L ’économie ménagère : libération ou oppression? par Michelle Olguin L’éducatio
L ’économie ménagère : libération ou oppression? par Michelle Olguin L’éducation en économie ménagère ou domestique a vécu énormément de changements à travers le temps. Des livres sur les femmes à la ferme à l’éducation de la ménagère parfaite dans les années cinquante. Ces cours ont quasiment totalement disparu de nos jours, symbole du progrès dans les droits des femmes pensons-nous. Mais l’éducation ménagère donnait aussi sans doute une valeur symbolique au travail de la ménagère. La disparition de l’école ménagère symbolise peut-être une libération de la femme, mais elle symbolise aussi l’effacement des tâches ménagères qui restent encore des tâches féminines. Ma génération n’a jamais connu l’école ménagère, la vraie, celle qui hante encore les rêves de nos mères qui racontent encore des histoires sur les chaussettes qu’elles ont du faire et refaire pendant une année. Pourtant, l’éducation en économie domestique a marqué des générations de femmes. Le but principal était de préparer les élèves à la vie en tant que ménagère. Cette éducation faisait donc évidemment partie de l’école obligatoire et certaines femmes pouvaient poursuivre leur éducation en la matière avec un bachelor en économie domestique. Ce parcours était d’ailleurs très répandu dans les pays développés dans les années cinquante. 1 Pourtant, les programmes d’économie domestique sont devenus de moins en moins nombreux au niveau universitaire et les cours d’école ménagère aux niveaux inférieurs sont désormais une option ou sont complètement éliminés du programme. Mais le concept n’a pas complètement disparu. D’un côté, l’idée de se préparer a devenir une femme mariée et une bonne ménagère existe encore. Plusieurs domaines universitaires sont informellement connus comme des études “en attendant le mariage” . En même 2 temps, il existe encore certains programmes qui enseignent l’économie ménagère, mais qui se sont reconvertis pour offrir de nouvelles options aux étudiants. D’un autre côté, la vision du travail domestique a aussi changé, avec la nouvelle place des femmes dans la société. Ihnat, G. (n.d.). What ever happened to home-economics class? Retrieved January 3, 2019, from 1 https://thetakeout.com/what-ever-happened-to-home-economics-class-1826865440 Paul, K. (n.d.). These college majors predict when you will marry. Retrieved January 3, 2019, from 2 https://www.marketwatch.com/story/this-college-major-predicts-when-you-will-marry-2017-05-04 Armando Miguélez : J’étudie les beaux- arts en attendant de me marier L’école ménagère est le résultat d’une formalisation de l’éducation qui a pu se produire pendant des millénaires, des connaissances passées d’une génération à l’autre sur les techniques les plus appropriés pour s’occuper de la maison. Cette formalisation a commencé par plusieurs livres, qui concernaient souvent l’agriculture, l’entretien d’une ferme et les tâches d’une femme mariée . Certains de ces livres donnaient des 3 conseils et des instructions précises aux femmes pour former la jeune maîtresse de maison agricole. Ces livres, qui rassemblaient tous les sujets nécessaires ont connu un grand succès au XVIIIe siècle, s’adaptant facilement à la vie agricole. Mais l’exode rural a rapidement changé les conditions de vie et les rôles de ces femmes. Certaines femmes ont intégré le marché du travail, même les femmes de classe moyenne y ont brièvement participé pendant la deuxième guerre mondiale. Dans ce contexte de grande dépression et de guerres, l’économie ménagère à rapidement diminué en importance. C’est avec l’arrivée des années cinquante que ce sujet a atteint son apogée coïncidant avec l’apogée de la ménagère parfaite portée par la stabilité économique de la période. Cette femme au foyer modèle ne se basait pas sur les savoirs qu’elle avait pu apprendre sur le tas, mais sur la science pure. Cette fois, ces enseignements ne se feraient pas par le biais de livres, mais à travers des cours, formant les jeunes femmes dès l’école obligatoire au rôle que la société attendaient qu’elles remplissent. L’économie domestique entendait donc devenir une science en empruntant les études dans les domaines comme la botanique ou en créent des centres de recherche propres. Les recherches de Luisella Goldschmitt-Clairmont reflètent ce développement : le but principal des départements d’économie domestique dans les universités étaient de rendre ces études légitimes et scientifiques. Les publications dans le domaine datant de cette période peuvent nous sembler forcées, une vision scientifique de sujets triviaux. L’organisation de la cuisine par exemple : où placer le potager par rapport à l’évier pour atteindre une efficience maximale dans la cuisine. “La ménagère fait 5000 pas Casey, J. G. (2004). “This is YOUR Magazine”: Domesticity, Agrarianism, and The Farmer’s Wife. 3 American Periodicals: A Journal of History & Criticism, 14(2), 179–211. The Farmer's Wife, 1 Janvier 1906 “les femmes au foyer utilisent 18 unités de force en moyenne pour coudre un bouton” inutiles par jour