Contribution de Daniel Dufourt à l’ouvrage Economie Française Editions SEFI 200
Contribution de Daniel Dufourt à l’ouvrage Economie Française Editions SEFI 2008 L’Etat stratège « Je suis né plusieurs et je suis mort un seul » Socrate, Eupalinos Au cours des années 90 la figure de l’Etat stratège s’est imposée comme seul projet politique crédible susceptible de préserver les attributs essentiels de l’Etat puissance publique, au seuil d’une nouvelle phase, qualitativement différente de celles qui l’ont précédée, du processus de mondialisation. Après avoir analysé les origines et les enjeux de cette nouvelle représentation de l’Etat et des fonctions qui lui sont imparties, nous évoquerons quelques domaines essentiels dans lesquels cette nouvelle rationalité de l’intervention publique se déploie. SECTION 1 : AUX ORIGINES DE L’ETAT STRATÈGE, DE NOUVELLES CONVICTIONS IDÉOLOGICO-POLITIQUES. Traditionnellement, le spectre des positions idéologiques et politiques relatives au rôle et aux fonctions de l’Etat se situe dans un continuum entre deux extrêmes, correspondant d’un côté au marché et de l’autre à la hiérarchie. Le marché est par définition la rencontre de volontés relatives à l’utilisation des droits de propriété : à travers le jeu de la concurrence et de la formation du système des prix les processus de marché coordonnent des décisions relatives à l’achat-vente de biens et services c’est à- dire aux transferts de droits de propriété personnels et exclusifs exercés sur ces biens et services à la suite de décisions de gestion affectant le patrimoine des agents. L’ambigüité du marché est qu’il ne coordonne pas des activités : cela les économistes le savent depuis longtemps, notamment les économistes les plus libéraux qui escamotent l’acte de production en ne feignant de ne retenir que les conditions qui le rendent possibles : l’achat des services producteurs pour parler comme les néoclassiques et la vente des biens et services, telles sont les deux instances décisives. Le marché des services de facteurs réalise l’allocation des facteurs de production entre les différents emplois tandis que le marché final ou s’effectue la vente des biens et services pourvoit à la satisfaction des besoins des agents. De ce fait la production est escamotée. Or celle-ci a lieu hors marché dans le cadre d’organisations au sein desquelles règne une rationalité limitée et où la coordination des actions s’effectue sur une base hiérarchique. Mais les décisions qui conditionnent la réalisation de la production sont entachées d’incertitudes et de risques fondamentaux : ainsi en va-t-il de la décision d’investissement puisque « le 1 consommateur virtuel des années futures n’exprime ses préférences souveraines sur aucun marché »1 Il n’est dès lors pas étonnant que trois fonctions essentielles soient reconnues à l’Etat dans ce cadre, qui sont toutes intimement liées aux présupposés nécessaires pour faire fonctionner les marchés et pour pallier leurs défaillances. La première fonction essentielle dans les démocraties libérales a trait à l’encadrement et à la préservation des droits de propriété. Ce sont les fonctions dites régaliennes sur le caractère desquelles Adam Smith ne se faisait pas d’illusion2 : « Apprécions donc l’acuité de cette définition du Civil Government : « dans la mesure où il est institué pour la sécurité de la propriété, il est institué, en réalité, pour la défense du riche contre le pauvre, ou de ceux qui ont quelque propriété contre ceux qui n’en ont pas du tout ».3 La deuxième fonction est liée à l’émergence du salariat et fait contrepoids aux fonctions régaliennes. C’est elle qui est au cœur de l’Etat–Providence : il s’agit de l’ensemble des droits sociaux constitutifs d’une propriété sociale au bénéfice des salariés à vie, dont Robert Castel rappelle la définition qu’en avait donné Alfred Fouillée : « L’Etat peut sans violer la justice et au nom de la justice même exiger des travailleurs un minimum de prévoyances et de garanties pour l’avenir car ces garanties du capital humain qui sont comme un minimum de propriétés essentielles à tout citoyen vraiment libre et égal aux autres sont de plus en plus nécessaires pour éviter la formation d’une classe de prolétaires fatalement voués soit à la servitude soit à la rébellion »4. Fondamentalement l’Etat Providence, est cette figure de l’Etat responsable et garant de l’octroi à ceux qui en sont démunis d’une propriété sociale, offrant un minimum de sécurité à ceux qui vivaient jusque là dans l’insécurité sociale permanente5. Commentant Fouillée, Emile Durkheim dira joliment : « La société ne peut exiger le respect des propriétés acquises que si elle assure à chacun quelque moyen d'existence ». La troisième fonction est celle qui définit la figure de l’Etat régulateur : elle comprend l’organisation du fonctionnement des marchés, la prévention de leurs défaillances, la fourniture de biens publics. Il ne s’agit pas en effet d’autonomiser une fonction de stabilisation macroéconomique qui n’est qu’une conséquence nécessaire de l’exercice de la fonction principale prise en charge par la figure de l’Etat Providence. 