1 Paul Charrier LE TESTAMENT PERDU DE KAREN CHERYL Roman « Mon nom est Jean-Pie

1 Paul Charrier LE TESTAMENT PERDU DE KAREN CHERYL Roman « Mon nom est Jean-Pierre Morizet, je suis né à la ferme de la Royère, au Chemin des Dames le 29/07/1930, dans la maison de gauche en rentrant. » Dictionnaire du Chemin des Dames « Les femmes sont la vie même. » Ingmar Bergman 2 DU DEPIT CHEZ LA MANTE RELIGIEUSE Je me présente, je m’appelle Henri. Henri Weinberg. Mon père serait originaire d’une tribu orientale dispersée aux coins de l’Europe vers l’an 70 ; ses ancêtres auraient atterri quelque part en Germanie, d’où son patronyme qui signifie montagne de vin. Patronyme dont je me dis qu’il est bien trouvé, à mes moments de solitude. Je ne me suis jamais intéressé plus que ça à mes origines. Il m’a fallu cette enquête pour découvrir le sens du mot « Klezmer » et ma connaissance du Yiddish n’excède pas celle du spectateur moyen de Rabbi Jacob. Je ne suis pas de ceux qui vous balancent leur ethnicité en travers de la gueule, comme une auréole de gloire. Je n’ai d’ailleurs jamais trop su d’où venait mon père. Cracovie, aux dires de certains. Il avait monté une fabrique de yoghourts dans la banlieue lyonnaise, qui s’est très vite cassé la figure, avant de vivoter d’une petite agence de publicité. Ma mère est une demoiselle Vivier de Lansac : fille unique, le dernier pousse d’une lignée de noblaillons en déclin, contraints à chaque génération à de plus infamantes mésalliances afin d’avoir de quoi restaurer leur toiture éventrée. A quinze ans, elle déserta le château de famille (dans un coin perdu du Minervois) pour tenter sa chance à Paris dans la peinture. Après avoir crevé de faim pendant deux ans, elle avait jeté l’éponge et pris un emploi de secrétaire. Mais parfois une pige se présentait : illustration d’un album pour enfants, affiche de spectacle de patronage, graphisme pour la pub d’une nouvelle fibre synthétique – et c’est ainsi qu’elle rencontra mon père qui, l’ayant épousée, la mit dare-dare à la comptabilité de la boîte, où elle resta quarante ans. Quant à moi, je suis détective privé. Certains pensent que cette profession a disparu. En réalité, elle prolifère. Je n’apprendrai rien au lecteur en lui disant que les flics qui élucident une affaire, ça n’arrive plus que dans les séries. Trouver un coupable ne rapporte guère à l’Etat, sauf exception. En revanche, il y a toutes sortes de gens à qui cela rapporte, de trouver les coupables. Des héritiers. Des compagnies d’assurance. Des notaires. Des banquiers. Tous ceux qui ont de l’argent bloqué quelque part. Ils ne se font aucune illusion sur la police depuis leur première visite d’un commissariat : pause-café, échanges de bisous, affichage syndical, surf sur les sites 3 de voyagistes, congés de maternité…voilà pourquoi ils nous rendent visite. En faisant bien attention à ne pas se faire flasher par un radar. Comment suis-je devenu détective privé ? Pas parce que je fantasmais sur les séries américaines. L’inspecteur Columbo, avec son paletot et ses mégots, me déprimait ; comme role model, on trouve mieux. Marlowe et les diverses incarnations de Bogart me laissaient de marbre. A dix-huit ans, je me voyais plutôt en gendre idéal. Le demi-monde qui gravitait autour de l’agence minable de mon père ne me séduisait guère. Ce milieu attirait les branleurs comme des mouches. Les « créateurs », des ratés – ils n’avaient pas atterri là par hasard -- qui se la jouaient artiste ; autour, des parasites qui cherchaient à s’incruster en rendant de menus services, espérant que mon père finisse par les caser un jour dans un bureau avec un job bidon, pour qu’ils lui fichent la paix. Encore qu’il ne se plaignait pas. Selon lui, dans les grandes agences, Havas, Publicis, cette populace d’ambitieux dépourvus de talent mais à l’affût d’une carrière sans effort, ça grouillait. J’avais choisi de tourner le dos à mon mauvais roman familial, où derrière une façade bohème respirait une médiocrité austère, la prégnance de tâches sans gloire, d’échéances incontournables, des sous qu’il fallait compter, pour savoir quand on pourrait changer de matelas ou faire repeindre le plafond du salon. Je préparais les grandes écoles pour devenir cadre supérieur dans une banque. Je voulais épouser une jeune fille de bonne famille catholique qui m’aurait donné quatre enfants. Au début, le plan se déroulait comme prévu. J’étais plutôt fier de mon poste de jeune chargé de mission au siège de la Société Générale. Et mon nouveau costume était particulièrement bien coupé. Sauf que je ne me soupçonnais pas cette tare rédhibitoire : je ne savais pas faire semblant de travailler. Un