Document 1 : SAINT-EXUPERY, Terre des Hommes, ch. 2 « les Camarades », 1939 Sai

Document 1 : SAINT-EXUPERY, Terre des Hommes, ch. 2 « les Camarades », 1939 Saint-Exupéry vient de retrouver son ami Guillaumet, pilote au service de l’Aéropostale. Ce dernier a été victime d’un accident d’avion au cours d’une terrible tempête de neige dans les Andes, et il a survécu grâce à son courage et à son sens du devoir (la nécessité de transporter le courrier qui lui a été confié). Il le veille dans la chambre de l’hôpital de Mendoza où Guillaumet se remet de ses graves blessures. « Ce que j'ai fait, je le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait. » Cette phrase, la plus noble que je connaisse, cette phrase qui situe l'homme, qui l'honore, qui rétablit les hiérarchies vraies, me revenait à la mémoire. Tu t’endormais enfin, ta conscience était abolie, mais de ce corps démantelé, fripé, brûlé, elle allait renaître au réveil, et de nouveau le dominer. Le corps, alors, n'est plus qu'un bon outil, le corps n'est plus qu'un serviteur. Et cet orgueil du bon outil, tu savais l'exprimer aussi Guillaumet (…) Dans la chambre de Mendoza où je te veillais, tu t'endormais enfin d'un sommeil essoufflé. Et je pensais : si on lui parlait de son courage, Guillaumet hausserait les épaules. Mais on le trahirait aussi en célébrant sa modestie. Il se situe bien au-delà de cette qualité médiocre. S'il hausse les épaules, c'est par sagesse. Il sait qu'une fois pris dans l'événement, les hommes ne s'en effraient plus. Seul l'inconnu épouvante les hommes. Mais, pour quiconque l'affronte, il n'est déjà plus l'inconnu. Surtout si on l'observe avec cette gravité lucide. Le courage de Guillaumet, avant tout, est un effet de sa droiture. Sa véritable qualité n'est point là. Sa grandeur, c’est de se sentir responsable. Responsable de lui, du courrier et des camarades qui espèrent. Il tient dans ses mains leur peine ou leur joie. Responsable de ce qui se bâtit de neuf, là-bas, chez les vivants, à quoi il doit participer. Responsable un peu du destin des hommes, dans la mesure de son travail. Il fait partie des êtres larges qui acceptent de couvrir de larges horizons de leur feuillage. Être homme, c'est précisément être responsable. C'est connaître la honte en face d'une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. C'est être fier d'une victoire que les camarades ont remportée. C'est sentir, en posant sa pierre, qu’on contribue à bâtir le monde. On veut confondre de tels hommes avec les toréadors ou les joueurs. On vante leur mépris de la mort. Mais je me moque bien du mépris de la mort. S'il ne tire pas ses racines d’une responsabilité acceptée, il n'est que signe de pauvreté ou d'excès de jeunesse. SAINT-EXUPERY, Terre des Hommes, ch. 2 « les Camarades », 1939 Document 2 : FLAUBERT, Madame Bovary, 2ème partie, ch. XI, 1857 Le pharmacien Homais, fervent partisan du progrès, a poussé le Docteur Bovary à opérer Hippolyte, un pauvre garçon d’écurie, de son pied-bot. Il a écrit, pour le Journal « Le Fanal de Rouen », un article célébrant cette opération, une tentative tout à fait nouvelle qui pourrait les couvrir de gloire. Mais les conséquences seront désastreuses pour Hippolyte, qui devra être amputé par un autre médecin, Monsieur Canivet. « Malgré les préjugés qui recouvrent encore une partie de la face de l'Europe comme un réseau, la lumière cependant commence à pénétrer dans nos campagnes. C'est ainsi que, mardi, notre petite cité d'Yonville s’est vue le théâtre d'une expérience chirurgicale qui est en même temps un acte de haute philanthropie. M. Bovary, un de nos praticiens les plus distingués(…) a opéré d'un pied-bot le nommé Hippolyte Tautain, garçon d'écurie depuis 1 vingt-cinq ans à l'hôtel du Lion d’or, tenu par Mme