187 L'espace public contemporain, un espace libre et non de liberté, ou simplem
187 L'espace public contemporain, un espace libre et non de liberté, ou simplement un vide résiduel : le cas de la ville d'Oran Kheira FENINEKH(1)(2) Introduction L’espace libre, non bâti, élément important du tissu urbain face au parcellaire, permet de faire une lecture de l’espace public sous toutes ses formes. L’espace libre s’est toujours trouvé au cœur des débats (passés ou contemporains) sur l’évolution de la ville et de sa forme. Cependant, divers questionnements se posent devant l’observation du cadre réel de l’espace libre de la ville algérienne et notamment Oran. L’examen de cet espace dans les zones périphériques et péri centrales d’Oran révèle une série d’espaces résiduels boueux en hiver et poussiéreux en été auxquels est confronté quotidiennement le citoyen. L’impression générale est celle du vide qui fait pressentir une certaine absence ou disparition de la ville. Certains auteurs parlent même de "la mort de la ville". Beaucoup de critiques notifient que cet état de fait est en partie lié aux carences du cadre juridique algérien, défini par l’état, en matière de construction et qui traduit un certain nombre de seuils et de limites en termes de conciliation entre liberté individuelle et droit commun, entre réglementation et pratique sociale. En conséquence, les productions urbaines apparaissent en fin de compte comme des coups partis : des juxtapositions hasardeuses de programmes tracés d’un côté et des interventions isolées de l’autre. Mais si l’on se positionne, pour un moment, dans la lignée de Jane Jacobs1 qui prônent pour des stratégies anti-urbanistiques l’on trouvera que, pour eux, l’urbaniste ne doit plus tenter de définir les objectifs majeurs de la société, ni proposer un projet unifié pour les réaliser, comme l’ont fait Howard, Wright ou Le Corbusier. Jacobs part de l’idée que les valeurs caractéristiques des villes et les qualités qui en aspirent la prospérité et la salubrité sont l’intensité et la variété. Pour elle, les villes (1) USTO, Département d’Architecture, 31000, Oran, Algérie (2) Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31000, Oran, Algérie. 1 Jacobs, J. (1961), The death and life of great american cities, New York, Ed. Vintage books, p. 64 et p. 90. Kheira FENINEKH 188 sont déjà construites, elles peuvent être rénovées mais jamais transformées et propose comme exemple la cité au tissu étroitement serré et intriqué2 . "La ville moderne nous enseigne qu’il ne sert à rien de ruser : les constructions les plus neutres en disent long, elles aussi. Ici, d’un urbanisme abandonné au seul jeu de la spéculation immobilière ; là, du sort fait au logement du plus grand nombre, ailleurs encore, de l’art réduit au privilège de quelques-uns. Qu’on le veuille ou non, construire c’est prendre parti "3. En effet, construire c’est prendre parti, mais comment expliquer le développement de l’espace libre, d’un espace très conventionnel, la rue, la place, le square à un espace résiduel résultant de ce développement. L’espace résiduel, un nouvel espace libre Après la 2ème guerre mondiale et pour satisfaire une demande croissante des besoins en logements, les réalisations ont été marquées par une construction massive et quantitative. La mutation d’une société industrielle vers une société urbanisée et spécialisée dans le tertiaire et la pérennité de l’espace public et son étendue dans le temps, ont engendré une sorte d’évidement de ce dernier de sa fonction socialisante et une perte de son importance dans le monde de l’urbanisme. L’urbanisme moderne, en particulier a produit les grands ensembles avec des espaces libres très vastes, sans statut défini et très difficiles à entretenir. Jusqu’au milieu des années 80, l’effort des collectivités s’est concentré sur la construction des logements et des équipements. Les espaces vides qui les distribuent, ont été aménagés et gérés avant tout pour résoudre les problèmes des VRD. Néanmoins, les concepteurs continuent de projeter des espaces pas "vides" signifiant la mort de la ville, mais de nouveaux espaces "moins marqués par les échecs reconnus de la discipline et plus aptes à fonder les discours d’une nouvelle pratique susceptible d’amener un renouveau urbain"4. 2 Fishman, R. (1977), L’utopie urbaine au XX° siècle, Ebenezer Howard, Frank Lloyd Wright, Le Corbusier, Bruxelles, Ed. Mardaga. 3 Mitterrand, F. (1989, in « Architectures capitales : Paris 1979-1989 », Paris, Éditions Electra Moniteur. 