Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 En Inde, les r

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 En Inde, les rives du fleuve sacré sont parsemées de cadavres PAR CÔME BASTIN ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 17 JUIN 2021 Signe d’une pandémie qui a ruiné et ravagé les campagnes, de nombreux corps sont abandonnés sur les rives du Gange, dans l’Uttar Pradesh. Les images choquent le pays, car la tradition hindoue exige une crémation. Des corps enterrés le long du Gange dans le district d'Unnao. © CB Varanasi (Inde).–Nous sommes près d’un crématorium artisanal du district d’Unnao. Une vingtaine de villageois contemplent les flammes du bûcher. Prohit Katam, un prêtre local qui conduit la cérémonie, a préalablement béni le corps avec l’eau du Gange. Dans ses mains, il tient un carnet : le registre des morts. « Habituellement, on me demande 10 crémations par mois. Mais depuis avril, c’est 50. Je ne sais pas si c’est dû au Covid, parce que les villageois ont peur d'être stigmatisés et ne font pas tester leurs proches. » S’ils ne sont pas comptés comme tels, difficile cependant de ne pas relier cette explosion des morts dans les villages à la deuxième vague de Covid en Inde. D’autant qu’il y a plus triste et inquiétant que le registre des morts. Pas loin du bûcher, une cinquantaine de cadavres se décomposent à même les rives du Gange. Ils sont enveloppés d’un simple drap coloré. « Au pic de la deuxième vague, il y a eu beaucoup de morts. Les villageois n’avaient accès à aucun médicament et les hôpitaux étaient loin et saturés, explique Vishal Maurya, un jeune journaliste d’Unnao.Un jour, j’ai décidé de me rendre sur les berges et j’ai vu des gens très pauvres enterrer les corps de leurs êtres aimés à même le sable. » Des corps enterrés le long du Gange dans le district d'Unnao. © CB La situation est malheureusement loin d’être isolée. Nous longeons le Gange pour nous rendre à Shringverpur, un célèbre ghat (berge du fleuve destinée aux crémations) dominé par un ancien temple hindou. « À gauche, ceux qui ont de quoi acheter du bois brûlent leurs proches. Certains prennent un bain dans le Gange. À droite, des tas de corps enterrés dans le sable, se désole Gopal Pandey. Il y a plusieurs centaines de cadavres ici ! » Comment expliquer ces oubliés de la pandémie, qui échappent aux tests, aux comptes et aux rites mortuaires ? « Le manque d’argent est la première raison. Avec l’explosion des morts, les crématoriums ont été débordés, analyse Charan Singh Verma, chercheur en développement au Giri Institute de Lucknow. Le coût des crémations a donc beaucoup augmenté. Le prix du bois a été multiplié par dix ! Certains prêtres en ont profité pour demander plus d’argent lors des cérémonies. » Le gouvernement dénonce une invention de l’opposition Il existe des crématoriums électriques moins coûteux, principalement dans les villes. Mais pour le militant, membre du réseau People's Health Movement, les contraintes budgétaires n’expliquent pas tout. « Je crois que le gouvernement tente de cacher le nombre élevé des décès liés au Covid dans l’Uttar Pradesh. Parmi ces corps sur le Gange, on ne saura jamais combien sont morts du virus. » Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 Selon le porte-parole du gouvernement, Navneet Seghal, le scandale des corps du Gange est une invention de l’opposition. Ces morts n’auraient aucun rapport avec la pandémie. « Il s’agit d’une pratique religieuse traditionnelle de certains groupes qui enterrent leurs morts près du Gange. Cela n’a rien de nouveau, ça fait 20 ans que ça dure. Simplement, parfois l’herbe est plus haute, donc on voit moins les corps. » Officiellement, 10 000 personnes sont mortes lors de la deuxième vague de coronavirus dans l’Uttar Pradesh, État le plus peuplé de l’Inde avec 200 000 millions d’habitants. Un chiffre bien en dessous d’autres États. « Nous n’avons pas eu un seul décès à cause du manque d’oxygène, justifie Navneet Sehgal. Un jour, nous avons envoyé une équipe de police dans un hôpital qui prétendait être à court. Il y avait encore de l’oxygène pour 24 heures ! Nous avons donc engagé des poursuites contre l’établissement. » Dirigé par le parti nationaliste BJP, l’Uttar Pradesh a comme ministre en chef Yogi Adityanath, un moine extrémiste hindou. Au cœur de la deuxième vague, il a déclaré que les infrastructures hospitalières ne manquaient de rien. Et menacé de s’en prendre à ceux qui affirmaient le contraire. Vasu Gupta en a fait les frais, lorsqu’il a