Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/9 La vraie histo
Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/9 La vraie histoire du financement russe de Le Pen PAR AGATHE DUPARC, ANTTON ROUGET ET MARINE TURCHI ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 4 MAI 2017 Marine Le Pen lors de sa visite à Moscou, le 24 mars 2017. © Site Internet du Kremlin Les financements russes de Marine Le Pen se sont organisés autour d'un conseiller de Vladimir Poutine, Alexandre Babakov. Des emails démontrent une ingérence politique de deux lobbyistes russes. Marine Le Pen et ses proches l’ont dit et répété sur tous les tons : les banques françaises n’ont pas voulu accorder de prêts au Front national et il a bien fallu aller chercher l’argent ailleurs. En l’occurrence en Russie, où des banques ont été sollicitées, prétendument en toute neutralité et loin de l’influence du Kremlin. L’enquête menée par Mediapart et le site d’investigation letton Re:Baltica dans les coulisses des prêts russes du FN raconte une tout autre histoire : celle d’un réseau qui s’est constitué – avec ses intermédiaires et ses structures opaques – pour aider le parti de Marine Le Pen à décrocher des millions, et même à en masquer la provenance. En filigrane de ce scénario apparaît le rôle décisif du sénateur Alexandre Babakov, ultra-patriote et conseiller du président Poutine en charge des relations avec les organisations russes à l’étranger. Ce sont lui et ses proches qui, entre 2014 et 2016, ont mis le FN en contact avec trois banques russes au profil douteux, au cours de rencontres à Paris et à Genève dont nous dévoilons ici les coulisses. Côté français, les opérations ont été supervisées par l’eurodéputé frontiste Jean-Luc Schaffhauser, membre de l'équipe de campagne de Marine Le Pen. Sa fondation a d'ailleurs été le bénéficiaire de fonds en provenance des îles Vierges britanniques, par le truchement d'une société au Luxembourg. Ces commissions présumées ont, toujours selon nos informations, poussé la justice française à ouvrir une enquête préliminaire confiée à l'Office anticorruption. Mais l'affaire revêt également une forte dimension politique : plusieurs échanges de mails en notre possession – dont certains directement en copie à Marine Le Pen – révèlent pour la première fois que des intermédiaires russes ont conseillé Jean-Luc Schaffhauser dans plusieurs de ses interventions au Parlement européen, faisant ainsi apparaître les jeux d'influence pro-Poutine derrière les financements russes du FN (lire aussi notre onglet Prolonger). La « nébuleuse Babakov » mobilisée en vue de la présidentielle Rendez-vous était pris le 17 mars 2016, à Genève. Ce jour-là, Jean-Luc Schaffhauser a une mission importante à accomplir. Il s’est déplacé pour s’entretenir discrètement avec un certain Vilis Dambins, un businessman letton dont le nom est apparu lors du scandale des Panama Papers. Cet ancien banquier au profil trouble est l'un des principaux émissaires d'Alexandre Babakov, parlementaire ultra-patriote et conseiller du président Poutine qui a déjà aidé le Front national à obtenir, en 2014, un prêt de 9,4 millions d'euros auprès de la First Czech-Russian Bank (FCRB). Alexandre Babakov et Vilis Dambins. Si le Français et le Letton se sont donné rendez- vous sur les bords du Léman, c’est pour aborder une question très sensible : le financement de la campagne présidentielle de Marine Le Pen. Il y a urgence puisque six jours auparavant, le 11 mars 2016, s'est produit à Moscou un événement fâcheux : la banque russe sur laquelle le FN comptait – la FCRB – pour obtenir de nouveaux crédits a été mise sous tutelle par la banque centrale russe dans des conditions mystérieuses. Elle n'a alors plus que quelques mois à vivre, plombée par Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/9 un trou de 31,8 milliards de roubles (497 millions d’euros). En attendant sa mise en faillite, laquelle interviendra en octobre 2016, il faut à tout prix trouver une banque russe capable de prendre la relève. Le trésorier du FN rencontre l'homme d'affaires Vilis Dambins le 4 novembre 2016 à Paris, accompagné de l'avocat français Didier Bollecker. © Document Mediapart / Re:Baltica Trois mois après l'entrevue de Genève, une première piste conduit le bureau exécutif du Front national à donner son feu vert, le 15 juin 2016, pour un emprunt de 3 millions d’euros auprès de la Strategy Bank, établissement au parcours déjà agité, plusieurs fois épinglé pour blanchiment d’argent, ainsi que Mediapart l'a révélé fin mars. La décision, adoptée « à l’unanimité » parla plus haute instance du parti, visait à « donn[er] pouvoirs à M. Wallerand de Saint-Just », le trésorier du Front national, « pour signer le contrat de