4 Tonnelat, S. (2003), Interstices urbains Paris – New York : entre contrôles et mobilités, quatre espaces résiduels de l’aménagement, thèse de doctorat en urbanisme et aménagement (Paris 12) et psychologie environnementale (City university of New York), sous la direction de Bernard Haumont et William Kornblum, L'espace public contemporain, un espace libre et non de liberté… 189 Par conséquent, la notion d’espace libre s’est déplacée de la catégorie du vide de la place, la rue, l’espace public et s’est transformée en un nouvel espace, l’espace résiduel non bâti qui est non dessiné et non planifié. De même, la croissance industrielle n’a pas donné tout son intérêt au rôle traditionnel de la rue qu’elle voulait améliorer en concevant des espaces libres ; et l’urbanisme contemporain n’encourage pas l’étude réelle des espaces résiduels mais les propose comme de nouveaux idéaux non peu complexes. Le "vidage" de l’espace libre et la manifestation de l’espace résiduel : signes de la mort de la ville Dès les années soixante, suite à la reconstruction urbaine en Europe, le vide des espaces libres prend une nouvelle position et devient l’une des causes de la crise de la société urbaine et l’apparition de l’espace résiduel et sa manifestation constituent les symptômes de cette crise : le vide social de l’espace libre est associé aux friches de la désindustrialisation et le vide du non – lieu aux délaissés de voirie et l’on arrive finalement au constat de la mort de la ville. Sur le plan urbanistique, les membres du groupe Team X, dont Bakema et Van Eyck, réagissent au milieu des années 1950 contre le peu d’intérêt que l’urbanisme et l’architecture fonctionnalistes avaient manifesté pour le traitement de l’espace public et la définition d’une nouvelle relation viable de l’espace libre avec l’environnement bâti. Ils avaient bien pris conscience de ce que Trancik R.5 fustigera plus récemment comme "lost space" dans les projets de la ville fonctionnaliste. Les premiers constats de l’espace résiduel "Depuis la dernière guerre, la ville a été principalement pensée à partir des pleins constitués par le bâti, créant des vides qui s’articulent avec plus ou moins de bonheur."6 5 Trancik, R. (1986), finding lost spaces, Theories of urban design, New York, Van Nostrand and Reinhold. 6 Boyer, A. & Rojat-Lefebvre, E. (1994), Aménager les espaces publics, le mobilier urbain, Paris, Le Moniteur, p. 16. Kheira FENINEKH 190 Camillo Sitte7 avait déjà prédit et mis en garde au début du XXème siècle contre un dessin trop rationnel et épuré de la ville qui modifierait les rues en espaces résiduels. "Dans l’urbanisme moderne, la relation entre les surfaces bâties et les surfaces vides s’inverse littéralement. Autrefois, les espaces vides (rues et places) constituaient une totalité close dont la forme était déterminée en fonction de l’effet qu’ils devaient produire. Aujourd’hui, on découpe des parcelles à bâtir sous la forme de figures régulières, et ce qui reste est baptisé rue ou place. Autrefois, toutes les inégalités disgracieuses disparaissent à l’intérieur des surfaces bâties. Aujourd’hui, dans la composition des plans d’aménagement, tous les résidus et recoins irréguliers deviennent des places … Du point de vue artistique, ce ne sont pas des places mais seulement des résidus d’espace vide provenant du découpage orthogonal des blocs bâtis". Les espaces libres ont toujours assuré un rôle important, mais la mise en œuvre de programmes à grande échelle notamment la série de parcs reliés par des autoroutes aux USA (programme lancé par Robert Moses8), a donné des espaces libres qui ont changé de nature et deviennent ce vide décrit par Sitte. Le Corbusier avait lui aussi prédit le risque que courait l’espace libre : "Les vides immenses que je créais dans cette ville imaginaire, dominés par un ciel répandu partout, j’avais une grande angoisse qu’ils fussent "morts", que l’ennui ne régnât, que la panique ne saisit les habitants"9. Pour éviter cette situation, Le Corbusier propose alors dans ses projets de la verdure comme solution constituant une échelle intermédiaire entre le piéton et l’immeuble. L’espace libre et l’espace résiduel chez les anti-urbanistes La vraie critique des espaces libres est donnée pour la première fois par Jacobs J. dans son célèbre ouvrage The death and life of great american cities :"Dans l’orthodoxie urbanistique, les espaces libres de quartier sont vénérés aveuglément …. Demandez à un promoteur ce que son nouveau quartier apporte par rapport à la ville traditionnelle et il vous répondra comme une vertu évidente, plus d’espace libre. Demandez à un urbaniste quels sont les progrès dans les codes et il vous répondra, encore comme une évidence, les incitations au dégagement d’espaces libres... Plus d’espaces libres pourquoi ? Pour des agressions ? Pour des vides lugubres entre les bâtiments ? 7 Sitte C. (1992), « La banalité des aménagements urbains modernes », in Marcel Roncayolo et Thierry Paquot, Villes et civilisation urbaine XVIII°-XX° Siècle, Paris, Larousse. 8 Caro R. (1974), uploads/Geographie/ 2013-espace-pub-feninekh.pdf
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- Publié le Mar 24, 2021
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