voulu aider des patients à se procurer de l’oxygène à Lucknow. Varanasi, villes des mort pour les Hindous vidée de sa foule. © CB « Je dirige une entreprise qui distribue des cylindres d’oxygène. J’ai posté une vidéo sur Instagram pour dire que je recevais des milliers d’appels pour de l’oxygène. À 4 heures du matin, un officiel m’a appelé et m’a traité de menteur. Trois jours plus tard, mon compte WhatsApp et mon compte Instagram ont été bloqués. » Vasu Gupta ne se laisse pas intimider et poste une nouvelle vidéo. Il demande pourquoi le gouvernement s’en prend à ceux qui aident la population. « Les forces spéciales ont fait une descente dans mon entreprise et j’ai été accusé de trafic d’oxygène. J’ai présenté les documents nécessaires et j’ai été relâché. Beaucoup de personnes dans mon entourage ont vu leurs messageries bloquées ou ont été arrêtées. Dans différentes villes et ONG. Parce que quelque part, les bénévoles mettent en lumière les manquements de l’État. » « Contrairement à ce que raconte le gouvernement, les hôpitaux ont été complètement débordés. On manquait d’oxygène, on manquait de lits et le coût des traitements était bien trop élevé pour la population pauvre, affirme Sandeep Yadav, président de la branche jeunesse du parti Samajwadi, la principale force d’opposition de l’Uttar Pradesh. Les morts que vous voyez le long du Gange en sont la preuve. C’est une situation apocalyptique. » Des corps qui se décomposent à perte de vue La veille, il a manifesté pour demander au gouvernement de remédier à la situation. « Nous avions lancé une campagne pour offrir du bois aux plus pauvres. Mais la police nous en a empêchés. Alors hier, nous nous sommes rassemblés sur les ghats de Shringverpur, torse nu dans le Gange ! J’ai été emmené au poste avec plusieurs autres opposants. » Certains journalistes ont été menacés à cause de leurs articles sur le manque d'oxygène. Le 10 mai, le ministre du travail indien a pourtant écrit à Yogi Adityanath à propos du manque d’oxygène dans l’Uttar Pradesh. Interrogé, le gouvernement affirme lutter contre la désinformation. « Un membre de l’opposition a publié des photos de corps sur le Gange qui dataient en réalité de 2014. Nous avons porté plainte contre lui et il les a retirées. Maintenant, il pleurniche, mais il n’avait qu'à réfléchir ! » En parcourant le fleuve sacré, nul besoin d'exhumer de vieilles photos pour témoigner du spectacle. Nous sommes à la jonction du Gange et de la rivière Yamuna, un endroit sacré de l’hindouisme où les pèlerins se rassemblent en masse tous les douze ans. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 Ce jour-là, on trouve seulement des corps, qui se décomposent à perte de vue. Les premières pluies commencent à tomber sur les plaines inondables. « Avec la mousson, les cadavres vont être oubliés au fond des eaux » Nous roulons jusqu'à la ville sainte de Varanasi pour rencontrer Visham Bhar Mishra. Ce prêtre brahmane est spécialiste des pratiques funéraires. « Le gouvernement raconte qu’il existe une tradition d’enterrer les morts sur les rives. C’est faux. Dans l’hindouisme, ce sont les cendres du défunt qui vont dans le Gange, pour s’approcher du paradis. À quelques rares exceptions, les corps ne peuvent jamais être déposés près du fleuve ! » Visham Bhar Mishra est responsable d’une ONG pour la protection du Gange, qu’il parcourt fréquemment en bateau. Il n’a jamais vu autant de corps sur les rives. « Qu’ils soient incinérés ou enterrés, la vérité, c’est qu’ils sont morts ! C’est ça que le gouvernement veut cacher : ces personnes sont mortes du Covid sans être comptabilisées. Il attend la saison des pluies pour se débarrasser du problème. Avec la mousson, les cadavres vont être oubliés au fond des eaux. » La seconde vague de la pandémie est passée, mais les cadavres continuent à pourrir sur le Gange. Des images qui choquent tout le pays. Une pétition a été déposée lundi 1er juin auprès de la Cour suprême indienne pour qu’ils soient incinérés. « Il y a eu des plaintes parce que différents animaux s’attaquent aux morts », explique le président des jeunes avocats indiens Sanpreet Singh Ajmani, à l’origine de cette pétition. Pour lui, il revient à l’État de l’Uttar Pradesh d’agir avant la montée des eaux. « Deux jugements de la Cour suprême montrent que les morts ont le droit d’être incinérés de façon digne. Les autorités doivent donc prendre toutes les mesures pour offrir uploads/Geographie/ article-967946.pdf

  • 17
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager