D O C U M E N T D E T R AVA I L «LE DESCARTES I» 29, PROMENADE MICHEL SIMON 931
D O C U M E N T D E T R AVA I L «LE DESCARTES I» 29, PROMENADE MICHEL SIMON 93166 NOISY-LE-GRAND CEDEX TÉL. 01 45 92 68 00 FAX 01 49 31 02 44 MÉL. cee@cee.enpc.fr http://www.cee-recherche.fr L L’ÉCONOMIE DU BONHEUR ’ÉCONOMIE DU BONHEUR PEUT PEUT-ELLE RENOUVELER -ELLE RENOUVELER L L’ÉCONOMIE DU BIEN-ÊTRE ? ’ÉCONOMIE DU BIEN-ÊTRE ? LUCIE DAVOINE N° 80 février 2007 L’économie du bonheur peut-elle renouveler l’économie du bien-être ? LUCIE DAVOINE Lucie.davoine@mail.enpc.fr Centre d’économie de la Sorbonne, Université Paris 1, CNRS, Centre d’études de l’emploi DOCUMENT DE TRAVAIL N° 80 février 2007 ISSN 1776 - 3096 ISBN 978-2-11-096787-9 L’ÉCONOMIE DU BONHEUR PEUT-ELLE RENOUVELER L’ÉCONOMIE DU BIEN-ÊTRE ? Lucie Davoine RESUME L’objet de cet article est d’examiner les questions que soulève l’utilisation de données sur le « bien-être subjectif » pour évaluer les politiques publiques. En termes plus académiques, il s’agit de déterminer dans quelle mesure l’économie du bonheur, en plein essor, peut contribuer à renouveler l’économie du bien-être, qui serait en perte de vitesse pour certains. Pour mieux cerner les enjeux de cette question, la première partie situe l’économie du bonheur et l’économie du bien-être dans l’histoire de la pensée économique. La deuxième partie présente les arguments méthodologiques de l’économie du bonheur, ainsi que sa contribution au renouvellement des recommandations de politiques économiques et de l’économie du bien-être. La dernière partie souligne que le bonheur est un critère utile, mais qu’il ne saurait être le seul critère pour juger les états de la société : si l’économie du bonheur peut éviter une forme de paternalisme ou d’ethnocentrisme, les incertitudes méthodologiques qui l’entourent encore, et les objections de principe nous invitent à ne pas faire du bonheur le seul baromètre de l’action publique. Mots-clefs : économie du bonheur, économie du bien-être, bien-être subjectif, utilitarisme, « welfarisme ». Codes JEL : B29, B41, D01, D60, H10. Can the Economics of Happiness Revive the Economics of Welfare? Abstract This article questions the increasing use of “happiness” or “subjective well-being” in order to evaluate public policies and social conditions. In more scientific words, can the blossoming economics of happiness revive the economics of welfare, which is said to be dying? The first section puts economics of happiness in the history of economic thought. The second part presents the methodological arguments and proofs of happiness data relevance, as well the results that open on welfare economics renewal and unusual political recommendations. The last part concludes that happiness is a useful criterion to evaluate society’s state, but should not be the only one: happiness data can allow avoiding paternalism and ethnocentrism, for example, but happiness economics face several and serious challenges that should prevent researchers from transforming satisfaction scores into the only barometer of public action. Key words: happiness, subjective well-being, welfare economics, utilitarianism, welfarism. INTRODUCTION1 Les institutions internationales chargées de faire des recommandations de politique écono- mique s’intéressent désormais au « bonheur » des habitants de leurs pays membres. Les données sur la satisfaction à l’égard de la sécurité de l’emploi jouent par exemple un rôle crucial dans le débat sur la « flexicurité ». L’OCDE reconnaît qu’il est difficile de trouver un impact significatif de la législation encadrant le licenciement sur le taux de chômage. Cette législation n’aurait pas d’effet secondaire néfaste sur les performances économiques, mais elle manquerait son but premier : la protection contre le licenciement serait inefficace pour calmer les inquiétudes des travailleurs (OCDE, 2004). Les travailleurs seraient en revanche davantage satisfaits de la sécurité de leur emploi dans les pays où les allocations chômage sont généreuses et où les dépenses pour des politiques actives de l’emploi sont élevées. Les données sur le sentiment de sécurité en emploi donnent ainsi des arguments aux partisans de la « flexicurité ». De même, la satisfaction au travail dans un pays fait parti de la liste des indicateurs de qualité de l’emploi de l’Union européenne (Commission européenne, 2003). L’utilisation de telles données à des fins normatives n’est pas sans poser problème. L’objet de cet article est de faire le point sur les questions que soulève l’utilisation de données sur le « bien-être subjectif » pour évaluer les politiques publiques et les situations économiques et sociales. La branche de l’économie qui étudie « le bien-être subjectif » prend désormais le nom d’« économie du bonheur », qui ne doit pas être confondue avec l’économie du bien-être. Cette dernière peut être définie, au sens large, comme « une théorie économique au service de l’évaluation des situations sociales