Causes et conséquences d’une erreur d’interprétation méthodologique : La libéra

Causes et conséquences d’une erreur d’interprétation méthodologique : La libéralisation mesurée par les processus ARCH-M de Christopher Barrett (1997) Véronique Meuriot- Abdoul Salam Diallo Résumé : L’économétrie ne peut se résumer à « une boîte à outils ». La mesure de l’économie nécessite une double compétence, à savoir celle de la science économique et celle des méthodes économétriques. L’analyse d’un article de Christopher Barrett (1997) sur la mesure des effets de volatilité induits par la libéralisation des échanges est un exemple patent du risque de confusion économétrique lorsque l’économiste maîtrise peu ou mal cette polycompétence. Le danger inéluctable réside dans les recommandations de politique économique quasi systématiques proposées par les auteurs. L’analyse du papier de Barrett offre l’occasion d’apprécier les conséquences du manque de polycompétence ou l’illusion d’une polycompétence. Abstract : Econometrics cannot come down to “a toolbox”. The measurement of the economy requires a double competence, namely that of the economic science and that of the econometric methods. The analysis of an article by Christopher Barrett (1997) about the measure of the effects of volatility induced by the exchanges liberalization is an obvious example of the econometric risk of confusion when the economist controls little or badly this polycompetence. The inescapable danger lies in the quasi systematic recommendations of economic policy suggested by the authors. The analysis of the paper of Barrett offers the opportunity to appreciate the consequences of the lack of polycompetence or the illusion of a polycompetence. CIRAD, ART-Dev, UMR 5281 - TA C-113/15 - 34398 MONTPELLIER cedex 5 - FRANCE UFR d’Économie, LAMETA , UMR 5474, Av. R. Dugrand - Site de Richter C.S. 79606 34960 MONTPELLIER Cedex 2 - FRANCE 2 Introduction La « mesure du développement » s’inscrit dans l’interdisciplinarité pour autant que l’on considère alors la science économique comme une métadiscipline. Elle devient la réunion de l’économie du développement et de l’économétrie, cette dernière constituant l’arsenal des méthodes quantitatives dédiées à la science économique. Nous entrons là dans le domaine de l’interdisciplinarité selon Edgar Morin. L’un des axes de progression de la science est certainement cette interdisciplinarité. Morin (1994) parle de « complexifications de disciplines en champs polycompétents. […] Les disciplines sont pleinement justifiées intellectuellement à condition qu’elles gardent un champ de vision qui reconnaisse et conçoive l’existence des liaisons et des solidarités. Plus encore, elles ne sont pleinement justifiées que si elles n’occultent pas de réalités globales. » Ainsi en est-il de la « mesure du développement » dans laquelle l’économie du développement et l’économétrie doivent parvenir à l’échange de connaissances mutuelles. Dans le cas présent, nous nous baserons sur ce que Morin nomme « la polycompétence du chercheur » dans l’analyse des travaux de Christopher Barrett en 1997. Notons dès à présent que l’interdisciplinarité n’est pas circonscrite au travail du chercheur, mais également aux lieux de publication qui doivent réciproquement s’entourer de cette polycompétence pour assurer une cohérence intellectuelle à la progression de la science. Les problématiques agricoles, par exemple, obéissent à des lois particulières issues du monde agricole ; l’économétrie obéit à ses propres règles, conjuguant les mathématiques, les statistiques et l’économie. La difficulté de la mesure du développement réside alors dans l’harmonisation des deux disciplines, à savoir quels outils pour quelles problématiques ? La rigueur du raisonnement nous conduit à hiérarchiser la mutualisation des connaissances entre les deux disciplines. Ainsi, la priorité doit être donnée à la problématique économique, le recours à l’économétrie sera guidé par elle de façon ad hoc. La problématique doit donc primer sur l’outil aussi perfectionné soit-il, en économie tout du moins. C’est bien ce qu’observe Barret lorsque dans son article de 19971 il propose de tester les effets de la libéralisation des échanges sur certains prix de denrées alimentaires. Dès l’introduction, il expose la problématique qui sera ensuite testée : « La question […] curieusement négligée jusqu’ici est de savoir si les réformes d’orientation des marchés ont réellement stimulé les prix des denrées alimentaires, comme on le présume généralement. » (1997a, p. 155). Il exprime ensuite les « règles » économiques liées à la libéralisation. Dans le paragraphe suivant, il affirme qu’il n’existe pas de théorie « bien articulée » permettant de comprendre comment les distributions stochastiques de prix répondent à la libéralisation économique. Dans le corps du texte, il respectera cette « hiérarchie » entre problématique et instrument. Dans la deuxième section du papier, Barrett s’oriente tout naturellement vers les modèles ARCH-M (AutoRegressive Conditional Heteroskedasticity in Mean) de Engle, Lilien et Robins (1987) et tente d’approcher les effets de la libéralisation sur le prix des denrées 1 1997(a). 