Clélie Nallet est chercheur au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri. Elle tra
Clélie Nallet est chercheur au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri. Elle travaille sur les transformations socio-économiques africaines et les dynamiques urbaines. Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité de l’auteur. ISBN : 978-2-36567-946-6 © Tous droits réservés, Paris, Ifri, 2018. Comment citer cette publication : Clélie Nallet, « Quel e-commerce en Afrique subsaharienne ? Profils et pratiques de consommateurs à Abidjan », L’Afrique en questions, n° 43, Ifri, 26 novembre 2018. Ifri 27 rue de la Procession 75740 Paris Cedex 15 Tél. : +33 (0)1 40 61 60 00 E-mail : accueil@ifri.org Site internet : www.ifri.org Éditoriaux de l’Ifri 26 novembre 2018 1 L’Afrique en questions 43 Quel e-commerce en Afrique subsaharienne ? Profils et pratiques de consommateurs à Abidjan Clélie NALLET Depuis le début des années 2010 et la fin de la crise post-électorale, la Côte d’Ivoire renoue avec une croissance économique spectaculaire, de l’ordre de 8 % par an depuis 20121. Les relatives stabilités et prospérités retrouvées attirent l’attention d’un nombre croissant d’investisseurs, à la recherche des consommateurs ivoiriens et en particulier des « classes moyennes abidjanaises », largement publicisées et convoitées. Parallèlement, les lieux de consommation se sont diversifiés et transformés, et les pratiques de consommation évoluent2. En Côte d’Ivoire, un nombre croissant d’acteurs propose des services de e-commerce. Depuis quelques années, ces services proposés par des start-ups et des grandes enseignes se multiplient. Ils peuvent aller du site internet qui met en relation des fournisseurs et des particuliers à des services plus complets qui prennent eux-mêmes en charge l’empaquetage et la livraison du produit. C’est le cas de Jumia, qui domine le marché du e-commerce ivoirien3. Notre étude a été réalisée avec une structure de taille plus modeste, offrant ces mêmes services, Afrimarket4. Créé en 2013, Afrimarket opère désormais dans cinq pays africains (Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, Bénin, Cameroun). À la base, il s’agit d’un service de prise de commande en Europe pour une livraison en Afrique de produits sourcés sur place. Il permet alors à la diaspora de faire parvenir directement des biens de consommations (par exemple des denrées alimentaires) à leur famille résidant en Afrique, en réglant directement depuis la France des dépenses courantes. En se basant sur son réseau de fournisseurs et de livraison, le service s’est ensuite diversifié en évoluant également vers un service local de vente en ligne. Quel e-commerce en Afrique subsaharienne ? Clélie Nallet L’Afrique en questions 2 43 Afrimarket propose une livraison à domicile ou à des points-relais des produits diversifiés (alimentation, nouvelles technologies, électroménager, matériel de construction, produits de beauté, etc.) dans un délai de cinq jours dans tout le pays. D’importants défis pour les entreprises de e-commerce La profusion de sites locaux de vente en ligne amène certains observateurs à parler de « boom du e-commerce5 ». Les difficultés que rencontrent les acteurs sur le marché – qu’il s’agisse des start-ups, dont la durée de vie est souvent courte, comme des grandes entreprises – doivent néanmoins nuancer un tel constat. L’exemple de Cdiscount, leader français du e-commerce, qui a mis un terme à ses activités seulement quelques mois après son arrivée à Abidjan, est à cet égard éloquent. Les initiatives se heurtent en effet à des difficultés importantes, notamment logistiques, en raison d’un manque d’infrastructures. Les journées de livraison sont très complexes. En cause, la congestion de la capitale et des clients qui ne sont parfois pas à leur domicile au moment de la livraison. Certaines initiatives peinent aussi à s’adapter au marché local, souvent mal connu et donc mal appréhendé. La question de l’adaptation du service est centrale. Par exemple, Afrimarket a vu son nombre de commandes largement augmenter lorsque le paiement en espèces lors de la livraison a été proposé, en plus du service de mobile money. 80 % des paiements sont désormais effectués à la livraison et 20 % via mobile money6. Les initiatives qui perdurent font face à des difficultés et questionnements constants sur l’avenir du secteur et sa capacité à croître. La croissance est pour l’instant potentielle, mais dépendra des évolutions des prochaines années, en termes d’infrastructures, mais aussi des évolutions du secteur numérique dont la « révolution » est à nuancer. Si les évolutions du secteur numériques sont notables7, le taux de pénétration d’Internet est de 26,3 % en Côte d’Ivoire. Il est de 35,2 % pour l’ensemble du continent pour une moyenne mondiale qui se situe à 54,4 %8. L’évolution du secteur dépendra aussi fortement de celle de la structuration et de l’évolution du marché, dont les contours sont Quel e-commerce en Afrique subsaharienne ? Clélie Nallet L’Afrique en questions 3 43 encore particulièrement incertains9. Les acteurs du e-commerce n’ont finalement guère de visibilité sur les profils socio- économiques de leurs consommateurs. C’est à cette dernière question que ce papier apporte une contribution. Un terrain exploratoire auprès de 26 consommateurs permet de révéler certaines dynamiques sur leurs caractéristiques socio- économiques et leurs pratiques10. Des consommateurs, diplômés, connectés et occupés… La plupart des consommateurs de notre échantillon11 disent commander régulièrement en ligne12. 