Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet

Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet Blanchiment et argent sale : la faible mobilisation de la France Par Martine Orange Article publié le mercredi 02 mars 2011 Sur le papier, tout l’arsenal juridique et pénal pour lutter contre l’argent sale et le crime organisé y est ou presque. En quelques années, la France a suivi les recommandations du Groupe d’ac- tions financières (Gafi). Elle s’est dotée d’une multitude de textes, afin de traquer le blanchiment d’argent, d’avertir et de contrôler les professions les plus exposées, et pour développer les coopéra- tions internationales contre le crime organisé et le financement du terrorisme. Pourtant, à la lecture du très aride et très administratif rapport du Gafisur l’application de ces mesures, rapport publié le 28 février, transparaît en filigrane la même critique : tout y est certes, sauf peut-être la volonté politique de faire de la lutte contre l’argent sale une priorité. Jamais cette lutte contre les mafias et l’argent sale n’a été aussi d’actualité. Mettant à profit la libéralisation sans frein de la cir- culation des capitaux, facilitée par les nouvelles technologies, il y a longtemps que le crime organisé a étendu sa sphère d’influence bien au-delà de la drogue, des armes, de la prostitution, des jeux et de l’immobilier. Fabrications illicites, trafic de médicaments, d’organes, d’enfants, fraudes financières, font désormais partie de leurs activités «régulières». L’environnement est également devenu un de leurs terrains de jeu favoris : aux marchés des déchets, les mafias ont ajouté celui de l’énergie, et même des énergies nouvelles comme les éoliennes. Les brigades financières ont retrouvé traces de leur présence sur l’immense fraude de plus de 5 milliards d’euros sur le marché du CO2 en Europe. La crise financière a permis, semble-t-il, que s’étende encore cette emprise. Selon un rapport commun à la Banque mondiale et au FMI, publié l’an dernier, l’argent du crime organisé, des mafias, et des organisations illicites, représenterait entre 500 et 1.500 mil- liards de dollars chaque année ? soit entre 2% et 5% du PIB mon- dial ? qui transitent par les paradis fiscaux avant de revenir dans les circuits légaux. L’économie noire et grise cohabite de plus en plus avec l’économie légale. Cette situation ne semble pas alarmer plus que cela le gouverne- ment français. Comme souvent depuis quelques années, les dispo- sitifs législatifs adoptés à la va-vite, souvent avec de simples pré- occupations d’affichage, laissent subsister des trous béants, qui sont autant de facilités laissées au crime organisé. Ainsi, selon les évaluations de la mission du Gafi, sur les 49 recommandations faites aux gouvernements pour lutter contre l’argent sale et le ter- rorisme, neuf seulement sont intégralement respectées. Ces dispositions concernent pour l’essentiel des mesures tech- niques comme la lutte contre les banques fictives ou la non- information des personnes signalées à Tracfin (Traitement du ren- seignement et action contre les circuits financiers clandestins), l’organisme chargé de lutter contre la corruption financière, placé sous la tutelle de Bercy. Vingt-neuf des mesures prises par la France sont déclarées lar- gement conformes et dix partiellement conformes. Une seule concernant les professions et les entreprises non financières de- vant faire l’objet d’une régulation et d’un suivi est jugée non conforme. Cette mesure touche notamment les casinos français, qui, selon le Gafi, ne sont ni suffisamment suivis ni soumis à de réelles sanctions, en cas de non-respect des règles dans la lutte contre le blanchiment. Les territoires d’outre-mer sans surveillance Compte tenu du rôle avéré que peut jouer le monde du jeu dans le circuit de l’argent sale, cette béance semble étonnante. Mais il est vrai que ces activités ont droit à un statut un peu spécial en France : la problématique du blanchiment ne semble pas être la préoccupation première. Le Gafise dit ainsi dans l’incapacité de juger de l’efficacité des mesures prises contre le blanchiment dans ces activités, depuis la fin du monopole et l’ouverture des jeux à la concurrence. De même, il note avec insistance l’absence totale de sensibilisation et de contrôle sur le monde associatif, et notamment sportif. Dans un rapport, le Gafisonnait l’alarme sur les connexions entre le football et l’argent sale. Mais cela a dû passer inaperçu auprès des autorités françaises. Mais s’il n’y avait que cela. Le rapport du Gafimontre que la traque de l’argent sale et des opérations suspectes est devenue une préoccupation constante dans le monde financier et bancaire. Les banques sont à l’origine de la plupart des signalements des finan- cements suspects. Mais au-delà, ces sujets semblent inexistants pour nombre de professions, pourtant très exposées. Ni les experts-comptables, ni les agents immobiliers, ni les bi- joutiers ne se sentent tenus à la vigilance