3 alimentaires par des mesures de volatilité sur les séries de prix concernées. Cependant, la lecture que fait Barrett des éléments théoriques proposés par Engle (1982) puis Engle, Lilien et Robins (1987) le conduit vers une interprétation erronée de la volatilité. Le modèle de volatilité qu’il construit réintroduit dans la chronique de variance résiduelle les variables exogènes ‒ initialement utilisées dans l’équation de la moyenne afin d’expliquer le phénomène économique, ce qui lui confère la propriété de « conditionnalité » par rapport à l’information causale jugée pertinente. Cette redondance, mathématique dans un premier temps, trahit la philosophie de la modélisation ARCH telle qu’imaginée par Engle en 1982. Elle dévoie la notion même de volatilité des séries temporelles. Les estimations qui en découlent, pour rigoureuse qu’elles semblent être, ne sauraient produire une mesure de la volatilité contrairement à l’intuition de Barrett. Cette erreur d’interprétation sur l’élément théorique lui donne l’impression de travailler sur la volatilité alors qu’il n’en est rien : la réintroduction des variables exogènes à cet endroit de la modélisation est un parfait contresens théorique. Mais alors, qu’a donc estimé Barrett ? Les conséquences épistémologiques qui découlent de cette erreur d’interprétation sont de deux ordres. Tout d’abord, la méprise sur l’outil économétrique peut s’avérer dangereuse puisqu’elle conduit dans le cas présent à des conclusions d’ordre économique et géopolitique. Ces conclusions serviront dans bien des cas à éclairer les décideurs politiques. Ensuite, l’erreur d’interprétation dans son acception théorique sera reproduite, générant ainsi un biais de publication conséquent (le papier de Barrett est largement repris et cité encore aujourd’hui). L’analyse épistémologique de ce type d’erreur offre une mise en perspective compréhensive de la difficulté de la mesure des phénomènes économiques. Afin d’éclairer la critique, nous rappellerons les éléments généraux relatifs d’une part à l’économie (agricole) puis à l’analyse économétrique (des séries temporelles). Nous reviendrons ensuite sur les fondements de la modélisation de type ARCH : quelles étaient les interrogations épistémologiques de Engle à ce moment-là ? Que voulait-il démontrer ? Que cherchait-il à modéliser ? En quoi l’extension au modèle ARCH-M était-elle nécessaire ? Nous poursuivrons l’investigation par « ce que cherchait à démontrer Barrett ». Enfin, à la lumière d’un exemple sur le prix du riz en Afrique subsaharienne considéré comme équivalent à l’expérimentation proposée par Barrett2, nous établirons une comparaison entre les résultats issus d’une modélisation « à la Barrett » et ceux qu’ils auraient dû être selon la philosophie de Engle. Nous conclurons sur les écarts économétriques introduits par l’erreur d’interprétation et l’importance des conséquences induites dans les recommandations de politique économique qui en découlent. 1. Des difficultés de l’interdisciplinarité entre économie (agricole) et économétrie 1.1 De l’économie (agricole) 2 Barrett ne présente pas ses données. Il nous a donc été impossible d’utiliser ses modèles. 4 L’économie dans son acception la plus large désigne l’organisation des activités humaines liées à la production, à la répartition, à la consommation et aux flux de biens et services. Elle est donc au cœur de la vie des agents économiques. Elle s’intéresse ainsi à l’humain, ce que l’économétrie ne perçoit pas directement. L’agent économique est à son tour appréhendé comme un « homo oeconomicus » à partir du courant néo-classique, nom barbare désignant une espèce de maquette du comportement humain imparfaite ou ad hoc puisque répondant à des schémas comportementaux très simples et surtout dans un environnement aseptisé (ceteris paribus). L’économie agricole, encore parfois désignée sous le vocable d’économie rurale, centre son objet d’étude sur l’utilisation de certaines ressources naturelles à destination de la satisfaction des besoins primaires (alimentaires) des individus. Il y a donc une recherche d’allocation optimale des ressources agricoles liées à l’exploitation du sol. Mais, au-delà de l’optimisation de ces ressources, intervient l’individu qui a certes des besoins primaires à satisfaire – ce qui demeure de l’ordre de l’allocation économique classique – mais également des préférences souvent liées à des aspects non économiques telles que l’ethnographie, la culture, l’appartenance au clan, etc. Ses aspects sont plus saillants dans les pays économiquement pauvres qui sont aussi un lieu d’étude privilégié de l’économie agricole. Ces facteurs socio- économiques discrétisent l’analyse par les économistes agricoles qui travaillent bien souvent en pluridisciplinarité avec les sociologues, les anthropologues et les ethnologues. Nous commençons à percevoir là la distance entre l’économie (agricole) et l’économétrie. 1.2 De l’économétrie (des séries temporelles) L’économétrie s’est construite sur les mathématiques et les statistiques, en les modelant de sorte à s’harmoniser aux problématiques économiques. Ce qui lui confère à la fois son originalité et uploads/Finance/document-568482.pdf

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  • Publié le Dec 06, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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