en s’occupant de la maison” annonce une étude, “Les femmes au foyer utilisent 18 4 unités de force en moyenne pour coudre un bouton” explique une vidéo de Chevrolet Motor Company . Ces titres reflétaient une envie de scientificité, sans doute poussée par l’obsession pour la 5 science des années cinquante et soixante, et l’envie de donner une certaine légitimité académique à ce domaine qui était encore considéré comme une préparation au mariage. D’un autre côté, on peut y voir une glorification de ce travail à la maison, et de la femme au foyer en général encourageant donc les femmes à rester à la maison en valorisant leur travail si non économiquement, du moins en le présentant comme un travail dur et sérieux. Les nouveaux académiciens avaient aussi une volonté de vulgariser ce savoir. Car le but ne pouvait pas être de cloisonner un champ qui devait inévitablement être mis en pratique pour être utile . Une multitude de manuels de 6 la ménagère ont été produits, sans parler des vidéos éducatives produites pour informer les femmes de leurs taches et donner un air scientifique et clair à leur quotidien. Cette vulgarisation passait par des explications précises sur chaque action et tâche de la femme. C’est cette volonté de dicter toutes les actions des femmes qui a finalement donné l’image des cours d’économie ménagère qui existe de nos jours. Le domaine a toujours été bloqué entre le scientifique et le pratique. Il fallait créer des programmes qui se voulaient scientifiques, mais qui, en même temps, préparaient les étudiantes à une vie en tant que femme au foyer, un rôle qui englobe d’innombrables compétences. La question devenait donc : où s’arrêter dans l’éducation de ces femmes? Quel était le but de ces cours : éduquer les femmes pour en faire des ménagères parfaites ou pour en faire les femmes parfaites? On voit cette contradiction dans les vidéos et manuels produits à l’époque. Certaines vidéos pouvaient être intéressantes, “Comment créer un budget et le suivre” par exemple. Le problème arrive quand on essaie de forcer la science, là où elle n’est pas nécessaire : “Les soins de beauté nécessaires pour être attrayante ” en est un bon exemple. L’économie domestique prenait donc en compte des enseignements pratiques mais aussi certains sujets qui sont, de nos jours, relégués aux pages de Cosmopolitan. C’est cette contradiction qui a Steidl, R. E. (1962). Trips Between Centers in Kitchens for 100 Meals: An Examination of Methods of 4 Analysis and Relationships to Kitchen Planning and Description of Work. Cornell University Agricultural Experiment Station. Jeff Quitney. (n.d.). Women’s Work & Housework: “Easy Does It” 1940 Chevrolet Motor Company. 5 Retrieved from https://www.youtube.com/watch?v=LIXu3JqSad0&frags=pl%2Cwn Office international de l’enseignement ménager. (1951). Enseignement ménager, Bulletin de la 6 Fédération internationale de l’enseignement ménager puis Bulletin de la Fédération internationale pour l’économie familiale (No. 96). Fribourg, Suisse. “Un point réunit toutes les Suissesses, le tricot” https://www.rts.ch/archives/tv/information/ finalement détruit l’ambition scientifique de l’économie ménagère. Si bien que quand les femmes ont intégré le marché du travail à part entière, les programmes ont cessé et les cours d’administration du ménage sont devenus moins importants. Il est donc facile de penser aux cours d’économie domestique comme un outil d’oppression des femmes, d’une époque qui les reléguait à la maison en prétendant que ceci était une science exacte lui accordant donc une valeur symbolique. Mais cette conclusion est trop simple, et franchement dégradante pour toutes ces femmes qui accordent leur temps au maintien d’un foyer en suivant des règles exactes. Les cours d’économie ménagère étaient sans doute le symbole d’une époque où les femmes avaient des possibilités limitées, mais ces programmes donnaient aussi une certaine légitimité à ces possibilités. Les tâches domestiques restent d’ailleurs présentes dans la vie quotidienne. En Suisse, dans 80 % des couples avec des enfants de moins de 25 ans, les tâches domestiques sont majoritairement assumées par la femme . Le fait est que détruire l’image de la femme au foyer ne réduit pas l’oppression, au contraire 7 ceci les rend moins visibles et leur travail non rémunéré est encore moins apprécié. Bien évidemment, ceci ne veut pas dire que “c’était mieux avant” et qu’on devrait revenir à l’ère où femme au foyer était une des seules options envisageables. Mais il est évident que la disparition des programmes et des départements d’économie domestique fait partie d’une tendance plus large d’effacer les symboles de l’oppression sans combattre l’oppression elle-même. Luisella Goldschmidt Clairmont s’est battue pour que le travail non-rémunéré exercé uploads/Finance/l-x27-economie-menagere-liberation-ou-oppression-armando-miguelez-j-x27-etudie-les-beaux-arts-en-attendant-de-me-marier.pdf
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- Publié le Mai 15, 2022
- Catégorie Business / Finance
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