ITINÉRAIRES DE SABLE Parole, geste et écrit au Soudan central au XIXe siècle Ca

ITINÉRAIRES DE SABLE Parole, geste et écrit au Soudan central au XIXe siècle Camille Lefebvre Éditions de l'EHESS | « Annales. Histoire, Sciences Sociales » 2009/4 64e année | pages 797 à 824 ISSN 0395-2649 ISBN 9782713222023 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-annales-2009-4-page-797.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de l'EHESS. © Éditions de l'EHESS. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Pourtant les cartes et les représentations graphiques de l’espace, réalisées par des autochtones et rapportées par les explora- teurs, ont paradoxalement reçu au même moment un accueil circonspect et ont le plus souvent été ignorées 1. Si le récit de la réalisation d’une carte par un autochtone constitue à cette époque un passage obligé de la littérature de voyage 2, les objets matériels ainsi rassemblés sont rarement reproduits dans les ouvrages publiés ou le sont sous une forme traduite et lissée. Longtemps restés lettre morte dans les archives des explorateurs 3 ils sont aujourd’hui redécouverts dans le cadre du * Je remercie Dominique Casajus, Isabelle Surun, Tal Tamari, Robin Seignobos et Anaïs Wion pour leurs commentaires sur une version préliminaire de cet article. 1 - Camille LEFEBVRE et Isabelle SURUN, « Exploration et transferts de savoir : deux cartes produites par des Africains au début du XIXe siècle », Mappemonde, 92, 2008, p. 17- 21, http://mappemonde.mgm.fr/num20/articles/art08405.html. 2 - Christian JACOB, L’empire des cartes. Approche théorique de la cartographie à travers l’his- toire, Paris, Albin Michel, 1992, p. 58. 3 - C’est le cas des cartes d’itinéraires étudiées ici, redécouvertes par Jamie Bruce Lockhart dans le cadre de ses recherches sur l’explorateur Hugh Clapperton. Ces documents sont conservés dans les archives de l’explorateur à la Royal Geographical Society de Londres. Plusieurs de ces documents ont été publiés en annexe d’une réédition du second voyage de Clapperton par Jamie Bruce LOCKHART et Paul E. LOVEJOY, Hugh Clapperton into the Annales HSS, juillet-août 2009, n°4, p. 797-824. 7 9 7 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.68.111.151 - 08/11/2019 22:25 - © Éditions de l'EHESS Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.68.111.151 - 08/11/2019 22:25 - © Éditions de l'EHESS C A M I L L E L E F E B V R E renouveau des recherches sur les phénomènes d’exploration 4. Des publications récentes ont ainsi analysé le rôle des savoirs autochtones dans la constitution des savoirs géographiques européens 5. Mais ces matériaux peuvent être abordés par d’autres biais et notamment aider à reconstruire l’imaginaire spatial de ceux qui les ont réalisés 6. De plus, dans une région où les traces de la culture écrite sont rares et le plus souvent liées à l’exercice de l’autorité politique ou à une utilisation religieuse, ces matériaux permettent d’aborder un autre versant du rapport à l’écrit et d’observer un usage profane de l’écriture arabe. Nous nous intéresserons ici à une série de documents recueillis durant la première moitié du XIXe siècle au Soudan central 7, dans le contexte de l’exploration scientifique. Le moment de l’exploration scientifique en Afrique de l’Ouest, tel qu’il a été défini par Isabelle Surun, s’inscrit dans un projet de connaissance plus large, d’ordre géographique, de découverte et de description de l’ensemble du globe. La géographie place alors le voyage au centre de sa démarche 8 et l’explora- tion s’inscrit dans un mouvement de territorialisation du savoir, entamé dans les interior of Africa: Records of the second expedition 1825-1827, Leyde/Boston, Brill, 2005, p. 485-515. 4 - Les recherches sur les phénomènes d’exploration ont connu ces dernières années des évolutions importantes, marquées par le développement d’une histoire sociale des sciences qui envisage la production des savoirs comme un processus mettant en jeu des acteurs ancrés dans une société et une époque donnée. L’explorateur y est envisagé comme un acteur inscrit dans des réseaux de circulation d’informations et de savoirs scientifiques locaux et internationaux et soumis à des enjeux liés à la demande sociale exercée par les instances politiques et scientifiques. Le rôle de son expérience de terrain dans sa production est aussi analysé et pris en compte. Cette approche est notamment influencée par les travaux de Dominique PESTRE, « Pour une histoire sociale et cultu- relle des sciences. Nouvelles définitions, nouveaux objets, nouvelles pratiques », Annales HSS, 50-3, 1995, p. 287-322 et de Claude BLANCKAERT, Le terrain des sciences humaines. Instructions et enquêtes, XVIII e-XX e siècle, Paris, L’Harmattan, 1996. 