et de la décision publique. Son étude porte sur les moyens et les critères qui permettent de juger et de comparer la qualité des situations socia- les » (Baujard, 2003). Son objectif premier est donc l’évaluation, dont découlent éventuel- lement des recommandations de politiques économiques. L’idée selon laquelle l’économie du bien-être est en perte de vitesse est certes répandue, mais reste discutable, et des débats animent toujours cette discipline. Notre question initiale peut ainsi être reformulée : l’écono- mie du bonheur peut-elle renouveler l’économie du bien-être ? L’enjeu est double : il s’agit, dans la perspective de l’histoire de la pensée économique, d’estimer le renouveau que peut apporter l’économie du bonheur, mais également, dans la perspective d’une économie appliquée, de préciser l’intérêt des données sur le « bien-être subjectif » pour évaluer les états de la société et les politiques publiques. Une précision s’impose d’emblée : l’économie du bonheur est une littérature essentiellement empirique, qui peut déboucher sur des recommandations de politique économique. L’économie du bien-être est une réflexion, de nature théorique, sur les critères d’évaluation d’une situation sociale. Instaurer un dialogue entre ces deux approches pourrait paraître hasardeux. Il nous semble au contraire que ce dialogue permet d’éclairer les enjeux et questions auxquelles font face ces deux approches. 1 Coordonnées : Maison des Sciences Economiques (bureau 223), 106-112, Boulevard de l’Hôpital, 75647 Paris Cedex 12, France. Tél. : 01 44 07 81 36 ou 01 45 92 68 28. Fax : 01 44 07 83 36. Courriel : lucie.davoine@mail.enpc.fr L’auteure remercie Christine Erhel, Bernard Gazier, François Gardes, Christine Le Clainche, Christian Schmidt, Nicolas Baumard, José Miguel Edwards, ainsi que les participants aux 18e meeting de SASE et au 55e Congrès de l’AFSE, pour leurs conseils, et reste seule responsable d’erreurs ou omissions. Documents de travail du Centre d’études de l’emploi Pour mieux cerner ces enjeux, la première partie situe l’économie du bonheur et l’économie du bien-être dans l’histoire de la pensée économique. La deuxième partie présente les argu- ments et apports de l’économie du bonheur, à partir d’exemples révélateurs et intéressants dans le cadre de notre problématique. La dernière partie précise l’usage qu’il peut être fait de l’économie du bonheur et son intérêt dans les débats sur les politiques publiques. 1. ÉCONOMIE DU BONHEUR ET ÉCONOMIE DU BIEN-ÊTRE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE 1.1. L’économie du bonheur : des précurseurs à l’engouement actuel Si on s’en tient au champ de l’économie, les précurseurs de l’économie du bonheur se trou- veraient à l’Université du Michigan, dans le Survey Reasearch Center dirigé par George Katona qui a étudié les attitudes des consommateurs à partir d’enquêtes sur les opinions dès les années 1950 (Easterlin, 2002 ; Hosseini, 2003). L’article séminal de ce courant est toute- fois publié bien plus tard, par l’économiste Richard Easterlin, à la suite d’un séjour au Centre for Advanced Study in the Behavioral Sciences, à Stanford (Easterlin, 1974). En étudiant l’impact du revenu sur le bien-être déclaré, Richard Easterlin a donné son nom a un fait stylisé devenu célèbre : en coupe, dans un même pays, les personnes les plus riches se décla- rent généralement plus heureuses que les personnes moins riches, mais richesse et bonheur ne sont pas corrélés à un niveau plus agrégé : l’augmentation de la richesse au cours de années 1960 aux États-Unis ne s’est pas traduite par une satisfaction accrue en moyenne. De même, les habitants des pays plus pauvres sont aussi heureux que les habitants de pays plus riches. Richard Easterlin a su trouver des interprétations à ce résultat quelque peu surprenant pour un économiste : les besoins sont en effet relatifs, ils dépendent du niveau de vie moyen dans la société. Les premiers résultats de l’économie du bonheur furent très rapidement repris à des fins plus normatives, par Tibor Scitovsky notamment, dans The Joyless Economy. Pour notre propos, il n’est pas inintéressant de savoir que Tibor Scitvosky s’est d’abord illustré par ses travaux en économie du bien-être : il a ainsi participé, dans les années 1940, aux débats sur les critères de décision, en soulignant notamment que le critère de Hicks et Kaldor (pour qui un état est préférable dès que les perdants peuvent être indemnisés au-delà de leur perte) n’est pas suffisant (Scitovsky, 1941, 1951). Il s’interroge de nouveau sur les critères de déci- sion dans les années 1960 et affirme dès cette époque que la satisfaction du consommateur ne peut servir de guide à l’action publique (Scitovsky, 1960). Quinze ans plus tard, Tibor Scitovsky étaye sa critique dans The Joyless Economy, en s’appuyant uploads/Finance/ id-6820.pdf
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- Publié le Sep 12, 2022
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