Guylaine Brun-Trigaud (dir.) Contacts, conflits et créations linguistiques Édit

Guylaine Brun-Trigaud (dir.) Contacts, conflits et créations linguistiques Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques Diglossie au Maroc : Inter-culturalité et Aménagement Linguistique Houssine Soussi DOI : 10.4000/books.cths.1307 Éditeur : Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques Lieu d'édition : Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques Année d'édition : 2015 Date de mise en ligne : 13 novembre 2018 Collection : Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques ISBN électronique : 9782735508648 http://books.openedition.org Référence électronique SOUSSI, Houssine. Diglossie au Maroc : Inter-culturalité et Aménagement Linguistique In : Contacts, conflits et créations linguistiques [en ligne]. Paris : Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2015 (généré le 10 décembre 2020). Disponible sur Internet : <http:// books.openedition.org/cths/1307>. ISBN : 9782735508648. DOI : https://doi.org/10.4000/books.cths. 1307. Diglossie au Maroc : Inter-culturalité et Aménagement Linguistique Houssine SOUSSI Doctorant à l'UFR Langue, Culture et Communication de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Moulay Ismail, Meknès, Maroc. Extrait de : Guylaine BRUN-TRIGAUD (dir.), Contacts, conflits et créations linguistiques, Paris, Édition électronique du CTHS (Actes des congrès des sociétés historiques et scientifiques), 2015. Cet article a été validé par le comité de lecture des Éditions du CTHS dans le cadre de la publication des actes du 139 e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques tenu à Nîmes en 2014. La situation linguistique au Maroc est marquée par une mosaïque multiculturelle et multilingue. Il s’agit d’un creuset de langues nationales et de langues étrangères, qui à travers l’histoire se sont enracinées dans le champ linguistique et culturel du pays. D’un côté, on trouve les langues maternelles de la majorité des Marocains que sont l’amazighe (berbère) et la darija (arabe dialectal marocain) et de l’autre, les langues d’écriture et de l’enseignement, l’arabe standard, le français et l’anglais. La diversité et l’interaction entre ces différentes langues donnent lieu, selon les usages et les usagers, à des pratiques diverses souvent qualifiées de bilinguisme, trilinguisme ou multilinguisme. Or ces qualifications ne peuvent englober toutes les situations linguistiques du Maroc, c’est pourquoi nous avons décidé d’adopter le terme diglossie. L’objectif de cet article est donc d’appliquer le concept de la diglossie sur les langues qui sont en usage au Maroc. Nous allons démontrer les différents enjeux linguistiques que nous offre le contexte spécifique de ce pays, et nous allons étudier les relations souvent conflictuelles qu’entretiennent les langues dans le marché linguistique marocain, sans toutefois les envisager sous la conception de conflit linguistique. La première partie est axée particulièrement sur le concept de diglossie, l’évolution de ce concept et son application aux diverses situations de communication. Pour nous aider à mieux discerner les différentes situations diglossiques qu’on peut étudier sur le Maroc, la deuxième partie est destinée à analyser la situation linguistique dans ce pays. Nous allons discuter plus précisément des statuts officiels des langues et des variétés linguistiques et ensuite nous allons décrire la réalité sociolinguistique du Maroc. Dans la troisième et dernière partie, nous analyserons les situations de diglossie concernant ce pays. Le concept de diglossie En sociolinguistique, selon la définition admise, « La diglossie désigne l'état dans lequel se trouvent deux variétés linguistiques coexistant sur un territoire donné et ayant, pour des motifs historiques et politiques, des statuts et des fonctions sociales distinctes, l'une étant représentée comme supérieure et l’autre inférieure au sein de la société »1. En ce qui concerne l’étymologie du terme diglossie, le mot est emprunté au grec et est constitué de deux parties dont la préposition di- signifie deux fois et la deuxième partie, issue du mot glôssa, signifie langue. Toutefois, Il est essentiel de faire une distinction importante entre diglossie et bilinguisme même si ce n’est pas une tâche facile étant 1. Wikipédia, consultée le 19 novembre 2013. Diglossie au Maroc 143 donné que ces termes sont très proches par leurs significations et peuvent parfois être confondus dans certains contextes. Selon Lambert-Félix Prudent2, le premier à avoir proposé le terme diglossie fut Jean Psichari, philologue et écrivain français d’origine grecque, qui l'aurait en effet employé, dans ses Essais de grammaire néo-grecque publiée en 1885. Il y reprenait par deux fois un terme utilisé peu de temps auparavant par un certain M. Roïdis dans un article publié dans Acropolis, mais faisait simplement mention de « l’étrange diglossie dont souffre la Grèce ». Ce serait son élève Hubert Pernot qui dans sa Grammaire Grecque Moderne de 1897, aurait proposé une définition