans les mêmes conditions (hypothèses) et pour les mêmes raisons (déterminants) dans un pays émergent et dans un pays du G7; les déterminants de la consommation dans le premier sont sans doute plus marqués que dans le second par les « contraintes de liquidité » et moins par le niveau des taux d’intérêt sur les crédits etc. Ce n’est pas simplement l’articulation et les hypothèses du modèle sous-jacent qui diffèrent d’un pays émergent à un pays du G7, mais bien le « modèle » lui- même. L’articulation des variables « endogènes » entre elles compte bien autant que celle entre les « endogènes » et les « exogènes ». Présentation et discussion L’ouvrage de J. Sgard est divisé en deux parties. La première, consacrée aux expériences de crise financière, pays par pays, recèle le plus d’informations concrètes, fruits d’un travail de terrain. J. Sgard tord ainsi assez vite le cou à un type d’explication des crises fort répandu: ce n’est pas la crise de change qui a, à chaque fois, déclenché la crise bancaire parce que la dépréciation ou la dévaluation de la monnaie locale vis-à-vis du dollar américain y aurait gonflé le passif des banques; la crise interne, bancaire, a pu aussi être à l’origine de la crise financière, et c’est elle qui a eu des répercussions externes. T el est le cas notamment en Thaïlande et, dans une moindre mesure, en Indonésie. De là finiront par découler dans la seconde partie, les analyses de l’auteur sur les liens entre liquidité, confiance et monnaie (Indonésie, Argentine) et entre droits de propriété, systèmes indus- triel et bancaire (Corée, Russie). Plus précisément sur la Thaïlande (chapitre I), la crise financière de 1997 aurait démarré dès la fin de 1996 au moins, car « le système financier thaïlandais était entré au plan interne dans une crise ouverte, qui l’inscrivait dans le cadre des « doubles crises », reposant sur l’interaction entre une crise de change et une crise bancaire (…). En Thaïlande, le principal maillon faible était une grosse bulle spéculative sur le marché immobilier, financée en bonne partie par les banques, mais surtout par une nouvelle classe d’institutions — les compagnies financières. Faiblement régulées, elles avaient recyclé massivement sur ce marché les fonds à court terme empruntés depuis 1992 auprès des investisseurs internationaux, notamment japonais. » (p. 29). J. Sgard ajoute un peu plus loin : « Six mois plus tard, à la veille de la dévaluation (du baht), 90 % des investisseurs immobiliers étaient en faillite et la plupart des tours de bureaux construites depuis 1995 à Bangkok allaient bientôt remplir les comptes de l’agence publique Jérôme Creel 286 Revue de l’OFCE 84 chargée de la restructuration financière. » (p. 30). Ainsi, le dégon- flement de la bulle a-t-il précédé et non pas suivi la crise traversée par l’économie thaïlandaise. Ce dégonflement va être d’autant plus préjudiciable à l’économie que la banque centrale va commettre une nouvelle erreur, fatale cette fois: après avoir laissé se développer ces compagnies financières, sans les réguler, et au lieu de les sacrifier, la banque centrale va tenter « désespérément » de les sauver, sacrifiant ainsi sans le savoir un pan beaucoup plus large de l’économie thaïlandaise. Et J. Sgard de conclure: « Les premières faillites de la fin 1996, mais aussi le déclin rapide des cours boursiers dès le début de 1997 (début du dégonflement de la bulle immobilière), auraient dû être pris plus au sérieux. » (p. 35). Mais la crise subie par l’économie thaïlandaise a connu un second temps: après avoir porté sur le passif des institutions financières, elle va finalement porter sur leurs actifs. Cette fois, les recommandations du FMI sont au cœur de la tourmente. Ce n’est pas tant le fond de ces recommandations qui va poser problème que leur mise en œuvre. La restructuration bancaire incorporée dans le programme signé avec le FMI en juillet 1997 incluait en effet le retour à des ratios de capita- lisation plus conformes à ceux préconisés par la Banque des règlements internationaux (accords de Bâle), afin d’éviter que l’épisode des compagnies financières se reproduise. Pour satisfaire à ces ratios, les banques vont alors réduire drastiquement le crédit et asphyxier, de ce fait, l’ensemble des entreprises installées en Thaïlande. À ce credit crunch s’ajoutera enfin un problème d’aléa moral dont l’issue sera une interruption quasi complète des flux d’échanges, une rupture des contrats privés et une défaillance à grande échelle des agents économiques. Comme le souligne J. Sgard: « Face à une vague de cessations de paiements qui saturaient les capacités de surveillance et de rétorsion des banques, un grand nombre d’entreprises solvables et liquides ont à leur tour interrompu le service de leurs dettes » (p. 39). Il s’ensuivit un cercle vicieux: incapable de contrôler si cette interruption des paiements d’intérêts était une réaction opportuniste ou légitime, les banques ont réduit encore plus les flux de crédits, augmentant une nouvelle fois les cessations de paiement, etc. Cet exemple de déroute financière avec blocage des échanges marchands se retrouve dans le cas de l’Indonésie (chapitre III) et dans celui de l’Argentine (chapitre V). Dans le premier pays, le fait le plus marquant est le mouvement de fuite devant la monnaie vers les biens réels et la rupture du système de paiements aussi bien internes (gel des dépôts) qu’externes (contrôle des capitaux). Cette crise a fait craindre une situation hyperinflationniste comparable à celle inter- venue en Allemagne au début des années 1920. Les raisons avancées par J. Sgard pour expliquer pourquoi cette situation d’hyperinflation ne s’est pas matérialisée ne sont pas claires. Peut-on s’en remettre FICHE DE LECTURE 287 Revue de l’OFCE 84 simplement, en suivant l’auteur, au fait que les déterminants « histo- riques » d’autres épisodes hyperinflationnistes (finances publiques détériorées, inflation élevée dans le passé etc.) ne se sont pas concré- tisés dans le cas de l’Indonésie? Il faudrait sans doute expliquer plus en détail pourquoi une large émission monétaire répondant à un besoin de financement privé ne provoque pas d’hyperinflation là où le même besoin, mais provenant du secteur public, aurait dû, selon l’auteur, avoir des effets nocifs pour l’économie tout entière. Est-ce à dire que les dépenses issues de la sphère publique sont improductives et désincitatives? Que leur financement ne peut dès lors, dans une période instable, que conduire à une hausse vertigineuse des prix? L’expérience indonésienne nous apprend cependant que l’émission monétaire, si elle n’a pas conduit directement à une hyperinflation, a contribué à la suspension du système de paiements. Le résultat est donc le même qu’en situation d’hyperinflation: une désorganisation quasi complète des circuits de production et de consommation, et la perte de repères pour fixer les prix relatifs. Le chapitre consacré à l’Argentine fait intervenir un nouvel élément dans la dynamique de la crise: le fractionnement des moyens de paiement et des unités de compte, que l’on retrouve aussi en Russie. À nouveau, les questions abondent quant à la détermination des prix relatifs: comment, en effet, les définir convenablement quand les unités de compte sont peu crédibles et fractionnées, et que l’information sur leur degré de liquidité est quasi-inexistante? Quelle confiance peut- on en effet accorder aux « patacones », ces reconnaissances de dettes provenant d’institutions aussi illiquides qu’insolvables? La monétisation que sous-tendent ces uploads/Finance/ fiche-de-lecture-l-x27-economie-de-la-panique-faire-face-aux-crises-financieres.pdf

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  • Publié le Dec 14, 2022
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