RAPPORT Les fondements du libéralisme économique PAUL-JACQUES LEHMANN * • Mars
RAPPORT Les fondements du libéralisme économique PAUL-JACQUES LEHMANN * • Mars 2018 un moment où le libéralisme économique fait l’objet de vifs débats à la fois sur sa définition et sur son efficacité dans une partie de l’opinion, il est intéressant de revenir à ses origines francophones du XVIII e et, surtout, du XIX e siècles, qui restent souvent encore peu ou mal connues. Les premiers penseurs libéraux s’efforcent de montrer l’incapacité des théories passées, le mercantilisme et la physiocratie, et nouvelles, le socialisme, à répondre aux dysfonctionnements nés des transformations économiques. Le mercantilisme, incarné par Colbert, prône la puissance de l’État provenant d’un développement de l’industrie et se traduisant par une entrée d’or dans le pays grâce aux règlements des exportations que cet essor permet, tout en érigeant des barrières protectionnistes pour limiter les importations. La physiocratie et son principal instigateur, le médecin de Louis XV François Quesnay, quant à elle, ne voit la richesse d’une nation que dans son agriculture, traitant les industriels et les commerçants de classes oisives. Alors que l’on cite souvent l’Angleterre comme berceau du libéralisme, de nombreux auteurs francophones publient des articles et des ouvrages qui rencontrent un grand succès, non seulement dans notre pays, mais aussi dans toute l’Europe et même aux États-Unis. Les économistes libéraux de l’époque sont, certes, très divers à bien des égards : de par leur provenance, leurs convictions philosophiques et religieuses, leur formation, le ou les métiers qu’ils ont exercé(s) pour ceux pour lesquels l’activité principale n’est pas ou n’a pas toujours été l’étude de l’économie, leur conviction et engagement politiques s’ils se sont engagés dans la vie publique, les disciples qu’ils ont laissés, la nature de leurs apports, leur intransigeance vis-à-vis du libéralisme. On peut vérifier cette diversité à partir de quelques exemples des premiers libéraux les plus célèbres. On peut commencer par Turgot que l’on a l’habitude de présenter comme le précurseur du libéralisme français. Né en 1727 dans une famille remplissant des fonctions éminentes dans la magistrature, il est destiné, en tant que plus jeune fils de la famille, à l’état ecclésiastique. Mais il refuse de s’engager dans les ordres, car, dit-il, « il m’est impossible de me vouer à porter toute ma vie un masque sur le visage ». Il est nommé maître des requêtes et se lie, à l’occasion de nombreux déplacements, à Vincent de Gournay, un intendant du commerce qui le familiarise à la pensée libérale. Devenu lui-même intendant de Limoges, Turgot * L’auteur est professeur émérite à l’Université de Rouen et l’auteur de Les fondements du libéralisme économique. Les 50 économistes à l'origine de la pensée libérale en France (ISTE, 2017). À Institut Libéral / Les fondements du libéralisme économique 2 commence à mettre en pratique ses idées réformatrices dans les domaines fiscaux, des communications, de la liberté du commerce et du travail. En 1774, il est nommé contrôleur général (c’est-à-dire ministre) des finances. Deux ans plus tard, il promulgue six édits célèbres, dont le plus connu concerne la suppression des jurandes et des maîtrises, organisations conduisant à de grands privilèges pour certains métiers. Face à la fronde à laquelle il doit faire face, il préfère démissionner. Il échoue donc dans ce qui va apparaître comme la dernière tentative d’empêcher la Révolution. On peut poursuivre avec Benjamin Constant qui, bien que ne s’étant jamais considéré lui-même comme économiste, est souvent pris comme modèle par les premiers économistes libéraux. Romancier célèbre (qui ne connait Adolphe ?), pamphlétaire politique, il s’enthousiaste pour la liberté politique dont il estime qu’elle est inséparable de la liberté économique. Natif de Lausanne, élève du célèbre Adam Smith à Edimbourg, il assiste à la Révolution française et débute à Paris sa carrière politique. En tant que membre du Tribunat où il a été nommé par Sieyès, il participe à la rédaction du code civil. Devenu le chef de l’opposition libérale, il s’érige en farouche adversaire de Bonaparte auquel il reproche son militarisme et son despotisme. En 1803, il est interdit de séjour en France et revient en Suisse, à Coppet, chez Madame de Staël, la fille de Necker. Il revient à Paris en 1814, mais, en raison de son ralliement à Napoléon pendant les Cent Jours, il doit s’exiler à Bruxelles, puis à Londres lorsque l’Empereur abdique. Élu député de la Sarthe en 1819, il siège à gauche au sein de l’opposition libérale. On peut ensuite passer à Jean-Baptiste Say, le créateur de l’économie politique en France, universellement connu pour sa célèbre loi des débouchés selon laquelle « les produits s’échangent contre les produits », signifiant