1 Pierre Massé Le plan ou l’anti-hasard. Idées, Gallimard, 1965, p 46. 2 François Perroux rappelle cette définition du Civil Government, dans Pouvoir et Economie, Bordas, 1973, p.6 3 The Wealth of Nations, The Modern Library, New York, 1957. 4 Alfred Fouillée La propriété sociale et la démocratie, Hachette, 1884 5 Emile Durkheim « Alfred Fouillée La propriété sociale et la démocratie ». Analyse critique du livre publiée dans revue philosophique, XIX, 1885, pp.446-453 2 En caractérisant ainsi les trois fonctions traditionnelles de l’Etat on distingue mieux en quoi la figure de l’Etat stratège est liée à l’avènement d’une nouvelle phase du processus de mondialisation, au sein de laquelle l’Etat restreint son engagement dans la stabilisation macroéconomique à proportion des atteintes dont est victime la propriété sociale. Tandis que les institutions internationales, F.M.I., Banque Mondiale édictent et mettent en œuvre le fameux consensus de Washington, en France « la figure de l’Etat stratège est moins l’objectif à terme d’un programme que la mise en mots et en récit, opérée à la fin de la décennie 90, de la pratique de nos élites politico-administratives dans la période précédente, les années 1980-90, où l’Etat renonce à sa prétention à la toute puissance et au dirigisme 1 ». La figure de l’Etat stratège s’accompagne d’une volonté de réforme de l’Etat visant essentiellement à en redéfinir le périmètre dans un contexte où la stabilisation macroéconomique n’est plus un objectif en soi, mais une dimension de l’action de l’état dorénavant rétrogradée du rang de mission prioritaire à celui de moyen d’action nécessaire à l’accomplissement des finalités premières. Sur ce point Patrick Artus [2005] dans la revue Flash n°107, 22 mars 2005 de la CDC-IXIS, a lucidement analysé les effets de la constitutionnalisation d’un ordre économique libéral lié à l’éventuelle adoption du traité constitutionnel qui sera finalement rejeté par referendum, en s’interrogeant sur le type de politique économique désormais susceptible d’être mis en œuvre par les gouvernements de la zone euro. Sur les cinq contraintes qui pèsent selon lui sur la définition de ces politiques une seule, la concurrence économique des pays émergents n’est pas imputable à l’Union européenne, les autres étant respectivement la concurrence fiscale à l’intérieur de l’Union, le pacte de stabilité et de croissance, l’ouverture des marchés à l’intérieur de l’Union et l’indépendance de la Banque centrale européenne et l’appréciation de l’euro. Or les effets de ces contraintes, si les gouvernements d’une manière ou d’une autre n’organisent pas un transfert d’une partie des profits en forte hausse des sociétés internationalisées en faveur des salariés, sont l’accroissement des délocalisations, une croissance ralentie, des pertes d’emploi et une demande déprimée que faute de moyens budgétaires et monétaires seule une politique des revenus peut relancer. Patrick Artus confirme ici le diagnostic que l’économiste Dani Rodrik, professeur à la John F. Kennedy School of Government de l’Université de Harvard formulait dans le numéro de décembre 1997 de la Boston Review en qualifiant l’Union Monétaire Européenne de «largest coordinated employment-destruction program in history ». 1 Jean-Michel Eymeri « Stratège, régulateur ou autre ? Quel Etat à l’ère du soft power ? » Le Banquet, 2006, pp.163- 179 3 D’une manière plus positive on observera que les fonctions de l’Etat stratège sont déclinées par les pouvoirs publics et la classe politique de la façon suivante : « Pour ce qui concerne l’Etat « stratège » (politique d’innovation technologique, développement durable etc.…) le recours privilégié à un opérateur public ou partiellement détenu par l’Etat se justifie aujourd’hui de moins en moins dès lors qu’il est possible de mettre en œuvre des réglementations ou des politiques incitatives applicables à toutes les entreprises, et que l’ouverture des marchés de capitaux permet de trouver des financements pour tous les projets suffisamment rentables, même sur un horizon long (15-20 ans) ». Nous envisagerons successivement les interventions de l’Etat stratège dans les domaines suivants : les privatisations et la redéfinition du périmètre de l’Etat, l’approvisionnement énergétique, le développement d’une économie fondée sur la connaissance et enfin, les actions de développement de l’attractivité des territoires. SECTION2 : L’ETAT STRATEGE ET LA REDEFINITION DU PERIMETRE DE L’ETAT. Pour l’Etat stratège, la question du périmètre de l’Etat ne se pose qu’à partir du moment où il est en mesure d’établir une hiérarchie entre les objectifs qu’il entend réaliser et uploads/Finance/ l-x27-etat-stratege-sefi-2008 1 .pdf
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- Publié le Mai 21, 2021
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