Publié dans : Autrepart n°39, 2006, p.93-109 (revue scientifique à comité de le
Publié dans : Autrepart n°39, 2006, p.93-109 (revue scientifique à comité de lecture, Paris : Institut de Recherche pour le Développement/éditions Armand Colin) Le commerce de rue, ambulant ou informel et ses rapports avec la métropolisation : une ébauche de modélisation Jérôme Monnet Institut Français d’Urbanisme, Université de Paris-8 Laboratoire Théorie des Mutations Urbaines, UMR Architecture Urbanisme Société, Résumé : l’article porte sur le commerce de rue, ambulant ou informel, défini par les situations d’échange économique caractérisées par l’occupation temporaire ou précaire d’un espace de circulation ouvert au public. Il propose une ébauche de modélisation systémique et contextuelle des rapports entre les transactions ambulantes et la métropolisation, saisie du point de vue du client, dans la perspective de l’intensification des mobilités, de la multiplication des interstices socio-spatiaux, et d’une citadinité éclatée entre les différentes dimensions de l’expérience métropolitaine. Mots-clés : commerce ambulant, vendeurs de rue, économie informelle, mobilités urbaines, expérience citadine, métropolisation, globalisation, modélisation. Introduction La proposition présentée ici s’appuie essentiellement sur des recherches réalisées sur des métropoles d'Amérique latine (Mexico, San Salvador, Lima, Rio de Janeiro) dans le cadre du réseau de recherche « Ambulantage entre Local & Global »1, afin de tester la possibilité d’en généraliser les hypothèses et les résultats dans d’autres contextes urbains, du sud et du nord, dans une perspective comparative. Il s’agit d’exposer la première étape d’une modélisation non mathématique mais heuristique, qui ne tend pas tant à réduire la complexité qu’à offrir une représentation dynamique, systémique et contextuelle d’un phénomène (Le Moigne 2000). L’exercice correspond ici à une phase intermédiaire de la recherche, à mi-chemin entre un travail de synthèse empirique sur la portée générale de phénomènes observés localement, et un travail de réflexion théorique, hypothético-déductif, sur les mutations des villes contemporaines dans le cadre de la globalisation, mutations que je résumerai avec le terme « métropolisation ». 1 Une première version de cette modélisation a été présentée lors du colloque de Rio de Janeiro "Comércio, culturas e políticas urbanas em tempos de globalização" (2005) ; autres publications du réseau « Ambulantage entre Global et Local » : Commerce et mobilités urbaines… 2005 ; Monnet & Bonnafé 2005. « Le commerce de rue, ambulant ou informel et ses rapports avec la métropolisation », Autrepart n°39, 2006, p.94 Le point de départ de l’article sera la variété des identifications du commerce dit de rue, informel ou ambulant dans les métropoles contemporaines. Nous mettrons ensuite en relation les principales identifications de ce commerce avec certaines mutations de ces métropoles, ce qui nous permettra de qualifier les conditions de la métropolisation propices à ce secteur d’activité. Ces conditions conduisent à déplacer la perspective du vendeur vers le client, et ainsi à s’interroger sur l’expérience de la citadinité contemporaine. A) Commerce de rue, commerce informel ou commerce ambulant : une ou plusieurs réalités ? D’une langue à l’autre (nous comparons ici les usages de l’anglais, de l’espagnol et du français) et d’un pays à l’autre, les façons d’identifier ce type de commerce présentent à la fois des similitudes et des différences significatives. A l’échelle d’un pays ou d’une ville, il apparaît souvent une terminologie spécifique : par exemple, on parlera de « hawker » ou « pedlar/peddler » en Grande- Bretagne et aux Etats-Unis, de « colporteur » en France, de « camelot » au Québec ou en Afrique francophone (ainsi qu’au Brésil : « camelô »). Les produits vendus sont souvent dévalorisés de façon vernaculaire comme étant de la « camelote » (France), de la « chatarra » (Mexique), de la marchandise « chicha » et « bamba » (Pérou) ou « trucho » (Argentine). On trouve aussi de savoureuses innovations lexicales, comme le « camelodrôme » (camelodrómo) qui désigne au Brésil un marché construit pour réinstaller des vendeurs qui opéraient dans la rue, aussi dénommé par les autorités « mercado popular »2, tandis qu’au Mexique on parle officiellement de « plaza de comercio popular » (Stamm 2005). Pour identifier l’activité de manière générique et non spécifique, il existe trois principales qualifications (Tableau 1). L’identification du « commerce informel », élément du secteur informel de l’économie, semble dominante dans les trois langues et dans tous les pays concernés, comme si le vocabulaire de l’expertise économiciste était hégémonique dans les discours politiques, médiatiques et scientifiques. En revanche, l’anglais diffère sensiblement de l’espagnol et du français quand il s’agit d’identifier non plus un vaste « secteur », mais l’activité précise d’acteurs : il parle de « street vendors », faisant de leur lieu d’exercice, la rue, le déterminant principal de ces vendeurs. L’espagnol et le français insistent de leur côté sur un autre déterminant, celui de la mobilité du vendeur (« vendedores ambulantes » ou « marchands ambulants »). 