prêt ainsi que tous autres documents nécessaires à l’obtention du crédit aux conditions susmentionnées ainsi que pour effectuer toutes formalités administratives ou juridiques appropriées ». Mais là encore – malchance, coïncidence ou malédiction –, la Strategy Bank a finalement perdu sa licence bancaire le 26 juillet 2016, faisant capoter le contrat de prêt. Le trésorier du FN s'est alors démené pour sortir son parti de cette impasse. Le 4 novembre 2016, il rencontre lui-même à Paris l'intermédiaire letton Vilis Dambis en compagnie de Didier Bollecker, un avocat français qui agit alors pour le compte de Jean- Luc Schaffhauser. Les trois hommes ont choisi de se retrouver à l’hôtel Peninsula, un palace cinq étoiles situé à deux pas de l’Arc de triomphe. Une photo, que nous publions en exclusivité (ci-contre), a immortalisé la scène. On y voit Wallerand de Saint-Just tout sourire, saluant l’homme d’affaires letton. La troisième banque russe du FN perd sa licence Cette fois, prenant acte de la disparition de Strategy Bank, le Front national s'est tourné vers la NKB Bank, un établissement encore plus obscur, situé à la 527e place du classement russe. Il s'agissait toujours d'emprunter 3 millions d'euros auprès de cette autre banque. Le terme « autre » banque ne convient pas exactement car Strategy Bank et NKB Bank sont en réalité des structures jumelles, contrôlées par un seul et même homme : Dmitri Roubinov, ancien fonctionnaire de la banque centrale à la réputation passablement entachée. C’est lui qui a supervisé les discussions avec le Front national, comme l’a confirmé à Mediapart un ancien cadre de la NKB Bank. Contacté par téléphone et manifestement interloqué, Dmitri Roubinov reconnaît que ses deux banques ont bien engagé des pourparlers avec le Front national, mais il affirme que « le crédit de trois millions n’a pas été versé sur les comptes de ce parti [le Front national – ndlr]. Ils ont peut-être obtenu l’argent par une autre banque », lâche-t-il, avant de raccrocher. Il n'en dira pas plus : le banquier est depuis aux abonnés absents. Une fois de plus, il s'est passé des choses étranges : le 29 décembre 2016, NKB Bank a, à son tour, perdu sa licence pour des raisons plutôt alarmantes, à savoir des violations répétées de la « loi fédérale contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme », laissant une ardoise de 510 millions de roubles (8,3 millions d’euros). Et ce 17 avril dernier 2017, la Cour d’arbitrage de Moscou a prononcé sa faillite. Ce n’est pourtant pas faute d'avoir eu des appuis en haut lieu, puisque derrière ces deux tentatives avortées de prêts, on retrouve encore et toujours Alexandre Babakov, l'homme clé du prêt de 9,4 millions déjà obtenu en 2014. Un personnage Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/9 influent qui a ses entrées au Kremlin et qui depuis des années semble miraculeusement passer à travers les gouttes de tous les scandales. Contacté, Vilis Dambins dément avoir été « un intermédiaire dans les accords mentionnés », « ni comme personne physique, ni comme personne morale ». « En conséquence, je n'aurais pas pu agir sur les ordres de M. Babakov », dit-il. De son côté, Jean-Luc Schaffhauser reconnaît auprès de Mediapart avoir fait « un aller-retour à Genève ». « Vilis a fait des propositions de banques de suite [pour prendre la suite de la FCRB – ndlr]. À partir du moment où nous ne pouvions pas obtenir de prêts auprès des toutes premières banques russes, car cela aurait alors été perçu comme trop politique, nous étions en terrain inconnu. Je n’ai pas voulu moi-même m’en mêler », explique l’eurodéputé, concédant que derrière le Letton qui « existe aussi par lui-même », c’est bien Alexandre Babakov qui était aux commandes. « Je suis obligé de travailler avec des gens qui représentent la fonction publique et je sais que Babakov est un patriote », ajoute-t-il. Comme Mediapart l'avait raconté, Marine Le Pen aurait rencontré Alexandre Babakov lors d’un voyage resté confidentiel en Russie, en février 2014, au moment des discussions pour le premier prêt russe. Le parcours de Babakov est plutôt celui d’un oligarque proche du Kremlin qui jongle avec plusieurs casquettes, mêlant politique et business. Aujourd’hui sénateur, il a été de 2003 à 2015 député à la Douma, d’abord élu sur la liste du mouvement ultra-patriote Rodina, puis faisant allégeance à Russie unie, le parti du pouvoir. Depuis 2012, il occupe la fonction de « représentant spécial » de Vladimir Poutine, chargé des uploads/Finance/ la-vraie-histoire-du-financement-russe-de-le-pen.pdf
Documents similaires
-
15
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 19, 2022
- Catégorie Business / Finance
- Langue French
- Taille du fichier 1.3503MB