J.F. AUBERT PETITE HISTOIRE CONSTITUTIONNELLE DE LA SUISSE FRANCKE ÉDITIONS BER

J.F. AUBERT PETITE HISTOIRE CONSTITUTIONNELLE DE LA SUISSE FRANCKE ÉDITIONS BERNE CHAPITRE PREMIER De 1798 à 1848 1. La Suisse en 1798. - La Confédération suisse était, à la fin du dix- huitième siècle, un étrange amalgame de petits Etats. Les Etats étaient petits. Le plus important d'entre eux, Berne, dont les possessions s'étendaient de la Reuss au lac Léman, comptait quatre cent mille habitants; le second, Zurich, en avait moins de deux cent mille. Tous ensemble, et ils étaient treize, dépassaient à peine le million. A leurs frontières, l'Autriche allemande était dix fois plus peuplée et la France, encombrante amie, trente fois plus. L'amalgame était étrange. Ne nous figurons pas treize parties égales liées par un traité commun. Pensons plutôt à une série de conventions régionales, sortes d'excroissances poussées sur un noyau, selon l'image que les physiciens nous donnent de certaines molécules : au centre, le vieux pacte des trois cantons forestiers, puis une alliance avec Lucerne, une autre des quatre premiers avec Zurich, une autre des trois premiers avec Berne; plus tard, une alliance entre Zurich et Berne, et ainsi de suite. Les huit cantons primitifs, associés dès le quatorzième siècle, avaient un statut préférable à celui des cinq der- niers, venus cent cinquante ans après. Il y avait des différences même dans le groupe supérieur: Zurich bénéficiait de la préséance, Glaris avait des obligations spéciales. Mais ce n'est pas tout. A côté des treize cantons gravitaient quelques Etats de moindre importance, qu'on appelait les alliés: Bienne, Mulhouse, Saint-Gall, les Grisons ... Enfin, pour compléter le tableau, les cantons et les alliés s'étaient assujetti quelques territoires ou bailliages, qu'ils tenaient en propriété individuelle ou commune. Berne, par exemple, possédait Vaud et l'Argovie occidentale; Uri, la Léventine; les Grisons, la Valteline; presque tous les cantons, la Thurgovie et le sud du Tessin. Cette étonnante construction n'avait qu'un seul organe, la Diète, sorte de conférence périodique où les cantons avaient une représenta- tion permanente et où les alliés se faisaient occasionnellement en- tendre. La Diète se réunissait, en règle générale, chaque été, sous la présidence de Zurich. Elle délibérait de la politique étrangère et de J ~ 1 1 1 l'ordre intérieur des membres. Les décisions s'y prenaient lentement les députés n'acceptant d'engagements que dans les limites de leur~ instructions. Du reste, les mesures une fois arrêtées n'étaient jamais imposées aux cantons qui n'en voulaient pas. Le lien confédéral s'était encore relâché depuis la Réforme: les catholiques etles évangé~ liques tenaient parfois des diètes séparées, quand ils n'en décousaient pas sur le champ de bataille. A l'intérieur des cantons, on était loin de la démocratie originelle. Les cantons alpestres réservaient leur Landsgemeinde aux descendants des vieilles familles, les confédérés n'étant, depuis longtemps, plus admis à la bourgeoisie. Berne et Zurich, qui avaient eu coutume de consulter le peuple sur toutes sortes de projets, avaient abandonné cette pratique dès le dix-septième siècle. Le Gouvernement à Zurich était désormais l'affaire des chefs des corporations. Qua~t à Berne: tout s'y décidait dans un Petit Conseil d'une quarantaine de membres qui se recrutaient par cooptation. ' 2. Les Français envahissent la Suisse. - La dèrnière diète de l'ancien régime se tint dans la ville d'Aarau, pendant le mois de janvier 1798. Le Gouvernement zurichois l'avait convoquée, extraordinairement, en cette saison d'hiver pour tenter de raffermir les liens confédéraux avant qu'il ne fût trop tard. Mais l'heure était déjà passée. Quand, le 25 janvier, après plusieurs semaines de discours, les députés s'étaient réciproquement promis leur aide, dans une embrassade solennelle et un peu dérisoire, les Vaudois venaient de rompre le lien qui les atta- chait à Berne. A leur exemple, dans maint bailliage et dans mainte campagne, on planta des arbres de la liberté. La cause de ce rapide bouleversement tient en un seul mot: la France. La France, qui, depuis trois siècles, joue dans la politique étrangère de la Suisse un rôle prépondérant, vient de faire sa révolu- tion. Aux différences de classes qui marquaient la vieille société monar- chique, à la bigarrure qui distinguait encore les provinces, elle a substitué les deux principes de J'égalité et de l'uniformité. Et elle ne les garde pas pour son usage intérieur, elle entend les inculquer aux na- tions qui l'entourent. C'est ainsi qu'elle conquiert successivement et qu'elle républicanise les Pays-Bas, la Rhénanie, le Jura et l'Italie du Nord. La Confédération ne peut manquer d'attirer son regard. Avec ses bailliages et ses oligarchies, elle a tout pour lui déplaire. Et ses 8 