sur ces sujets et ne font l’objet de contrôles suivis pour les rappeler à leurs obligations. «Il ressort clairement des statistiques disponibles que certaines pro- fessions non financières ne contribuent pas suffisamment à leurs obligations ou de compréhension de leur vulnérabilité au regard du blanchiment et du financement du terrorisme», souligne un rapport. De même, les dispositions de lutte contre l’argent sale et le crime 1 Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet organisé semblent être totalement en jachère dans les territoires d’outre-mer. Ni la Martinique, ni la Guadeloupe, ni la Nouvelle- Calédonie, ni la Guyane, ni surtout des îles comme Saint-Martin ou Saint-Barthélemy, deux îles considérées comme des plaques tournantes des trafics en tout genre, ne paraissent être vraiment sensibilisées à ces sujets. Les déclarations d’opérations suspectes sont infimes, les contrôles sur place quasiment inexistants. «Bien qu’un droit identique (à quelques exceptions marginales près) soit en vigueur sur tout le territoire français, les évaluateurs ont iden- tifié dans le rapport plusieurs situations où il y a lieu de douter de l’effectivité de la mise en œuvre des mesures dans les territoires situés en outre-mer» , insistent les rapporteurs. C’est là la deuxième manifestation de ce qui paraît être l’absence de volonté politique pour s’attaquer véritablement au crime orga- nisé : le manque de moyens. Le rapport du Gafise montre parti- culièrement inquiet sur ce point. «Le fonctionnement de Tracfin soulève des questions d’efficacité. Tout d’abord les moyens mobilisés pour la conduite des enquêtes ne sont pas adéquats pour faire face à la quantité de déclarations entrantes. Il convient également de noter que l’absence d’infor- mations quantifiables concernant le suivi judiciaire des dossiers de Tracfin ne permet pas d’évaluer la contribution des dossiers de Tracfin aux enquêtes sur le blanchiment de capitaux et le finan- cement du terrorisme et donc d’apprécier leur pertinence. En- fin, malgré l’augmentation du nombre de déclarations, des statis- tiques indiquent un repli constant entre 2005 et 2009 du nombre de notes d’informations envoyées par Tracfin aux autorités judi- ciaires» , est-il écrit. «Les moyens mis à la disposition de la justice et des autorités de poursuite pour traiter des affaires de blanchiment de capitaux et de financement de terrorisme sont insuffisants» , poursuit-il par ailleurs. Le dealer plutôt que les mouvements suspects des capitaux Cette critique même pas voilée s’appuie sur des chiffres. Entre 2003 et 2009, le nombre de signalements à Tracfin est passé de 9.019 à 17.310. Dans le même temps, le nombre de dossiers trans- mis à la justice est resté quasiment stable : 308 en 2003, 384 en 2009, dont 131 seulement pour des cas de blanchiment. Tout cela rappelle étrangement ce qui se passe pour les autres délits économiques et financières. Le nombre des juges affectés aux différents pôles financiers a été considérablement réduit en quelques années. A Paris, ils ne sont plus qu’une petite vingtaine et ils croulent sous les dossiers. L’activité a été réduite de près de trois quarts, sous l’effet de la réduction des effectifs et des en- quêtes préliminaires menées par le seul parquet. C’est une façon de réaliser la dépénalisation du droit des affaires, objectif cher au gouvernement. Mais manifestement celui-ci s’est rallié à une acception très large de la dépénalisation. Cela se ressent dans la priorité des dossiers d’enquête, à en croire le rapport du Gafi. Par manque d’effectifs, par souci de faire du chiffre, les cas les plus faciles semblent retenus. «Des magistrats rencontrés lors de la visite sur place ont signalé avoir noté une concentration des dossiers Tracfin sur des délits de moindre am- pleur et une focalisation allant diminuant sur des phénomènes de criminalité organisée ou de criminalité financière d’envergure» , note le rapport. En clair, l’attention des autorités est plus concen- trée sur les trafics des petits dealers que sur les mouvements sus- pects de capitaux. La lutte de faible intensité se retrouve dans les jugements, le blanchiment reste un souci secondaire, malgré les apparences. «Dans l’échelle des sanctions applicables aux délits, la sanc- tion pénale prévue pour le délit de blanchiment s’inscrit dans la moyenne supérieure (5 ans) et est équivalente à d’autres in- fractions financières comparables (recel, abus de bien social, es- croquerie, fraude fiscale simple, non-justification des ressources). Par contre, après analyse des peines d’emprisonnement pronon- cées, les évaluateurs ne sont pas convaincus du caractère efficace uploads/Finance/ mediapart-http-www-mediapart-fr-journal-economie-010311-blanchiment-et-argent-sale-la-faible-mobilisation-de-la-france.pdf

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  • Publié le Fev 19, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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