G.P . — Je suis né le 26 Juin 1929 à l’Alma, petit village de l’Algérois dans l
G.P . — Je suis né le 26 Juin 1929 à l’Alma, petit village de l’Algérois dans lequel mon arrière grand père, natif de Colmar, s’était établi à la suite de la guerre de 1870. Un grand nombre d’Alsaciens-Lorrains s’étaient regroupés à cette époque dans ce village situé à la limite de la Mitidja et de la Basse-Kabylie et beaucoup des maisons qu’ils avaient construites lors de leurs installations avaient gardé des traits de leur région d’origine. Rappel parmi d’autres de cette filiation : la cheminée de l’hôtel de ville abri- tait, ici comme là-bas, des couples de cigognes. Mon père était sorti de l’Institut agricole de Maison-Carrée. Il possédait une entreprise de travaux agri- coles : en Algérie, se posaient souvent des problèmes de labours profonds. Pour arriver à labourer à 1 m de profondeur (ce qui était indispensable quand on voulait planter de la vigne par exemple), les agriculteurs étaient contraints de faire appel à des entreprises équipées de locomobiles à vapeur fabri- quées en Angleterre. J’ai effectué mes études à l’école communale de l’Alma, puis au lycée de Ben Aknoun, près d’Alger. Inscrit en classe préparatoire au lycée Bugeaud à Alger, j’ai intégré finalement, trente ans à peu près après mon père, Maison-Carrée qui était devenue entre-temps une École nationale d’agriculture. J’en suis sorti en juin 1952. B.D./D.P . — L ’enseignement dispensé dans cette école avait-il connu une grande évolution depuis l’époque où votre père avait été élève ? G.P . — Il avait changé en bien et en mal. Quand mon père était élève, il n’existait pas de professeurs dans toutes les disciplines. Bien souvent, il s’agissait de professeurs de l’Université d’Alger auxquels l’École faisait appel pour enseigner, par exemple, l’entomologie ou la science des champignons. Or, je pense que ces professeurs étaient souvent d’un niveau bien supérieur à ceux que j’ai eus personnellement. En revanche, les équipements de l’École avaient été profondément améliorés (avait été construite notamment une cave de vinification expérimentale) et étaient souvent d’une qualité bien supérieure à ceux que j’ai connus plus tard à Grignon ou à Montpellier. Ma promotion comportait nettement moins de pieds-noirs que de métropolitains, ceux-ci s’attachant finalement beaucoup à l’Algérie qu’ils avaient découverte. B.D./D.P . — Y avait-il parmi vos condisciples beaucoup de représentants de la bourgeoisie indigène ? G.P . — Il y avait eu, dans la promotion avant la mienne, un élève qui était le fils du bachaga Ben Ghana de l’Aurès. Mais c’était un cas tout à fait exceptionnel et très peu d’élèves de Maison-Carrée étaient issus de ce milieu. Il faut dire que l’enseignement de l’École n’était guère de nature à les intéresser, même si la gestion de grands domaines pouvait les concerner à la sortie. En dehors de deux polytechniciens, très peu de fils de la bourgeoisie locale envisageaient des études dans des écoles techniques ou dans des écoles d’agriculture. Ils préféraient se préparer aux professions de médecin, d’avocat ou de pharmacien. Dans ma classe au lycée Bugeaud, 5 ou 6 élèves sur une trentaine étaient des indigènes. Il s’agissait souvent de Kabyles dont certains, très brillants, réussissaient bien. Comme ils étaient musulmans, ils ne mangeaient pas de porc et ne buvaient pas de vin ; ils prenaient donc d’office leur repas sur des tables distinctes des nôtres. B.D./D.P . — Y a-t-il eu des professeurs dont l’enseignement vous a beaucoup marqué et qui ont joué un rôle important dans votre orientation ultérieure ? ARCHORALES-INRA – CASSETTE DAT 43 Propos recueillis par B. Desbrosses et D. Poupardin Pédro Georges, Paris, le 5 Juillet 2001 64 G. Pédro G.P . — Au lycée, j’ai eu des professeurs dont j’ai gardé un très bon souvenir. En 1940, quand je suis entré en sixième, beaucoup de professeurs agrégés s’étaient retrouvés à Alger pour se soustraire à l’occupant ou parce qu’on ne voulait plus les voir en France. Je me souviens notamment de mon professeur d’his- toire et de géographie qui était alors Louis Joxe, ancien directeur du cabinet de Pierre Cot. C’était un homme remarquable dont l’enseignement, qui sortait du lot, nous avait à l’époque passionnés. Claude Cohen-Tannoudji, qui a obtenu depuis le prix Nobel de physique, partage l’admiration que j’ai tou- jours éprouvée pour un certain nombre de professeurs du Lycée Bugeaud. À Maison-Carrée, les enseignants que j’ai eus ne m’ont pas beaucoup marqué, en tout cas pas dans le domaine d’étude où je me suis spécialisé. Mon père s’était intéressé beaucoup à la chimie agricole, l’ancêtre de la science du sol, grâce aux ouvrages de H. Lagatu, Cette matière