HISTOIRE DES ÉTABLISSEMENTS ET DU COMMERCE FRANÇAIS DANS L’AFRIQUE BARBARESQUE

HISTOIRE DES ÉTABLISSEMENTS ET DU COMMERCE FRANÇAIS DANS L’AFRIQUE BARBARESQUE (1560-1793) (Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Maroc) PAR Paul MASSON Professeur d’Histoire et de Géographie économique à l’université D’Aix-Marseille. PARIS LIBRAIRIE HACHETTE & Cie 79, Boulevard Saint-Germain, 79 1903 Livre numérisé en mode texte par : Alain Spenatto. 1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC. D’autres livres peuvent être consultés ou téléchargés sur le site : http://www.algerie-ancienne.com Ce site est consacré à l’histoire de l’Algérie. Il propose des livres anciens, (du 14e au 20e siècle), à télécharger gratuitement ou à lire sur place. AVANT-PROPOS Pendant tout le moyen-âge, les Provençaux, malgré la piraterie sarrazine, eurent des relations avec le nord de l’Afrique, comme avec le Levant. Mais, de même que le commerce du Levant prit un caractère tout nouveau à la sui- te des Capitulations, de nième une ère nouvelle commença au XVIe siède pour celui de la Barbarie. Les Turcs, établis dans les pays barbaresques, remplacèrent à Alger, à Tunis, à Tripoli, les dynasties locales et donnèrent à la piraterie une extension qu’elle n’avait jamais eue. Cependant les Français, à la suite des Capitulations, créèrent des consulats et organisèrent des échelles sur le modèle de celles du Le- vant. Bien plus, grâce à l’alliance algérienne, ils obtinrent le privilège exclusif du commerce sur une partie des côtes de la Régence et y fondèrent des établissements connus sous le nom de Concessions d’Afrique, exploités jusqu’à la Révolution par une série de compagnies exclusives. Enfi n, la ruine de Narbonne et de Montpellier, le privilège de la franchise de son port, donnèrent à Marseille, dans la Mé- diterranée, un monopole qu’elle n’avait pas au moyen âge. Au XVe siède encore, les ports du Languedoc, même ceux du Roussillon, comme Collioure et Port-Vendres, peut-être ceux de l’Océan, comme Bayonne et les ports bretons, si l’on en croit de Mas Latrie, envoyaient des navires sur la côte nord d’Afrique. IV AVANT-PROPOS Mais, d’un autre côté, les Marseillais, à partir de la fi n du XVIe siède, eurent à se défendre contre des concurrents étrangers de plus en plus nombreux, qui vinrent disputer le trafi c méditerranéen aux vieilles cités du moyen âge. Les Anglais, les Hollandais, les Danois, les Suédois, furent des rivaux dangereux et envahissants, en face desquels les Ita- liens, Vénitiens, Génois, Florentins, ne surent pas garder leurs anciennes positions. Seule, Marseille, en butte aux at- taques et souvent aux coalitions de tous ces adversaires, put maintenir, pendant près de trois sièdes; la prépondérance du commerce et du nom français dans toute l’étendue de la Barbarie. On trouve souvent répétée, dans les documents du XVIIe siède, celte assertion que nos relations avec les Turcs n’avaient d’autre objet que de sauvegarder les intérêts de notre commerce. Il y avait là plus qu’une exagération, car l’alliance turque joua souvent un rôle important dans les combinaisons de la politique française. Mais, ce qui n’était pas vrai pour les Turcs l’était à la lettre pour les Barbares- ques. Ce fut uniquement en vue du commerce que la France et les autres puissances chrétiennes - eurent des correspon- dances suivies avec les régences de Tripoli, de Tunis, d’Al- ger, et avec les chérifs du Maroc. Ce fut pour défendre des intérêts commerciaux qu’elles nouèrent ces relations, aussi humiliantes pour elles que fructueuses pour ces ennemis ju- rés des chrétiens. Mais il s agissait plus de protéger contre eux le commerce méditerranéen et particulièrement le com- merce du Levant, que de développer un trafi c dans leurs États misérables. Aussi, faire l’histoire des établissements et du commerce français en Barbarie n’est pas exactement faire l’histoire des Relations de la France avec les Barbares- ques, parce que beaucoup de négociations avec eux eurent AVANT-PROPOS V pour objet la répression de la piraterie, la sécurité de la na- vigation : on en trouvera l’exposé dans mon Histoire du commerce français dans le Levant. Cependant, en dépit des conditions les plus défavo- rables, des Français s’étaient établis en Barbarie, dans les échelles fondées au XVIe siède ; des compagnies exploi- taient les Concessions d’Afrique. La politique française en Barbarie eut aussi pour but constant de protéger et de développer ces intérêts. On ne trouvera pas ici l’histoire détaillée de nos relations avec les Barbaresques, même à ce point de vue. Je me suis plus attaché à montrer les résultats qu’à exposer les négociations, compliquées et sans cesse re- nouvelées, qui les amenèrent ou en assurèrent le maintien. Ces résultats pourront paraître minces et peu dignes de