5 - Thomas J. BASSETT, « Indigenous mapmaking in intertropical Africa », in D. WOODWARD et G. M. LEWIS, The history of cartography, vol. II, liv. 3, Cartography in the traditional African, American, Arctic, Australian, and Pacific societies, Chicago, The University of Chicago Press, 1998, p. 24-48 ; Bruno LATOUR, « Les ‘vues de l’esprit’, une introduction à l’anthropologie des sciences et des techniques », Culture technique, 14, 1985 p. 4-30 ; Bruno LATOUR, La science en action, Paris, Gallimard, 1995, p. 515-523 ; Isabelle SURUN, « Géographies de l’exploration. La carte, le terrain, le texte (Afrique occidentale 1780- 1880) », thèse de doctorat de l’EHESS, 2003, p. 520-530. 6 - Camille LEFEBVRE, « Territoires et frontières. Du Soudan central à la république du Niger 1800-1964 », thèse de doctorat de l’université de Paris 1-Sorbonne, 2008, p. 100-142. 7 - Le terme de Soudan, repris du « Bilâd as-Sudân » ou « pays des Noirs » des géo- graphes arabes, est utilisé communément en Europe au XIXe siècle, notamment par les géographes et les explorateurs pour définir l’Afrique saharienne de l’Atlantique à la mer Rouge. Les leaders du jihad de Sokoto au début du XIXe siècle, notamment Ousman Dan Fodio, Abdullahi Dan Fodio et Mohamed Bello, l’utilisent aussi dans leurs écrits, par exemple dans l’Infak al Maisur ou le Tazyn Al-Waraqat. Le Soudan central désigne alors une large région qui s’étend du fleuve Niger au lac Tchad d’ouest en est et du nord du désert algérien jusqu’à la confluence de la Bénoué du nord au sud. 8 - Hélène BLAIS et Isabelle LABOULAIS (dir.), Géographies plurielles. Les sciences géographiques au moment de l’émergence des sciences humaines, 1750-1850, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 45. 7 9 8 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.68.111.151 - 08/11/2019 22:25 - © Éditions de l'EHESS Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.68.111.151 - 08/11/2019 22:25 - © Éditions de l'EHESS É C R I T U R E S A F R I C A I N E S E T S O C I É T É S C O L O N I A L E S années 1760, qui voit dans l’enquête localisée le moyen d’une description perti- nente du monde 9. L’intérieur du continent africain, dont la méconnaissance est symbolisée par les blancs de la carte, devient alors un enjeu pour la communauté scientifique 10. La création de l’African Association en 1788, puis des différentes Sociétés de géographie 11, a pour objectif de favoriser la découverte du monde et particulièrement de l’intérieur du continent africain. Ces sociétés construisent le cadre institutionnel qui entoure l’exploration, définissant des objectifs à atteindre, des pratiques de voyage et un horizon scientifique. Leurs projets découlent de la volonté d’acquérir une connaissance empirique des lieux qui permettra d’en construire une géographie positive. Il s’agit de décrire et de mesurer l’ensemble de la terre de manière à s’approprier l’espace terrestre et à pouvoir le cartographier. Pour le géographe et l’explorateur, il ne s’agit pas seulement d’accumuler des faits géographiques positifs, d’effectuer une simple collecte empirique, mais de révéler et de construire un savoir géographique par l’observation in situ. La région du Soudan central fait alors partie de ces blancs de la carte, matrice de l’esprit d’aventure. Son exploration est menée par des individus qui souhaitent recueillir des matériaux à même de réduire cette insuffisance de la science occiden- tale. La chronologie est ici décalée par rapport à une Afrique des côtes qui échange avec l’Europe depuis plusieurs siècles et qui est, au XIXe siècle, déjà largement inquiétée par les ambitions impérialistes uploads/Geographie/ 3-lefebvre-camille-itineraires-de-sable-parole-geste-et-ecrit-au-sudan-central-au-xixe-siecle-28p.pdf

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