1 Années Académiques 2003-2005 Mémoire MBL Monsieur le Professeur Luc Thévenoz

1 Années Académiques 2003-2005 Mémoire MBL Monsieur le Professeur Luc Thévenoz LE CREDIT DOCUMENTAIRE A PAIEMENT DIFFERE ET LA FRAUDE Analyse critique de l’arrêt du Tribunal fédéral du 1er juin 2004 Marie-France Provot-Ivanov Mai 2005 www.unige.ch/droit/mbl/ 2 TABLE DES MATIERES Page Introduction…………………………………………………………………………………. 2 I. La licéité du paiement avant échéance par la banque assignée : un principe confirmé à juste titre par le Tribunal fédéral…………………………………... 6 A- L’affirmation de la conformité du paiement anticipé aux obligations contractuelles de la banque et aux RUU……………………………….. 7 1- L’absence de violation des règles du mandat…………………………... 7 a- Un principe admis par la Haute Cour en 1974.…………..…… 8 b- Un principe confirmé dans le présent arrêt………………….... 9 2- La compatibilité du paiement anticipé avec les RUU………………….. 12 a- Une question sans objet en 1974……………………………... 13 b- Un problème soulevé et tranché par le Tribunal fédéral en 2004…………………………………………………………… 13 B- La nature juridique du paiement anticipé : une question tranchée par le Tribunal fédéral………………………………………………………………….. 14 1- La qualification juridique retenue par le Tribunal fédéral suisse……………………………………………………………….. 14 2- La position adoptée à l’étranger………………………………………... 18 II. La mise à la charge de la banque assignée des conséquences de la fraude révélée entre le paiement anticipé et l’échéance de l’accréditif : la position surprenante du Tribunal fédéral……………………………………………………………………………. 20 A- Une fraude incontestablement démontrée……………………………………... 21 1- L’existence d’une manœuvre frauduleuse……………………………... 21 2- Le défaut de condamnation des auteurs de la fraude : une condition indifférente………………………………………………...... 26 B- Un raisonnement néanmoins empreint de contradiction……………………….. 27 C- Une décision non exempte d’inexactitude…………………………………..…. 34 1- Les positions italienne et allemande……………………………………. 34 2- Les jurisprudences anglaise et française……………………………...... 37 Conclusion……………………………………………………………………………..…... 43 3 « The life and blood of international commerce »1, tel est le terme employé par les tribunaux anglais pour caractériser le crédit documentaire. Il est vrai que celui-ci est né de la pratique commerciale internationale. D’ailleurs, en 1923 déjà, le Tribunal fédéral relevait, dans un arrêt Leih und Sparkasse, Ermatigen c.Gewerbank Ulm, que l’accréditif était «…devenu d’un usage courant dans le commerce international »2. Dans des temps bien plus anciens, le besoin d’effectuer des paiements à distance se faisait déjà sentir si bien que des mécanismes avaient déjà été mis en place pour assurer le financement des contrats conclus entre des parties éloignées. A Rome comme à Athènes, des opérations de versement de fonds à distance existaient. Les Grecs et les Romains connaissaient des opérations qualifiables de « mandat de payer », mais qui ne revêtaient pas un caractère bancaire spécifique.3 Le Moyen Age vit l’apparition de systèmes de paiement plus élaborés tels que la lettre de paiement puis la « lettre de crédit », par laquelle un banquier donnait mandat à son correspondant étranger de mettre à la disposition du bénéficiaire « dénommé dans la lettre l’argent dont il témoignait avoir besoin »4. Selon certains auteurs, le crédit documentaire trouverait son origine dans cette lettre de crédit. En tout état de cause, ce n’est que dans la jurisprudence anglaise de la deuxième moitié du XIXe siècle que l’on trouve de véritables décisions rendues en matière de crédits documentaires.5 Cependant, dès le XVIIIe siècle, l’Angleterre devint le centre du commerce international et la monnaie anglaise devint le moyen d’échange courant. C’est ainsi que commencèrent à se développer les « merchant bankers » jouant le rôle de médiateurs entre les vendeurs étrangers et les acheteurs nationaux. La situation se présentait de la manière suivante : lorsqu’un petit commerçant désirait acquérir des marchandises sur des marchés lointains, il s’adressait à un commerçant connu qui acceptait contre paiement d’une commission une traite tirée sur lui par le vendeur afin d’obtenir le paiement du prix de vente. Avant l’échéance, l’acheteur mettait à la disposition de l’accepteur les fonds nécessaires au paiement de l’effet. Le vendeur pouvait ainsi obtenir rapidement le prix de vente en escomptant les traites tandis que l’acquéreur disposait d’un délai pour se procurer l’argent nécessaire au paiement.6 Selon certains auteurs, c’est à partir de cette forme particulière de crédit que s’est développé le crédit documentaire en tant que système de financement des contrats internationaux.7 Puis avec la Première Guerre mondiale, les crédits documentaires se développèrent rapidement. Les Etats-Unis d’Amérique se substituèrent à l’Angleterre en tant que puissance commerciale, la monnaie américaine devint la monnaie d’échange dans le commerce 1 Harbottle R.D. (Mercantile) Ltd. V. National Westminster Bank Ltd., (1978) Q.B. 146, (1977) 2 All. E.R. 862,3 W.L.R.752. 