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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Débat d’entre-deux-tours : Le Pen à la peine, Macron en surplomb PAR LUCIE DELAPORTE ET ELLEN SALVI ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 21 AVRIL 2022 Débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, le 20 avril 2022. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart Le président sortant et la candidate d’extrême droite ont débattu mercredi soir, pendant près de trois heures. Leurs échanges souvent courtois, techniques et dépolitisés ont révélé la nature profonde des deux candidats qualifiés pour le second tour de la présidentielle. Le mot n’aura pas été prononcé une seule fois. Mercredi 20avril, pendant près de trois heures de débat face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron a réussi le tour de force de ne jamais parler d’extrême droite. Comme il le fait depuis le début de la campagne d’entre-deux-tours, le président sortant a attaqué la candidate du Rassemblement national (RN) comme une opposante politique ordinaire, «projet contre projet». À peine a-t-il rappelé, en toute fin d’émission, qu’il combattait ses «idées», son «parti et son histoire», avant d’ajouter: «Mais je vous respecte.» Les deux adversaires ont même trouvé le temps de se faire des petites blagues sur le ton de la galanterie. Se félicitant d’être beaucoup plus «disciplinés» qu’il y a cinq ans vis-à-vis du chronomètre, la première a mis cette évolution sur le compte de la vieillesse, quand le deuxième lui a souri: «Vous, ça ne se voit pas.» Des échanges courtois, pour ne pas dire charmants, venus parfaire l’entreprise de «normalisation» engagée depuis plusieurs années par Marine Le Pen. Et qui s’inscrivent dans la stratégie utilisée par Emmanuel Macron depuis le début de sa campagne. Débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, le 20 avril 2022. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart Persuadé que la « diabolisation» de l’extrême droite n’est plus efficiente et que le «front républicain» a disparu après 2002, le président sortant vise le vote d’adhésion, afin de rassembler autour de lui plutôt que contre son adversaire. Un pari dangereux qui a transformé la campagne d’entre-deux-tours en un référendum pour ou contre son projet et nourri l’idée selon laquelle le programme néofasciste de Marine Le Pen constituerait une alternative. À ce titre, le débat de mercredi soir était «important», a-t-il souligné, car il était censé permettre la «clarification» sur le fond. De clarification, il n’y en aura finalement pas eu puisque l’essentiel des sujets qui ont été abordés à cette occasion étaient déjà sur la table. Plutôt que de profiter de ce moment pour livrer leurs visions du monde, de la société française et des relations sociales qui s’y nouent, les deux candidats qualifiés pour le second tour de la présidentielle ont empilé les mesures, sans créer de liant entre elles. Emmanuel Macron n’a parlé ni de racisme ni de xénophobie. Et il n’a fait qu’évoquer brièvement la «préférence nationale»,rebaptisée «priorité nationale»,qui constitue pourtant la pierre angulaire du projet de la candidate RN. Un grand moment de dépolitisation Entre formules générales et propositions techniques, l’ensemble, bien souvent inaudible, a donné lieu à un grand moment de dépolitisation. Un débat fade qui a permis au président sortant de dérouler ses politiques, sans jamais être mis en difficulté. En l’absence de confrontations d’idées avant le premier tour, il a ainsi pu survoler la campagne exactement comme il l’avait Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 prévu. Mercredi soir, celui qui s’est employé tout au long de son quinquennat à installer un nouveau face- à-face avec Marine Le Pen a pu tranquillement récolter les fruits de sa stratégie. D’autant plus qu’Emmanuel Macron est parvenu à déstabiliser son adversaire dès les premières minutes du débat. Très offensif sur la Russie, il a immédiatement rappelé la dépendance de la candidate RN vis-à-vis du Kremlin, en faisant référence au prêt que celle-ci avait obtenu en 2014 auprès d’une banque tchécho-russe, comme l’avait révélé Mediapart. Marine Le Pen a bien essayé de mettre en avant sa «solidarité avec le peuple ukrainien», tout en rappelant son opposition au blocage de l’importation du pétrole et du gaz russes, elle a vite été noyée sous les attaques de son adversaire. Soulignant qu’elle avait été «l’une des premières responsables politiques européennes, dès 2014, à reconnaître l’annexion de la Crimée», le président sortant a développé les raisons qui sous-tendent, selon lui, ce soutien. «Vous dépendez du pouvoir russe et vous dépendez de Poutine», a-t-il lâché, évoquant le fameux prêt. Et d’ajouter: «Vous ne parlez pas à un autre dirigeant, vous