qu’il leur suffit de produire pour que les entreprises trouvent une demande en face d’elles. Sa théorie, très optimiste puisqu’elle nie la possibilité de longues périodes de sur- ou de sous- consommation est à la base des propositions modernes de ceux que l’on appelle aujourd’hui les économistes de l’offre. Né comme Benjamin Constant en 1767, son père l’envoie en Angleterre où il observe la révolution industrielle. À son retour, il entre comme employé de banque chez l’assureur Étienne Clavière, futur ministre des finances, qui lui fait connaître l’ouvrage d’Adam Smith Recherches sur la richesse des nations. Say publie son Traité d’économie politique en 1803. Bonaparte, hostile à de nombreux passages libéraux de l’ouvrage, lui demande de le réécrire, ce que Say refuse. La deuxième édition du Traité ne paraît qu’en 1814, après la destitution de l’Empereur, et assoit la réputation d’économiste de l’auteur. Entre temps, Bonaparte lui ayant interdit de poursuivre sa carrière de journaliste, il crée une filature de coton qu’il abandonne en 1815. Il commence alors une carrière d’enseignant et devient en 1819 le premier titulaire de la chaire d’économie politique au Collège de France. Son frère, Louis, fonde la compagnie sucrière Louis Say et C ie, aujourd’hui Béghin-Say. Son fils, Horace, son petit-fils, Léon, ministre des finances pendant six ans entre 1872 et 1882, et son gendre, Charles Comte, le cousin d’Auguste Comte, sont également des économistes libéraux connus. Institut Libéral / Les fondements du libéralisme économique 3 La vie mouvementée de Pellegrino Rossi (né en 1887) mérite qu’on s’arrête quelques instants sur ce libéral qui a marqué son époque. Italien, docteur en droit, citoyen de Genève, venu en France pour y enseigner le droit constitutionnel, il succède à Jean-Baptiste Say au Collège de France. Naturalisé français en 1838, il est nommé pair de France l’année suivante. Doyen de la Faculté de droit de Paris, Guizot l’envoie en 1845 en tant que ministre plénipotentiaire auprès du Saint-Siège. Il est anobli comme comte et nommé ambassadeur en Italie. Devenu député italien, puis premier ministre du gouvernement pontifical, il cherche à instaurer un système fédéral pour permettre la réalisation de l’unité italienne, mais se fait de nombreux ennemis. Il est assassiné en 1848. Gilbert Guillaumin est un personnage important du groupe des libéraux pour avoir fait le lien entre les économistes se réclamant de ce mouvement nés avant et après 1800. En effet, il crée une librairie et se spécialise dans la publication des écrits (livres et articles) d’économie de ses amis dont il devient le fédérateur. Il met ainsi à la disposition du public, certes restreint, les ouvrages de tous les fondateurs de l’économie politique et lance le Journal des Économistes, revue qui va devenir la « bible » de la science économique libérale. En 1843, Guillaumin crée la Société d’économie politique qui regroupe tous les économistes libéraux français formant ce que l’on va appeler « l’École de Paris ». Il édite également le Dictionnaire de l’économie politique, sous la direction de Charles Coquelin, qui va être pendant longtemps la référence de cette science. En 1910, les éditions Guillaumin sont reprises par la maison Félix Alcan. Avec Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat, né en 1801, est sans doute l’économiste libéral le plus connu, paradoxalement davantage aux États-Unis qu’en Europe. D’abord commerçant, Bastiat se rend rapidement compte que ce métier ne lui convient pas, mais comprend l’utilité de connaître son environnement pour exercer des fonctions commerciales. Il se lance alors dans l’étude de textes économiques et philosophiques et dans l’apprentissage des langues, en particulier l’anglais. Il se rend fréquemment en Angleterre où il assiste aux réunions de Cobden, le grand défenseur du libre-échange, dont il va diffuser les idées en France en créant la Ligue de libre- échange. Autodidacte de l’économie, il écrit davantage comme un journaliste polémiste, doté d’un humour ravageur qui emprunte à la dérision et à la technique de l’absurde, auteur de nombreux pamphlets et de ses fameux Sophismes. Élu député des Landes en 1848, il est très indépendant : « J’ai voté avec la gauche quand elle défendait la liberté et la république, j’ai voté avec la droite quand elle défendait l’ordre et la sécurité. J’ai voté, dans chaque question, selon l’inspiration de ma conscience ». Michel Chevalier présente un parcours particulier. Polytechnicien, il est d’abord saint-simonien proche du « père enfantin », dont il s’éloigne en raison des élans lyriques et utopiques de « l’École ». Succédant à Rossi à la chaire d’économie politique au Collège de uploads/Finance/ lehmann-liberalisme-economique.pdf
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- Publié le Fev 01, 2021
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