approfondie du concept dans son analyse de la situation sociolinguistique grecque en soulignant la coexistence de la katharévusa, langue scolastique, savante et langue écrite par excellence, avec le démotiki ou romaïque, grec usuel ou vulgaire, qui est la seule langue courante bien qu'elle ne soit pas enseignée3. Dans son article de 1928, Jean Psichari qualifie de diglossique toute situation où deux variantes (parlée et écrite) d’une même langue sont en usage dans un pays. Il postule que : « La diglossie ne consiste pas seulement dans l’usage d’un double vocabulaire [...] la diglossie porte sur le système grammatical tout entier. Il y a deux façons de décliner, deux façons de conjuguer, deux façons de prononcer ; en un mot, il y a deux langues, la langue parlée et la langue écrite. »4 William Marçais, membre de l'Institut et professeur au Collège de France, publie en 1930 ses rapports d'inspection sur la langue arabe dans l’enseignement public qu’il intitule La diglossie arabe. Dans son article, Marçais reprend les mêmes termes utilisés par ses prédécesseurs pour définir la diglossie sans pourtant ne faire aucune référence directe à Psichari ou Pernot. Marçais définit ainsi la diglossie comme « la concurrence entre une langue savante écrite et une langue vulgaire, parfois exclusivement parlée »5. On peut soutenir que la définition de Marçais peut être considérée comme archaïque par le choix de ces termes mais pas dans son champ d’application. En effet, Marçais parle de la concurrence entre les langues savante et vulgaire, et au cours des étapes plus avancées du développement de la théorie de diglossie, la notion de concurrence est remplacée par distribution et les concepts de savant et vulgaire sont remplacés par variété haute et variété basse. Le concept de Diglossie chez Ferguson Le concept de diglossie va réapparaître aux États-Unis en 1959 dans un célèbre article de Charles Ferguson, Diglossia6, où l’auteur, tout en reconnaissant qu’il emprunte le terme, va lui donner une teneur conceptuelle sensiblement différente de celle de Psichari et de Marçais. Il définit la diglossie comme une : « Situation linguistique relativement stable dans laquelle, en plus des dialectes premiers de la langue [...] il existe une variété superposée très différente, rigoureusement codifiée [...] qui est largement apprise par le biais de l’école, et qui est utilisée pour la plupart des textes écrits et des discours formels, mais qui n’est jamais utilisée [...] pour une conversation ordinaire. »7 À partir de plusieurs situations sociolinguistiques comme celles des pays arabes, de la Grèce, de Haïti ou de la Suisse germanophone, Ferguson va considérer qu’il y a diglossie lorsque deux variétés de la même langue sont en usage dans une société avec des fonctions socioculturelles certes différentes mais parfaitement complémentaires. L’une de ces variétés est considérée haute (Variété H), elle est codifiée, normalisée et par 2. L. Prudent, «Diglossie et Interlecte», pp. 13-38. 3. Ibid.,p. 15. 4. Ibid.,p. 66. 5. W. Marçais, «La diglossie arabe, dans l’Enseignement public», p 402. 6. C. Ferguson, «Diglossia», pp.325-340. 7. L. Prudent, « Diglossie et Interlecte », p. 22. Contacts, conflits et créations linguistiques 144 conséquent, elle est valorisée, investie de prestige par la communauté : elle est essentiellement utilisée à l’écrit dans la littérature ou dans des situations d’oralité formelle, et dans le système éducatif. L’autre, considérée comme basse (Variété B), est celle de communications ordinaires, de la vie quotidienne, elle est réservée à l’oral et considérée comme inférieure par rapport à la variété H, avec laquelle elle partage quelques ressemblances dans le système grammatical, lexical et phonologique. Diglossie selon Fishman La conception que donne Ferguson au mot diglossie serait élargie par Joshua Fishman, qui propose une extension du modèle diglossique à des situations sociolinguistiques où deux langues (et non plus seulement deux variétés de la même langue) sont en distribution fonctionnelle complémentaire. Fishman insiste sur la différence fonctionnelle entre ces systèmes linguistiques et sur la présence de plus de deux langues sans avoir, forcément, la parenté génétique. Il oppose le bilinguisme, qu’il définit par « la capacité d’un individu à utiliser plusieurs langues » et qu’il considère comme fait individuel et par conséquent relève de la psycholinguistique, à la diglossie qu’il considère comme fait social et par conséquent relève de la sociolinguistique. Description de la situation sociolinguistique au Maroc La situation linguistique au Maroc est assez complexe et est caractérisée par une pluralité qui est marquée par la coexistence de langues et de variétés différentes qui se distinguent par leur histoire, leur distribution géographique, leur typologie langagière et leur fonction sociolinguistique. L’explication de cette pluralité de langues, qui se présente comme un signe de richesse, réside dans le côté uploads/Geographie/ cths-1307.pdf

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