Les crypto-monnaies Synthèse du rapport au Ministre de l’Économie et des Financ
Les crypto-monnaies Synthèse du rapport au Ministre de l’Économie et des Finances Jean-Pierre Landau avec la collaboration d’Alban Genais 4 juillet 2018 Le présent rapport a bénéficié de la contribution et des travaux de Mme Louise Frion, à laquelle nous exprimons toute notre reconnaissance. – 3 – Les crypto-monnaies – Synthèse Comment s’échangera, demain, la valeur sur Internet ? À cette question, les crypto-monnaies apportent une réponse ambitieuse. Il s’agit de créer de nouvelles monnaies, fondées sur une nouvelle technologie : la blockchain. Elle autorise une gestion décentralisée de la monnaie sans tiers de confiance, à l’opposé des systèmes hiérarchisés et centralisés des monnaies officielles. L’innovation monétaire est encore plus profonde, voire radicale. Les crypto-mon- naies sont des monnaies privées, sans cours légal, sans aucun adossement physique ou financier et totalement virtuelles : elles se créent et circulent indépen- damment de toute banque et sont détachées de tout compte bancaire. Ce sont des objets monétaires nouveaux, sans véritable précédent dans l’histoire. Il existe aujourd’hui près de 1 600 crypto-monnaies pour une capitalisation de marché estimée à environ 270 milliards de dollars. Les crypto-monnaies sont l’expression d’un mouvement de société, d’inspiration libertaire, qui rejette les systèmes centralisés et normalisés. La révolte « antisys- tème » s’exprime d’autant plus aisément dans le domaine monétaire que les banques et, dans une moindre mesure, les banques centrales, ont vu leur image et leur réputation écornées par la crise financière de 2008-2010 et par ses retombées économiques et sociales. L’ambition des crypto-monnaies est belle, mais difficile à satisfaire : neuf ans après le lancement du Bitcoin, elles sont très peu acceptées et utilisées pour les paiements. Le Bitcoin représente 0,2 % du volume des transactions au sein de la zone euro. Les crypto-monnaies sont lentes et grandes consommatrices de ressources énergétiques : avec une consommation d’électricité égale à celle de la Hongrie, Bitcoin opère aujourd’hui environ 80 transactions par minute, quand Visa et Mastercard en exécutent respectivement près de 100 000. Les crypto-monnaies sont enfin affectées d’une grande volatilité et devenues un objet évident de spéculation. La cause profonde de cette inefficacité réside dans la gestion décentralisée de la monnaie. Celle-ci impose un processus de validation des transactions lourd, long et coûteux – souvent délibérément coûteux, comme dans le cas du Bitcoin. Ce handicap est durable voire permanent : il est impossible pour un système monétaire de concilier les trois exigences de sécurité, de décentralisation et d’efficacité. D’ores et déjà, le mouvement de centralisation est perceptible dans le fonctionnement et l’architecture des crypto-monnaies les plus récentes. En outre, la gouvernance des crypto-monnaies, héritée des systèmes d’open source, est très peu adaptée aux exigences d’une monnaie stable sur le long terme : le système fonctionne sur des incitations financières de très court terme et les décisions fondamentales – modifiant les algorithmes et les protocoles – sont prises informellement par la communauté des développeurs. Il n’est pas certain que le modèle économique des crypto-monnaies soit davan- tage soutenable. Les gestionnaires du réseau sont rémunérés par émission de monnaie, mais celle-ci est, dans la plupart des cas, plafonnée à l’horizon de quelques années. La viabilité future des paiements reposera sur la capacité à facturer aux utilisateurs des frais de transactions qui peuvent être très élevés. – 4 – Les crypto-monnaies – Synthèse Les crypto-monnaies sont néanmoins compétitives sur certaines activités. Pour les paiements transfrontaliers qui empruntent généralement des circuits complexes et recourent à de multiples intermédiaires, elles introduisent une concurrence très bénéfique, qui pousse d’ores et déjà à la modernisation et à l’amélioration des services. Malgré ces doutes et incertitudes, il faut prendre les crypto-monnaies au sérieux. L’engouement qu’elles suscitent aide à l’avènement – et au financement – de technologies prometteuses. Elles posent des questions essentielles et profondes sur l’avenir des paiements, de la monnaie et de la finance à l’ère digitale. Les technologies Il s’agit d’abord de la blockchain, dont les crypto-monnaies ne sont qu’une des applications possibles. Tant dans la finance que l’économie réelle, on utilise souvent des blockchains privées, sur des réseaux fermés, qui fonctionnent avec un nombre limité de participants. Ces blockchains autorisent des procédures plus rapides et une gestion flexible de la confidentialité. Elles offrent un cadre de gouvernance et d’action collective entre partenaires qui veulent coopérer sur un pied d’égalité. Elles connaissent potentiellement de nombreuses applications dans le règlement-livraison de titres, les paiements transfrontières, la gestion des chaînes de valeur, le financement du commerce international, la tenue des cadastres, la sécurisation des états civils et des dossiers médicaux. Dans tous ces domaines, la France dispose de nombreux atouts, grâce à un écosystème