2 ATF 49 II 195 ss/JdT 1924 I 12 ss. 3 Tevini du Pasquier « Le crédit documentaire en droit suisse. Droits et obligations de la banque mandataire et assignée », Thèse Genève 1990 4 Pothier, Traité du contrat de change, 1825 5 Dans ce sens Simon p 20-21, Stoufflet p 25 6 Tevini du Pasquier p 12, Molle p 476, Simon p 98ss 7 Dans ce sens Tevini du Pasquier p 12, Frey p 215 4 international et les exportateurs américains imposèrent à leurs acheteurs des procédés de paiement sans risque tels que les crédits documentaires irrévocables.8 C’est aussi à l’initiative des banques américaines que furent établies en 1920 les premières règles codifiant les usages et techniques d’ouverture de crédit9. Les pays européens suivirent ensuite la tendance et créèrent leur propre réglementation. Devant la multiplication des textes nationaux en la matière, afin d’uniformiser les pratiques et le sens des termes, la Chambre de Commerce Internationale a donc adopté, en 1933, la première édition des Règles et Usances Uniformes relatives aux crédits documentaires (ci- après RUU). Cette réglementation a été révisée à plusieurs reprises10 afin de préciser les textes et introduire de nouvelles techniques de crédit documentaire compatibles avec l’évolution des affaires et la rapidité des moyens de transport. Aujourd’hui, l’importance du crédit documentaire dans la pratique du commerce international n’est plus à démontrer. Celui-ci est employé principalement dans le cadre des transactions sur marchandises, mais également dans des opérations couvrant des services ou accords financiers à court ou long terme. Il repose dans tous les cas sur des accords contractuels conclus entre les parties (donneur d’ordre/bénéficiaire) dont il est autonome. En effet, du fait de leur éloignement géographique, souvent, les cocontractants ne se connaissent pas et il leur est difficile de se faire confiance à la première opération. L’exportateur hésite à entreprendre la fabrication ou la livraison d’un produit s’il n’est pas sûr de se faire payer. De son côté, l’importateur hésite à verser des fonds à l’exportateur avant d’être sûr que l’expédition a bien été effectuée dans les délais prescrits. Le crédit documentaire, en faisant intervenir les intermédiaires indépendants et solvables que sont les banques, constitue donc un moyen de paiement qui a l’avantage de concilier les intérêts divergents de l’acheteur et du vendeur. Le vendeur est assuré de recevoir contre remise de certains documents, le prix qui lui est dû en raison de la livraison de la marchandise dans les délais convenus. L’acheteur, quant à lui, ne devra payer la marchandise commandée que si elle lui a effectivement été expédiée. Les crédits documentaires sont donc, comme l’a, à juste titre, relevé Jürgen Dohm11, un « enfant de la méfiance ». Il demeure que cet instrument de paiement offre une certaine sécurité aux deux parties au contrat même si le bénéficiaire de l’accréditif se trouve dans une situation plus avantageuse que le donneur d’ordre. En effet, bien que le Tribunal fédéral lui-même, a relevé que « dans le commerce international, l’accréditif ou crédit documentaire est un instrument de garantie de paiement qui tend à protéger les deux parties ayant conclu généralement une vente à distance en les assurant de l’exécution correcte du contrat »12, l’équilibre de la protection des intérêts en cause n’est pas parfait. Certains auteurs n’ont d’ailleurs pas manqué de relever ce fait13. En effet, le paiement du prix intervient le plus souvent avant que le donneur d’ordre/acheteur ait pris possession effective de la marchandise puisque la réalisation de l’accréditif intervient contre remise des 8 Molle p 476, Simon p 101 9 Tevini Du Pasquier p 14, Balossini p 93ss, Molle p 476, Stoufflet p 101, Bonell p 960 10 Dernière révision au 1er janvier 1994 (RUU 500) 11 Jürgen Dohm, Docteur en droit, Fiche Crédit documentaire I n° 314 12 TF 1er juin 2004, 4C.66/2004 13 Tevini du Pasquier (1990), pp. 19-20 ; Nicolas de Gottrau (1999), p 7 5 documents. Par conséquent, l’acheteur risque de devoir payer des marchandises non conformes à ce qui avait été convenu au contrat de vente. Cependant, le donneur d’ordre/acheteur dispose de la possibilité d’utiliser l’accréditif comme instrument de crédit. Le crédit documentaire à paiement différé remplit en effet cette fonction de financement de l’accréditif puisque dans un tel cas, le paiement au bénéficiaire de l’accréditif n’intervient pas au moment où les documents sont acceptés par la banque, mais à une date ultérieure prévue dans les conditions du crédit documentaire. Le donneur d’ordre/acheteur peut donc entrer en possession de la marchandise et en disposer avant d’en payer le prix au bénéficiaire/vendeur. Il peut notamment revendre la marchandise avant l’échéance pour financer le prix de vente. Ce type d’accréditif facilite ainsi incontestablement les échanges commerciaux. uploads/Finance/ memoiremarieh-l-neprovotivanov-pdf.pdf

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  • Publié le Jan 15, 2022
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