parlez à votre banquier quand vous parlez à la Russie. Vous ne pouvez pas correctement défendre sur ce sujet les intérêts de la France. Vos intérêts sont liés à des proches du pouvoir russe.» Les approximations et les hésitations de Marine Le Pen ont montré qu’elle était encore loin de la stature de « femme d’État » vantée par ses affiches. Piquée au vif, Marine Le Pen s’est laborieusement défendue. «Maintenant, ce que vous dites est faux. Je vous ai retrouvé un tweet que j’avais fait le 9novembre 2014 », a-t-elle tenté, en dépliant une feuille A3 sur laquelle elle avait imprimé un vieux gazouillis :«Je soutiens une Ukraine libre, qui ne soit soumise ni aux États-Unis, ni à l’UE, ni à la Russie.» Une défense d’autant plus absurde que chacun sait que la candidate RN a effectivement applaudi à l’organisation d’un référendum fantoche avalisant l’annexion de la Crimée quelques mois plus tard. Après cet échange, l’intéressée ne reprendra jamais la main dans le débat. Traumatisée par celui de 2017 et sa désormais célèbre tirade «regardez, ils sont là… ils sont dans les campagnes, dans les villes, sur les réseaux sociaux», Marine Le Pen avait pourtant tout fait pour prouver qu’elle était «prête». Ces dernières semaines, son entourage répétait qu’elle avait beaucoup travaillé ces cinq dernières années et qu’elle pouvait sans problème prétendre aux plus hautes fonctions. Mercredi soir, ses approximations et ses hésitations ont pourtant montré qu’elle était encore loin de la stature de «femme d’État» vantée par ses affiches. À plusieurs reprises, la candidate d’extrême droite a semblé dépassée par les évènements, ne parvenant même pas à défendre ses propositions phares, comme la baisse de la TVA sur un panier de produits de première nécessité. Emmanuel Macron l’a reprise sur la plupart des sujets abordés pour mieux souligner «l’incohérence» de son projet. La passe d’arme sur le différentiel entre l’inflation et la croissance a révélé une Marine Le Pen toujours aussi peu à l’aise sur les questions économiques que le président sortant, issu de l’inspection générale des finances (IGF) et ancien ministre de l’économie, s’enorgueillit de connaître sur le bout des doigts. Arrogance de l’un, inconsistance de l’autre Coupant la parole de son interlocutrice, Emmanuel Macron n’a pas caché sa consternation face à certaines de ses assertions. «Mais vous rigolez ou quoi?», lui a- t-il demandé par deux fois. «Oh aïe aïe», a-t-il lâché lors d’une explication sur les retraites. Mais aussi: «C’est fascinant de voir le cynisme avec lequel vous avancez.» Ou encore: «Vous dites n’importe quoi en étant insidieuse.» Et enfin : « C’est pas Gérard Majax ce soir. » (Oui, la référence est un peu datée.) Soulignant les erreurs et les «contrevérités» de son adversaire, le président sortant a renoué avec le ton professoral qu’on lui connaît: «Ne dites pas de bêtises, je vous en prie.» « Vous ne venez pas assez au Parlement », l’a-t-il encore tancée, au sujet des négociations des traités de libre échange sur lesquelles Marine Le Pen semblait effectivement patauger. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 Incapable d’en mettre ne serait-ce qu’une seule dans le mille, la candidate RN n’est même pas parvenue à faire quelque chose du scandale McKinsey, que ses soutiens relaient pourtant en boucle depuis des semaines tant il embarrasse Emmanuel Macron. Elle a sorti cette carte maladroitement, sur le ton de l’ironie, au détour d’une discussion sur la rémunération au mérite des enseignants, provoquant à peine un haussement de sourcil de son opposant. « Je l’attendais celle-là. » Pendant près de trois heures, la nature profonde des deux candidats est remontée à la surface. L’arrogance de l’un, l’inconsistance de l’autre. Ce fut notamment le cas lors de leurs échanges sur la proposition de Marine Le Pen d’interdire le voile dans l’espace public. «Vous n’avez pas lu ma loi», a estimé la candidate RN. «Non, mais j’ai lu la Constitution française», lui a rétorqué le président sortant, avant de l’attaquer frontalement sur ce qu’il qualifie de «trahison de l’esprit français et de la République». «Vous allez créer la guerre civile si vous faites cela», a-t-il prévenu. Il aura donc fallu attendre la fin du débat pour qu’Emmanuel Macron exprime clairement le danger que représenterait l’accession de l’extrême droite au pouvoir. Jusqu’ici, les deux adversaires s’étaient contentés de rester dans leur couloir, sans même s’aventurer sur le terrain des ennuis judiciaires – son parti à elle a été condamné dans l’affaire des financements de campagnes ; son entourage à lui est mis en cause dans plusieurs dossiers. uploads/Finance/ le-pen-pelea-pero-no-logra-dar-la-talla-ante-un-macron-que-sobresale-sin-demonizarla.pdf
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