veuve Lefrançois, sur la place d'Armes. La nouveauté de la tentative et l'intérêt qui s'attachait au sujet avaient attiré un tel concours de population, qu'il y avait véritablement encombrement au seuil de l'établissement. L'opération, du reste, s'est pratiquée comme par enchantement, et à peine si quelques gouttes de sang sont venues sur la peau, comme pour dire que le tendon rebelle venait enfin de céder sous les efforts de l'art. Le malade, chose étrange (nous l'affirmons de visu) (1), n'accusa point de douleur. Son état, jusqu'à présent, ne laisse rien à désirer. Tout porte à croire que la convalescence sera courte ; et qui sait même si, à la prochaine fête villageoise, nous ne verrons pas notre brave Hippolyte figurer dans des danses bachiques (2), au milieu d'un choeur de joyeux drilles (3), et ainsi prouver à tous les yeux, par sa verve et ses entrechats (4) sa complète guérison ? Honneur donc aux savants généreux ! Honneur à ces esprits infatigables qui consacrent leurs veilles à l'amélioration ou bien au soulagement de leur espèce ! Honneur! trois fois honneur ! N'est-ce pas le cas de s'écrier que les aveugles verront, les sourds entendront et les boiteux marcheront ! Mais ce que le fanatisme autrefois promettait à ses élus, la science maintenant l'accomplit pour tous les hommes ! Nous tiendrons nos lecteurs au courant des phases successives de cette cure si remarquable, » Ce qui n'empêcha pas que, cinq jours après, la mère Lefrançois n'arrivât tout effarée en s'écriant : — Au secours ! il se meurt !... J'en perds la tête ! (…) Docteur en médecine, âgé de cinquante ans, jouissant bonne position et sûr de lui- même, le confrère ne se gêna pas pour rire dédaigneusement lorsqu'il découvrit cette jambe gangrenée jusqu'au genou. Puis, ayant déclaré tout net qu'il la fallait amputer, il s'en alla chez le pharmacien déblatérer contre les ânes qui avaient pu réduire un malheureux homme en un tel état. Secouant Monsieur Homais par le bouton de sa redingote, il vociférait dans la pharmacie : - Ce sont là des inventions de Paris ! Voilà les idées de ces messieurs de la Capitale ! C'est comme le strabisme, le chloroforme et la lithotritie (5) un tas de monstruosités que le gouvernement devrait défendre ! Mais on veut faire le malin, et l'on vous fourre des remèdes sans s’inquiéter des conséquences. Nous ne sommes pas si forts que cela, nous autres ; nous ne sommes pas des savants, des mirliflores, des jolis coeurs ; nous sommes praticiens, des guérisseurs, et nous n'imaginerions d’opérer quelqu’un qui se porte à merveille ! Redresser des pieds-bots? Est-ce qu'on peut redresser les pieds-bots? C’est comme si l'on voulait, par exemple, rendre droit un bossu! FLAUBERT, Madame Bovary, 2ème partie, ch. XI, 185è (1) pour l’avoir vu de nos propres yeux (2) danses en l’honneur de Bacchus : ici danses folles (3) compagnons de fête (4) pas de danse : saut (5) opération qui consiste à broyer les calculs urinaires 2 Document 3 : Dernière Lettre de MISSAK MANOUCHIAN (1944) Missak Manouchian, s’est engagé dans la Résistance. Arrêté avec son groupe, il est jugé et condamné à mort en février 1944. Il écrit une dernière lettre à sa femme juste avant d’être fusillé. Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 h. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais pourtant je Sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps. Je m'étais engagé dans l'armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi, à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la Libération. Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes vingt-trois camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience uploads/Geographie/ analyse-devoir-culture-g.pdf

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