cadre passe au moins la moitié de son temps à tirer dans les pattes de ses collègues ; le reste du temps, il s’affaire. Il va de rapports inutiles en réunions superflues, de voyages aussi improductifs que pénibles en séminaires de cohésion et de créativité qui, bien que parfaitement futiles, lui pourrissent la vie de famille. Si vous zappez ces récollections, il ne se passe rigoureusement rien, jusqu’au moment où cela se voit. Alors, vous vous faites virer. C’est en cherchant bêtement un travail, par les moyens les plus conventionnels qui soient – petite annonce, lettre de motivation, entretiens… -- que je me suis retrouvé dans cette boîte de détectives privés, qui s’appelait Prescott et Waterbury (New York, London, Singapore). Ma formation scientifique leur convenait à merveille. Il leur fallait quelqu’un pour éliminer des hypothèses, voir comment les pièces d’un puzzle s’agençaient ensemble. Les affaires que l’on traitait, c’était du lourd, pour parler vulgairement : attentats aériens par les services secrets de Kadhafi, recyclage de matériau fissile par la mafia géorgienne, 4 escroquerie de dizaines de milliards au sommet de l’Etat, vols de documents commerciaux ultra-sensibles à l’occasion d’une fusion entre deux géants du Web, etc. Stressant et bien rémunéré. Personne ne dure longtemps chez Prescott et Waterbury ; on finit par se faire repérer et la vie devient alors vraiment dangereuse. On y restait trois ou quatre ans, le temps d’étoffer son CV et son carnet d’adresses, pour finir à son compte. A ce stade, mes lectrices se demandent sans doute : et les femmes ? On en parlera une autre fois. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le chapitre n’est pas bien fourni. Et ce n’est pas moi le héros de cette histoire. Le héros de cette histoire est un certain Léo Mortier. Héritier d’une des deux seules entreprises françaises de papier Télex. Depuis quelques années, il n’avait plus toute sa tête, jusqu’au jour où on l’a retrouvé mort, étranglé dans sa salle de bains. Il y a deux types de cinglés : ceux qui ont vraiment un grain, et ceux qu’on a déclaré tels pour arranger les intérêts de quelqu’un d’autre. Ceux-là sont les mieux entourés, et pas par que du beau monde : avocats, notaires, huissiers, avoués, juges des tutelles, intrigantes du secteur médico-social, directeurs d’asiles qui se sucrent sur le dos de la sécu, héritiers pas très nets…et mon petit doigt me disait que vu la coquette fortune de la maison Mortier, mon client appartenait sans doute à la seconde catégorie ! Sauf que, stricto sensu, mon client était une cliente…une ex, comme on dit, bien qu’ils se fussent casés à la régulière, en dépit de l’ineffable désuétude d’un pareil arrangement. Elle m’avait reçu dans son loft de l’avenue Kléber. Il occupait les sixième et septième étages d’un ancien immeuble de bureau des années 1930. Le salon était immense, avec de splendides cariatides Art déco et des mosaïques dans le style de Klimt, où l’on décelait pourtant cette dose unique de sensualité qui était la marque des artistes français depuis Boucher et Fragonard. Cette bourgeoise avait sombré progressivement dans la spirale de la pétasserie. Elle était juchée sur des mules à plumes mauve de quinze centimètres de talons et un string dépassait de son jean Chanel. Son tee-shirt, de je ne sais quelle marque, était orné à hauteur du corsage d’une volute en stras au dessin médiocre. Fort échancré, il dévoilait une poitrine fatiguée, ponctuée d’un tatouage prévisible, et dont moultes prothèses avaient sculpté la forme artificielle. Ses cheveux teints en roux formaient un entrelacs vulgaire de mèches prétendument rebelles. On sentait toute la détresse de la mante religieuse en préretraite. Les temps étaient durs, la concurrence des lolitas féroce, les papas-gâteaux se raréfiaient, laminés par la parité, la tertiarisation et les pensions alimentaires. Liftings, botox, rien n’y faisait. Le pigeon potentiel 5 s’avérait de plus en plus méfiant, calquant sa stratégie sur celle de l’inmariable George Clooney. Il s’y entendait à déceler les symptômes de la came – rides oubliées à la commissure des lèvres ou sur la face intérieure du poignet, bourrelet mal camouflé, coup de bistouri malheureux. Pour compenser, il fallait en rajouter dans le look putassier. -- Ma vie a été un calvaire, Monsieur Weinberg. Mon mari ne vivait que dans les comptes, les livraisons, les marchandages sordides avec les banques. Il se complaisait dans le néon, le lino, la uploads/Finance/ karen-cheryl-2.pdf

  • 14
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Dec 13, 2022
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.9142MB