Michel Clouscard La bête sauvage Métamorphose de la société capitaliste et stra
Michel Clouscard La bête sauvage Métamorphose de la société capitaliste et stratégie révolutionnaire problèmes/éditions sociales La Bête sauvage Problèmes Michel Clouscard La Bête sauvage Métamorphose de la société capitaliste et stratégie révolutionnaire DL-17-0 5-1983-13820 Du même auteur L'Être et le Code, « Le Procès de production d'un ensemble pré- capitaliste », éditions Mouton, 630 p., Paris-La Haye, 1972. Néo-fascisme et Idéologie du désir, « Les Tartuffes de la Révolution », éditions Denoël, collection « Médiations », 140 p., Paris, 1973. Le Frivole et le Sérieux, « Vers un nouveau progressisme », éditions Libres-Hallier, 190 p., Paris, 1978. Le Capitalisme de la séduction, « Critique de la social- démocratie libertaire », Éditions sociales, 248 p., Paris, 1981. Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays. © 1983, Messidor/Éditions sociales, Paris ISBN : 2-2O9-O5531-8 Abréviations utilisées dans ce livre CCL : Capitalisme concurrentiel libéral CM : Capitalisme des monopoles CME : Capitalisme monopoliste d'État ITC : Ingénieurs, techniciens, cadres PME : Petites et moyennes entreprises OP : Ouvrier professionnel OS : Ouvrier spécialisé OQ : Ouvrier qualifié Première partie L’histoire de France (économique, politique, des mœurs) de la Libération à nos jours 11 L'histoire comme stratégie du capitalisme A. — LE BUT DE LA STRATÉGIE — LA SOCIÉTÉ CIVILE Nous nous proposons, tout d'abord, de reconstituer l'histoire de France, de la Libération aux années 80, d’après ce fil conducteur : la stratégie du capitalisme. Le néo-capitalisme porte en lui un projet de société, un choix de société (termes devenus familiers); il s'agit de mettre en place la société la plus favorable à la loi du profit, celle qui autorise le plus grand profit. Le capitalisme a eu le pouvoir d’engendrer une société globale qui est aussi un marché généralisé. C'est l’actuelle société française. Montrer comment ce projet stratégique s’est réalisé, c’est reconstituer l’histoire de France, puisque celle-ci n’est plus que l'histoire de l’économie politique et humaine imposée par le néo- capitalisme ; c'est établir par quels cheminements, économique, politique, de l’éthos (les mœurs, les mentalités) ce qui n’était qu’une virtualité est devenu le corps social. 12 Nous désignerons cette nouvelle société par le terme de société civile. Nous vivons en régime de société civile. La société française est une société civile. Nous avons choisi ce terme car il désigne, généralement, pour les spécialistes (de l'économie politique, des sciences humaines, de la philosophie politique...) le lieu de liberté possible dans la société. Nous sommes donc déjà au cœur du problème, car définir la société voulue par le capitalisme comme étant la société civile, c’est vouloir établir que le conditionnement capitaliste de la société moderne a pu investir le lieu même de la liberté. Et même que ce conditionnement peut se proposer comme la liberté ! Notre thèse : le capitalisme a eu le pouvoir de modeler, de construire, d’édifier une société, notre société. Dire qu'il a le monopole de la gestion économique de cette société est insuffisant car il a eu d'abord le pouvoir de produire cette société (pour ensuite la gérer). C'est cette production qui est l'histoire de cette société. La société civile représente le machiavélique pouvoir d'identifier liberté et libéralisme, de confondre l’idéologie du marché capitaliste et le concept de liberté, d'unifier la liberté du marché et la liberté humaine. La société civile fait de la liberté la liberté dans le système capitaliste. Ne pas confondre liberté et libéralisme semble être le pont aux ânes de la philosophie. C’est une vérité de bon sens. La trahison quasi unanime des clercs — celle qui a fait le pouvoir de l'intelligentsia régnante — a pourtant consisté à habiliter cette confusion. C’est un péché contre l’esprit et l’esprit même de la contre-révolution. Cette idéologie ne peut s'accomplir que dans la collaboration de classes et l’anti-communisme. Reconstituer l’histoire de France, sera donc étudier par quelle stratégie le capitalisme a produit la société civile, ce que Hegel appelait « la Bête Sauvage » : une société qui n'est plus qu’un marché (un marché « libre », bien entendu). Cette métamorphose de la société capitaliste s’objective en une nouvelle distribution des classes sociales. Son étude nous permettra de définir la nouvelle lutte des classes, en régime de société civile, et d’établir les modalités de la nouvelle stratégie révolutionnaire, face à la Bête sauvage et à sa stratégie contre- révolutionnaire. 