remplir un gros livre. Les ministres de nos rois, au XVIIe ou au XVIIIe siède, n’auraient pas pensé ainsi. Jamais le commerce des Français ne fut réellement important en Bar- barie ; jamais leurs établissements ne prirent un grand dé- veloppement, mais ils ont tenu dans notre histoire une place bien plus grande qu’il ne semble au premier abord ; ils n’ont cessé d’occuper notre diplomatie et de préoccuper nos mi- nistres. En effet, les Concessions d’Afrique donnaient aux Français un grand prestige auprès des Barbaresques ; elles étaient le symbole et le meilleur garant d’une amitié et d’une paix, dont le maintien était d’une importance vitale pour notre commerce méditerranéen. Les opérations commercia- les y donnaient parfois des bénéfi ces énormes ; on espérait toujours les renouveler et donner à ce trafi c un grand déve- loppement. Aussi, les Concessions et le commerce français furent-ils toujours l’objet des vives jalousies des autres puissances, particulièrement de l’Angleterre. Pendant deux sièdes, la diplomatie anglaise fut occupée à nous supplanter, VI AVANT-PROPOS tandis que celle de Versailles ne mettait pas moins d’activité et de vigilance à maintenir la situation acquise. Les diplomates anglais et français auraient montré bien plus d’audace encore à se disputer la place, s’ils avaient pu prévoir la conséquence fi nale de la longue prépondérance de l’infl uence française sur la cote nord de l’Afrique. Bien des gens avisés pensaient, sous Louis XVI, que cette in- fl uence fi nirait par nous donner la possession de l’Egypte : ils ne soupçonnaient pas que l’occupation de l’Algérie et de la Tunisie serait le fruit de trois sièdes d’efforts et de la remarquable continuité de notre politique. C’est à cause de ce résultat, imprévu pour eux, que l’histoire de nos anciens établissements et de notre commerce en Barbarie doit nous intéresser plus encore que les gens du XVIIe ou XVIIIe siè- de. Aucun exemple ne montre mieux comment l’expansion d’an pays au dehors peut être préparée par de lointaines et obscures entreprises. Celles de nos ancêtres n’ont peut-être pas donné encore tous leurs fruits dans le nord de l’Afrique et la perte de l’Egypte, due en partie, à l’ignorance du passé et des droits acquis, est une preuve malheureusement trop saisissante de la nécessité qu’il v a de faire connaître et re- vivre toutes les vieilles traditions de notre politique. D’un autre côté, cette histoire nous attachera davantage a nos possessions d’Afrique, en nous faisant voir qu’elles nous coûtent bien plus qu’on ne le dit communément. Aux trois milliards auxquels on évalue les dépenses de la conquête de l’Algérie, depuis 1830, il faudrait ajouter tout ce qu’il nous en a coûté, en argent et en hommes, depuis le XVIe siède, pour établir notre infl uence, la maintenir et préparer la con- quête. L’histoire des anciennes Concessions d’Afrique est intéressante à un autre point de vue, qui intéresse les écono- AVANT-PROPOS VII mistes. Elle est l’un des chapitres les plus curieux de l’his- toire des compagnies commerciales de l’ancien régime. Les compagnies nombreuses qui se succédèrent jusqu’à la Révolution, pour exploiter les Concessions, furent, en effet, dans une situation spéciale, unique même, dans les annales des anciennes compagnies. Elles avaient un monopole, et cependant elles eurent toujours à lutter contre la concur- rence des négociants particuliers, parce que leur monopole n’existait que pour les Concessions, dont le territoire était peu étendu ; les capitales barbaresques, Alger et Tunis, res- tèrent toujours en dehors. Il y eut donc, pendant plus de deux siècles, sur cette côte d’Afrique, une rivalité acharnée et intéressante entre les compagnies et le commerce privé. Aussi est-ce bien à tort que, dans les études faites jusqu’ici, on a eu une tendance à confondre l’histoire des compagnies d’Afrique avec celle des échelles de Barbarie; loin de se confondre avec celle des compagnies, l’activité des négo- ciants français, établis à Tunis ou à Alger, la contraria con- tinuellement. Plus encore que pour le commerce du Levant, les Mar- seillais furent à peu près les seuls, pendant plus de deux sièdes, à représenter les Français en Afrique, sauf au Maroc où les Ponantais jouaient un certain rôle. Sans doute, des capitaux souvent importants furent fournis aux diverses compagnies d’Afrique par des habitants de Paris ou d’autres villes, mais la direction de ces compagnies fut toujours à Marseille : leurs agents et les directeurs des comptoirs fu- rent toujours Marseillais ; Marseille fut toujours le point de départ et de retour de leurs navires. Les Marseillais ne sont pas, en général, considérés comme des gens patients, capables d’efforts persévérants. uploads/Geographie/ 1903-hef.pdf

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