16 d’entre eux ont commandé des produits de nouvelles technologies (du smartphone à l’écran plasma), 7 de l’électroménager (du mixeur au frigo) et 3 des produits alimentaires13. La majorité des enquêtés a commandé avec un téléphone portable (21), les autres avec leur ordinateur de travail. Ils se font livrer à domicile comme sur leur lieu de travail. Les profils professionnels sont variés : ingénieur, couturière, fonctionnaire de police, comptable, technicien, ouvrier de chantier, informaticien, instituteur, capitaine de gendarmerie, par exemple. La majorité (21) a réalisé des études supérieures et se considère comme appartenant à la classe moyenne14. Le niveau de vie des enquêtés est majoritairement confortable, voire très confortable, rapporté à celui de la population ivoirienne. Au regard des différents indicateurs, ils font majoritairement partie des classes moyennes et des 5 % les plus riches. Leurs capacités financières sont significatives : ils disposent d’un revenu discrétionnaire, parfois minime mais existant, souvent significatif. La grande majorité déclare pouvoir épargner (25) et aider (20). Ils cumulent presque tous les revenus, qu’ils proviennent de petits business ou encore de propriétés foncières fortement génératrices de revenu (mise en location de logements, en élevage ou en culture de champs). Si les profils professionnels sont variés, les salariés du secteur privé sont largement représentés au sein de l’échantillon, en particulier les ingénieurs et informaticiens. Ces personnes sont généralement très équipées et connectées. Elles disposent d’un à plusieurs smartphones, d’un ordinateur sur Quel e-commerce en Afrique subsaharienne ? Clélie Nallet L’Afrique en questions 4 43 le lieu de travail. Disposer d’un ordinateur à domicile équipé d’internet est plus rare (5). Les services proposés par le e- commerce correspondent bien aux profils et besoins de ces salariés. Ils mettent en avant de longues journées de travail qui ne leur « permettent pas de faire les boutiques ». Ils peuvent commander rapidement avec leurs téléphones ou postes de travail et se faire livrer sur place et ainsi « gagner du temps ». Il faut aussi noter que, malgré un niveau de vie relativement confortable, ils sont peu à détenir un véhicule personnel. Le service de livraison permet donc aussi de contourner la question du transport des différents achats pour ces classes moyennes salariées, qui disposent d’un pouvoir d’achat significatif sans pour autant avoir les moyens d’avoir leur propre véhicule. … Mais pas seulement ! Mais si certains, comme ce groupe de salariés, sont « en bas du haut » (de l’échelle sociale), d’autres sont en « haut du bas », selon l’expression ivoirienne consacrée et vivent dans des conditions plus précaires. Ils peuvent satisfaire leurs besoins de base (se nourrir, se loger) mais disposent d’un revenu discrétionnaire particulièrement limité et variable (surtout pour les commerçants). C’est le cas de cinq enquêtés rencontrés à leur domicile dans la commune de Yopougon lors des livraisons. Ils apprécient le service qui leur permet d’acheter des produits qu’ils trouveraient difficilement dans les boutiques de leur quartier, en tout cas pas au même rapport qualité prix. Ce qui les intéresse, c’est la livraison, beaucoup plus que l’aspect numérique. D’ailleurs, trois d’entre eux ne disposent pas d’accès à Internet. Par exemple, nous livrons un mixeur à une femme d’une cinquantaine d’années, couturière et mère de 2 enfants. Elle habite avec sept membres de sa famille une maison modeste, en semi-dur. L’intérieur est spartiate, peu meublé et peu équipé, seule une petite télévision occupe le salon, contrastant avec les grands écrans plats trônant chez la plupart des autres clients livrés. Notre interlocutrice a un modèle de téléphone portable qui ne permet pas d’accéder à Internet, et ne dispose pas de compte bancaire. Elle est très contente d’être livrée à domicile mais se passerait bien de la commande en ligne : elle demande au livreur Quel e-commerce en Afrique subsaharienne ? Clélie Nallet L’Afrique en questions 5 43 son numéro de téléphone afin de lui passer directement sa commande. Pour l’heure, elle passe commande par l’intermédiaire d’un « petit jeune du quartier » qui a un smartphone et propose au voisinage de uploads/Finance/ le-e-commeerce-en-afrique-de-l-ouest.pdf
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- Publié le Mai 28, 2022
- Catégorie Business / Finance
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