montagnes, ses vallées, ses cols ont une évidente valeur stratégique. D'ailleurs, notre grande voisine a déjà des intelligences dans la place: de beaux esprits lui adressent des clins d'œil et, pour voir triompher leurs idées, n'hésitent pas à trahir leur patrie. Le Bâlois Pierre Ochs rédige, pour le compte des autorités de Paris, une Constitution nou- velle qu'on imposera aux Suisses. Le Vaudois La Harpe, dans sa haine des Bernois, sollicite la venue d'une armée française. II fut fait selon son désir. Le 28janvier 1798, saisissant un méchant prétexte, le général Brune passe la frontière et occupe Lausanne. De là, il monte à Payerne et prépare tranquillement le dernier assaut contre le vieux pays de Berne. Car Berne est le véritable adversaire, le symbole parfait de l'antirévolution. Elle sera seule, d'ailleurs, à résister. Malgré leurs serments d'Aarau, les chers et fidèles confé- dérés préfèrent rester chez eux. C'est donc seule qu'elle se battra, courageusement mais sans génie et surtout sans bonheur: le 5 mars, après une campagne de trois jours, les Français défilent dans la capi- tale. Puis tous les autres cantons se soumirent. 3. La Suisse, Etat satellite. - Le phénomène de la satellisation n'est pas propre au vingtième siècle. Il est de toutes les époques où un Etat puissant assujettit des Etats plus faibles, sans pour autant les absorber. Cette dépendance humiliante nous fut donc imposée par la France au printemps 1798, et dura tout le temps de son hégémonie, c'est-à-dire jusqu'à ce que l'empereur Napoléon fut battu, en automne 1813. Pen- dant près de seize ans, nous fûmes un Etat satellite. . La domination de la France nous valut toutes sortes de charges militaires et financières, des difficultés économiques, un bouleverse- ment constitutionnel. D'abord, nous avons été occupés durant quatre ans et nous avons dû héberger les soldats français. Nous avons même eu la gverre sur notre sol, en 1799, quand Masséna, près de Zurich, affrontait Korsakov et que Souvarov traversait les Alpes. Nous avons été obligés, par deux capitulations, de fournir chaque année environ vingt mille hommes à la France, ce qui, pour la population d'aujour- d'hui, en ferait près du triple. Sans doute l'exportation de mercenaires ne nous était pas inconnue, mais nous avions autrefois une clientèle plus diverse: jamais nous n'avions pris d'engagements aussi unilaté- raux. Du reste, les traités nous étaient, cette fois-ci, imposés. Pour ce qui est de l'argent, le général Brune commença par piller le trésor de 9 Berne, ce qui fit qu'en six semaines il avait ramassé quinze millions de francs. Puis les FranÇais prirent l'habitude de taxer les villes et de prélever des emprunts forcés, qu'ils honoraient par de mauvais papiers. Quant à notre industrie, elle souffrit du blocus continental, qui la privait de matières premières et qui fermait ses débouchés. Le textile fut particulièrement touché et le chômage sévit dans la Suisse orientale. Mais l'arrivée des Français eut encore pour effet de changer notre droit public. 4. La Constitution unitaire du 12 avri/1798: la République helvétique.- Le général Brune, malgré son appétit d'argent, n'oubliait pas qu'il était venu libérer les Suisses. Il convoqua donc -le mot n'est pas trop fort - environ cent vingt députés d'une dizaine de cantons et les fit s'assembler, le 11 avril, dans la ville d'Aarau. Comme tout était bâcli on ne prit même pas la peine d'attendre les représentants de la Suisse primitive ni ceux des régions orientales. Quelle différence, d'ailleurs, entre ces gens réunis sur commande et la dernière diète du mois de janvier. C'était assurément le même lieu, c'était la même impuissance. Mais les délégués de janvier étaient faibles de leurs divisions, les dé- putés d'avril, de leur soumission commune à la France. Aussi les choses allèrent-elles plus vite: la diète, en quatre semaines, n'avait rien décidé d'utile; la nouvelle assemblée mit deux jours pour accep- ter, sans histoires, les règles que Pierre Ochs avait préparées. La Constitution du 12 avril 1798 est la première constitution écrite de la Suisse, sa première constitution au sens moderne du terme. Elle transformait totalement la structure de notre pays. La Confédération, ses membres, leurs possessions, tout était aboli et fondu en un Etat unitaire, qui fut baptisé République helvétique. La République était découpée en une vingtaine de cantons administratifs et électoraux à la manière des départements français, et l'on y retrouvait, côte à cô~e, égaux dans leur abaissement, d'anciens vrais cantons comme Zurich, Bâle et Fribourg, d'anciens alliés comme les Grisons, d'anciens bat'" liages comme la Thurgovie. Il y avait des noms nouveaux, les Wald- stretten pour les cantons uploads/Geographie/ aubert-petite-histoire-constitutionnelle-de-la-suisse 1 .pdf

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