m’a plu aussi. J’avais entendu parler des travaux de chercheurs prestigieux de l’INRA de Versailles : S. Hénin, G. Drouineau, R. Chaminade. Mon professeur de géologie, G. Charles, qui ne tarissait pas d’éloges pour S. Hénin, m’a vivement conseillé de poser ma candidature à un poste à Versailles et d’essayer de travailler sous sa direction. B.D./D.P . — Les possibilités de recrutement par l’INRA demeuraient-elles, à cette époque, très limitées pour les anciens élèves de Maison-Carrée ? G.P . — Les candidats devaient préalablement avoir été très bien classés à la sortie de l’École. Ce n’était pas un problème pour moi puisque j’avais été le major de ma promotion. En ce qui me concerne, les diffi- cultés sont plutôt venues de mon École, qui tenait alors à me garder. B.D./D.P . — À quoi se destinaient les camarades de votre promotion ? Le fait d’envisager de faire car- rière dans la recherche leur semblait-il exotique ou aberrant ? La participation à des projets de déve- loppement local était-elle à leurs yeux plus attirante ? G.P . — D’une école d’agronomie de haut niveau, il sort aussi bien des ambassadeurs de France que des pilotes d’avion de ligne. La diversité des trajectoires professionnelles des anciens élèves de Maison-Carrée était très grande. Il faut dire que beaucoup d’entre eux avaient connu la seconde guerre mondiale et étaient prêts à affronter tous les changements possibles. Les Américains avaient débarqué le 8 novembre 1942 et des promotions entières avaient été rappelées sous les drapeaux pour partir en Tunisie, en Italie, puis en France. Les élèves avaient reçu une formation solide sur les cultures méditerranéennes et notamment sur la viticulture et l’œnologie (1). Ils étaient appelés à devenir les cadres des services agricoles dans les pays du Maghreb et à participer aux projets de développement qui y étaient élaborés. Les candidats à des destinations plus lointaines allaient rechercher à l’École d’agronomie tropicale de Nogent le supplé- ment de formation dont ils pensaient avoir besoin. D’autres, comme moi, ont préféré s’installer en France. B.D./D.P . — Comment s’est passée votre arrivée à l’INRA, organisme métropolitain dans lequel vous avez fait par la suite toute votre carrière ? G.P . — Ayant été recruté par cet Organisme, j’ai satisfait à mes obligations militaires (je suis de la dernière classe à avoir fait un an de service militaire, sa durée étant passée à 18 mois en raison du début de la guerre froide). Invité à me présenter à Versailles, j’ai été reçu par M. Boischot qui était le directeur de la Station centrale d’agronomie. Celui-ci m’a demandé ce que j’envisageais de faire. Je lui ai répondu que je tenais 1- à faire de la recherche, 2- à compléter ma formation à l’Université de Paris pour pré- parer et soutenir ultérieurement une thèse. Bien que ce ne fût pas du tout la règle à l’époque, M. Boischot a accédé immédiatement à mes souhaits : pendant un an, j’ai été détaché complètement à l’Université de Paris où j’ai passé deux certificats de licence. La seconde année aurait dû être consa- crée au passage d’un troisième certificat, mais ayant fait entre-temps la connaissance d’un certain nombre de grands professeurs d’Université, je me suis retrouvé au Laboratoire de géographie phy- sique et de géologie dynamique de la Sorbonne, que dirigeait alors le professeur Jacques Bourcart. 65 G. Pédro Tout en effectuant ce stage, j’ai travaillé à la préparation de mon certificat de chimie générale avec Jean Chaussidon, qui était un peu plus jeune que moi et avec lequel j’ai passé au mois de Mai 1955 le concours d’Assistant. Ayant terminé nos certificats de licence en octobre 1955, nous sommes revenus tous les deux, le mois suivant, à la Station centrale d’Agronomie de Versailles, où travaillaient aussi G. Barbier, S. Trocmé, Edwige Tyskiewicz et Ginette Simon notamment, et où venait d’arriver la micro- biologie des sols avec H. Blachère en provenance de l’Institut Pasteur. L ’ambiance générale était très bonne. Cette période universitaire s’est révélée très fructueuse pour moi. La formation agronomique avait ceci de bon qu’étant à la fois proche du milieu et des hommes, elle imposait une grande largeur de vues. Mais pour faire de la recherche, il faut se fixer un domaine d’étude et se mettre à le creuser. C’est la raison qui m’a conduit à me spécialiser. B.D./D.P . — Quand vous dites que vous aviez envie de faire de la recherche, quelle idée vous en faisiez- vous à l’époque ? G.P . uploads/Geographie/ archorales-10-temoignage-pedro-georges.pdf
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- Publié le Jul 29, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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