2 Cf. Carvalho & Martins, Bitencourt & alii, « Mesa 2 » & Vieira & Mello, « Mesa 4 » in : Comércio, culturas e políticas… 2005. « Le commerce de rue, ambulant ou informel et ses rapports avec la métropolisation », Autrepart n°39, 2006, p.95 Tableau 1 : Les représentations lexicales du commerce de rue, informel ou ambulant Types de commerce Principales expressions : a) anglais, b) espagnol, c) français Champs et acteurs de la représentation lexicale Informations ou observations Informel a) Informal Sector or Trade b) Economia o comercio informal c) Secteur ou commerce informel Economistes, experts en développement, gouvernements nationaux Absence d'enregistrement, d’informations statistiques et/ou de perception fiscale Sur la voie publique a) Street Vendors/ Merchants/ Trading Juristes, experts en aménagement urbain, gouvernements locaux Normativité juridique de l’occupation légitime ou illégitime de l’espace public, visibilité dans le paysage urbain Ambulant b) Vendedores ambulantes/ Venta ambulante c) Marchands ou vendeurs ambulants Clients et vendeurs, mass media Mobilité du vendeur, instabilité du dispositif de vente Source : Monnet 2006 Sous ces différentes dénominations, jusqu'à quel point parle-t-on du même commerce ? L’identification d’un commerce dit « informel » renvoie à l’absence d’enregistrement légal et/ou fiscal de l’activité ; ce type a été défini par des économistes pour le différencier des activités qui pouvaient être mesurées et analysées par la statistique officielle. C’est une identification négative (est informel tout ce qui n’est pas enregistré) utile pour les experts et les gouvernements nationaux pour quantifier l’évasion fiscale, la piraterie, l’absence de protections ou de garanties. C’est dans ce registre que sont publiés la plupart des études scientifiques ou techniques (cf. BIT 2000, Lautier 2004). Cependant, les gouvernements locaux, qui sont en charge de l’ordre public, utilisent aussi une définition de la vente selon le statut juridique de l’espace où elle se réalise ; ils opposent ainsi le commerce sur la voie publique aux transactions qui se déroulent à l’intérieur d’un espace privé. Enfin, l’identification par le caractère « ambulant » apparaît communément utilisée par les clients et les vendeurs, ainsi que par les médias, dans les aires linguistiques espagnole et française. A la différence de l’identification par la formalité ou son absence, l’identification par la rue ou par la mobilité relève de l’expérience commune en structurant, qualitativement, le paysage urbain, tant physique que social. Ces trois identifications, correspondant chacune à une grande dichotomie (informel/formel ; public/privé ; ambulant/fixe), composent ensemble un « triangle dichotomique » (Graphique 1), à l’intérieur duquel on trouverait le commerce de rue, informel et ambulant, opposé aux activités commerciales caractérisées par leur formalité et par leur localisation fixe dans un espace privé et intérieur (établissement, magasin ou boutique). Cette première modélisation graphique apparaît d’emblée excessivement simplificatrice, car il est fréquent d’observer que les commerces considérés ne sont pas en même temps ambulants, informels et sur la voie publique. « Le commerce de rue, ambulant ou informel et ses rapports avec la métropolisation », Autrepart n°39, 2006, p.96 Graphique 1 : Les identifications dichotomiques du commerce de rue, ambulant et/ou informel En effet, des marchands ambulants formels (comme les crieurs de journaux) coexistent avec des commerces informels qui ne se trouvent ni dans la rue ni ambulants, comme les boutiques improvisées à l’intérieur des domiciles. On rencontre également des commerces de rue qui ne sont pas ambulants, comme les étals ou les kiosques, tandis que l’on trouve aussi du commerce ambulant hors de la rue, par exemple avec les colporteurs dans les trains ou dans les bus, voire dans des édifices. Le commerce dit de rue, ambulant ou informel ne constitue donc pas un objet stable et net, mais un objet « flou et fluide » (Monnet 2001) : il faut considérer qu’il présente une certaine unité tout en ayant des limites mouvantes et qui changent selon les circonstances. Cela pose un défi à la recherche tenue d’identifier précisément son objet, alors que dans le cas qui nous occupe ici, je fais l’hypothèse que pour comprendre le phénomène et affronter le défi de sa complexité (Morin 1988), il est nécessaire de respecter son caractère changeant et incertain. Dans ces conditions, ce que nous appellerons dans la suite de ce texte « commerce ambulant » apparaîtra comme une activité à la fois ou concurremment caractérisé par son statut juridico-économique (sa formalité), par son lieu d’exercice (sa spatialité) ou uploads/Geographie/ 2006-autrepart-39-monnet-commerce-ambulant.pdf
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