13 B. — LA DÉFINITION DE LA STRATÉGIE Comment définir la stratégie capitaliste ? Alors que la tactique est un projet immédiat, partiel, concret, qui certes peut être caché, mais qui est su, réfléchi, codifié, quelque part, dans la tête d’un chef, dans un état major, dans un service, la stratégie capitaliste, au contraire, est un non-dit et un non-su... et du capitalisme lui- même ! Elle n’est pas pensée, théorisée, globalisée. Elle chemine en miettes, dans le fonctionnement du capitalisme. Nous la définirons comme Bergson définissait l’instinct : « Une finalité sans représentation de fin », ce qui veut dire, en termes moins savants : un but poursuivi sans connaître explicitement ce but. Et, paradoxalement, d'autant mieux poursuivi qu’il n’est pas représenté. C’est que le capitalisme n’a pas à discourir sur sa nature : il est. Il est la fonctionnalité même. Il marche tout seul, vers sa finalité : le plus grand profit. Les lois du capital sont telles qu’elles garantissent un univers en constante expansion. Alors que le monde de Descartes a besoin de la pichenette originelle et de la création continuée (Dieu intervenant à tout moment pour que l’être persévère en lui- même) le monde capitaliste est une mécanique structuro- fonctionnelle en constante accélération. Aussi la stratégie est immanente à ce système. Parce que l’effectivité stratégique ne doit avoir aucun recul sur l’action. Le capitalisme est, doit être la pratique qui répond immédiatement à une nouvelle situation. Le capitalisme se veut le terme historique le plus élaboré, ainsi il est le temps présent. Sans réflexion sur l'être, sans distance sur l’histoire. Pure présence qui doit devancer et interdire toute intervention extérieure. La stratégie ne peut être représentée, dite, que par un témoin extérieur à ce système. Et par le témoin le plus concerné : l’ennemi de classe. Seul, le marxiste peut dire la stratégie du capitalisme. (Marx a pu dire ainsi les lois du capital. Ce qui n’intéresse pas le capitaliste, puisqu’il les pratique et les connaît par la possession du capital. Marx n’a fait que théoriser — quelle invention ! — une pratique banale.) D’un côté : celui qui a et agit, et qui n’a pas besoin de savoir comment, qui ne doit pas savoir et qui ne veut pas savoir. De l’autre : celui qui n’a pas et qui est agi et qui a 14 besoin, pour agir, de savoir comment et pourquoi.,, le capitalisme fonctionne. Celui-ci, n'ayant pas la théorie, la représentation de sa stratégie, dispose alors d’une stratégie parfaite : celle qui n'a pas besoin de se cacher. Elle s’ignore elle-même, comment pourrait-elle se trahir? Parfait camouflage. Le capitalisme fait ainsi une extraordinaire économie : on n’a pas à cacher aux autres ce que l’on ignore soi-même. Le capitalisme est une innocence fonctionnelle : il est, sans savoir pourquoi et comment. (Allez dire à Dassault, qui pourtant réfléchit, que la fin et le moyen du capitalisme est la société civile.) Aussi la stratégie capitaliste peut s'étaler au grand jour en toute innocence. Comme la lettre cachée de Poe : elle est là, dans la réalité politique, économique, des mœurs, évidente mais ignorée, non sue comme telle. (Quoi de plus innocent qu’une partie de flipper? Et pourtant, c'est l’expression la plus condensée, concentrée de la civilisation capitaliste. Aussi dirons-nous que le marxiste qui ignore cette stratégie, ce quelle cache, fait le jeu du capitalisme. Il aide à camoufler ce que la stratégie doit cacher. Il témoigne alors de son impuissance à comprendre la modernité, celle du capitalisme monopoliste d’état en sa phase d’ascendance et en sa phase de dégénérescence.1 2 Il prouve qu’il reste fixé à une problématique révolutionnaire du capitalisme concurrentiel libéral, du xixe siècle. Il est inapte alors à affronter la société voulue par cette stratégie : la société civile. Sa réponse ne pourra être que dogmatique : de vieux schémas imposés à une mutation radicale de la société française. Et ce ne sera que par la parfaite connaissance de cette stratégie — la société civile — que l’on pourra définir la stratégie révolutionnaire. Celle-ci sera une contre-stratégie, car fondée sur la connaissance de la société française voulue par le CME. 1 Cf. Le capitalisme de la séduction. Critique de la social-démocratie libertaire, Éditions sociales, Paris 1982, 250 p. 2 On distingue trois grandes périodes de l'expansion capitaliste, trois grands modes de sa production : le capitalisme concurrentiel libéral (CCL) qui de par les lois de la concurrence capitaliste devient le capitalisme des monopoles (le CM) lequel s'étatise pour donner le capitalisme monopoliste d’État (le CME) qui comprend deux phases : celle de l’ascendance et celle de la dégénérescence. Nous reviendrons sur ces définitions pour les expliciter en fonction de notre problématique. 15 C. — LES uploads/Finance/ la-bete-sauvage-metamorphose-de-la-societe-capitaliste-et-strategie-revolutionnaire-by-michel-clouscard.pdf
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- Publié le Mar 07, 2022
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