vibrant d’entrepreneurs et de développeurs. Les crypto-monnaies annoncent également une autre innovation, moins souli- gnée, mais tout aussi importante : la digitalisation des actifs sous formes de jetons numériques souvent désignés par leur appellation anglaise de « tokens ». Il s’agit d’une représentation digitale de valeur, fongible et divisible, pouvant circuler sur Internet et être échangée de pair-à-pair (peer-to-peer) sans preuve obligatoire d’identité et avec une finalité de paiement. Grâce à la digitalisation, tout actif matériel ou immatériel (brevets, œuvres d’art, droits d’auteur, etc.) peut potentiellement être transformé en instruments liquides et échangeables. Toutefois les risques d’abus sont importants : le développement de la technologie devra reposer sur un cadre juridique rigoureux et des systèmes de gouvernance sans faille. Les ICO (Initial Coin Offerings) illustrent bien les opportunités et les ambiguïtés de la digitalisation de la valeur. Ce sont des procédures de levées de fonds opérées directement sur Internet. Elles sont apparues en 2016 et se sont rapide- ment développées dans un environnement de liquidité abondante. Elles cumulent deux grandes innovations : dans la procédure d’appel à l’épargne, en dehors de toute formalité règlementaire, sur la base d’informations de qualité variable ; et dans les droits conférés qui sont très variés (propriété, usage, avantages divers) mais souvent d’une grande ambiguïté. Ce mode d’émission préfigure sans doute l’avenir mais n’offre aujourd’hui aucune garantie réelle aux souscrip- teurs. Les ICO sont donc des produits risqués, mais néanmoins fréquemment « cotés » dès l’émission sur des plateformes d’échange. – 5 – Les crypto-monnaies – Synthèse Les politiques publiques Malgré les interrogations qu’elles suscitent, il n’est pas proposé de réguler direc- tement les crypto-monnaies. Ce n’est aujourd’hui ni souhaitable, ni nécessaire. Une règlementation directe n’est pas souhaitable, car elle obligerait à définir, à classer et donc à rigidifier des objets essentiellement mouvants et encore non identifiés. Le danger est triple : celui de figer dans les textes une évolution rapide de la technologie ; celui de se tromper sur la nature véritable de l’objet que l’on réglemente ; celui d’orienter l’innovation vers l’évasion règlementaire. Au contraire, la réglementation doit être technologiquement neutre et, pour ce faire, s’adresser aux acteurs et non aux produits eux-mêmes. À l’exception essentielle de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, une règlementation directe n’est pas non plus nécessaire, car les risques sont aujourd’hui circonscrits. Les encours de crypto-monnaies, élevés dans l’absolu, restent très faibles au regard de la taille des systèmes financiers mondiaux : 1,5 % seulement de la capitalisation de marché du S&P500 et 5,5 % de la valeur totale du marché de l’or. L’exposition des intermédiaires financiers au risque des crypto-monnaies est également minime et le risque de contagion inexistant. L’écosystème des crypto-monnaies a toutefois un côté sombre évident. L’anonymat peut en faire le support naturel des activés criminelles, du blanchiment et du financement du terrorisme. Il est proposé de renforcer la lutte anti-blanchiment en transformant les actuelles lignes directrices du groupe d’action financière (GAFI) en véritables recommandations obligeant les États membres à se soumettre à un mécanisme d’évaluation par les pairs. La coopération internationale doit permettre d’éviter que la concurrence règlementaire ne conduise à des abus. Au-delà, il faut dissocier l’innovation technologique, qu’il faut encourager et stimuler, de l’innovation monétaire et financière, qui doit être considérée avec prudence. Dans la phase actuelle, la bonne approche est de laisser les crypto-monnaies – et les innovations qu’elles portent – se développer dans l’espace virtuel qu’elles occupent. Mais, en parallèle, il faut éviter et circonscrire toute contagion. L’effort règlementaire doit donc se concentrer sur les interfaces entre le monde des crypto-monnaies et le système monétaire et financier. Ces interfaces sont les suivantes : – – les plateformes d’échange pour lesquelles des principes minimaux de trans- parence, d’intégrité et de robustesse pourraient être définis au plan mondial. Il est proposé, pour la France et l’Europe, d’expérimenter, pour quelques années, un régime d’agrément unique (une « Euro Bitlicense ») dans lequel les gestionnaires s’engageraient à respecter les obligations existantes dans les divers statuts correspondant à leurs activités ; – – les banques, dont les activités pour compte propre en crypto-monnaies devraient être fermement dissuadées ; – – les gestionnaires d’actifs, pour laquelle des orientations rapides et claires sont nécessaires. Il existe un danger immédiat de voir les crypto-monnaies pénétrer les portefeuilles de placement des organismes de placement collectif. Elles acquéraient par ce biais une liquidité et un statut, ouvrant la voie à – 6 – Les crypto-monnaies – uploads/Finance/ synthe-se-du-rapport-landau-crypto.pdf
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- Publié le Jan 04, 2023
- Catégorie Business / Finance
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