les Cahiers Scientifiques du Transport N° 62/2012 - Pages 85-110 Youssef Tachfi

les Cahiers Scientifiques du Transport N° 62/2012 - Pages 85-110 Youssef Tachfine, Ahmed Rhellou Transport en commun et valorisation immobilière : application au cas de l'agglomération de Fès JEL : C21, D40, R21, R42 TRANSPORT EN COMMUN ET VALORISATION IMMOBILIÈRE : APPLICATION AU CAS DE L'AGGLOMÉRATION DE FÈS YOUSSEF TACHFINE, AHMED RHELLOU FACULTÉ DES SCIENCES JURIDIQUES ECONOMIQUES ET SOCIALES UNIVERSITÉ IBN ZOHR (AGADIR) 1. INTRODUCTION Dans la période de l'après-guerre et grâce à la forte croissance économique, l'automobile a connu un essor considérable dans la plupart des grandes villes de pays «développés». La croissance de la mobilité et de la vitesse de dépla- cement, portée par la réalisation d'importants réseaux routiers, a encouragé le mouvement de localisation des ménages et entreprises dans les espaces périurbains moins denses, ce qui en retour renforça le besoin de possession et d'utilisation de la voiture particulière. Mais ce cercle vicieux (POUYANNE, 2004) entraîna d'importants coûts pour les collectivités territoriales : congestion des centres urbains, croissance de la consommation énergétique, surcoûts de l'urbanisation éparpillée, crise des transports publics, etc. Il s'en suivit un renouvellement de la planification urbaine dans ces villes à partir de la fin des années 1980 dans le but de mieux maîtriser l'évolution de l'espace urbain et son usage. 86 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 62-2012 Ce renouvellement s'est concrétisé d'une part par l'adoption de concepts et modèles tels que « le développement urbain durable » (CAMAGNI, GIBELLI, 1997), « la mobilité durable » (encouragement des modes doux de déplace- ment, limitation du rôle de la voiture particulière, etc.) ou « la ville compacte ». Cette dernière s'affirme comme la forme dense, économe du sol urbain et à urbanisation continue (POUYANNE, 2004). D’autre part, on assistait à l'intégration de politiques de transport et d'urbanisme basées essentiel- lement sur les réseaux de transport collectif. Ces politiques ont donné lieu à des applications diverses telles que le « développement orienté par les transports en commun » aux États-Unis, la politique « ABC » aux Pays-Bas de localisation des entreprises en fonction du besoin d'accessibilité en transport collectif ou bien le « plan en doigts » de la ville de Copenhague au Danemark. Ce dernier a pour objet de favoriser le développement urbain à proximité des gares et des voies ferrées de banlieue (NOËL, HUCHETTE, 2001). Par contre, dans les villes des « pays en développement », surtout africaines, on assiste généralement à des conditions de déplacement difficiles et à une crise des transports publics. En même temps, la population urbaine et le besoin de mobilité y sont en croissance rapide (VARNAISON-REVOLLE et alii, 2008). Le problème crucial consiste en l'absence de stratégies cohérentes de long terme en matière de déplacements urbains et en la désarticulation entre l'aménagement urbain et les transports. Dans la ville de Fès, troisième ville du Maroc avec plus d’un million d'habitants actuellement, et faute d'une véritable stratégie de développement urbain, le transport collectif (essentiellement en bus ordinaires) est réduit à sa fonction classique de simple moyen de déplacement. Il a toujours su jouer un rôle économique et social très important pour la population de la ville. De plus, la régie responsable de sa gestion (Régie Autonome de Transport Urbain de Fès ou RATUF, créée en 1971) a enregistré des performances très intéressantes en matière d’offre, lui permettant d'être à une certaine époque l'une des meilleures entreprises de transport public en Afrique1. En dépit de son rôle déterminant, le transport collectif reste le parent pauvre dans les choix d'aménagement de l’agglomération (AMEUR, 1996). Au lieu d'être un moyen de maîtrise de la croissance urbaine, à laquelle se posent d'importants défis présents et futurs (prolifération de l'habitat non régle- mentaire, montée de la voiture particulière, congestion routière très marquée, etc.), celui-ci subit les avatars d'une urbanisation éclatée. Ainsi, sa gestion se fait de plus en plus difficilement (voir les données de 2004 sur le Tableau 1). Notre étude se base sur l’analyse de choix micro-économiques. Elle a pour objectif de voir si le transport collectif peut être considéré effectivement comme un facteur déterminant de la localisation résidentielle des ménages 1 Cela est bien montré sur le Tableau 1 entre 1986 et 1994. Y. Tachfine, A. Rhellou - Transport en commun et valorisation immobilière : application... dans la ville de Fès. Il s’agit essentiellement d’évaluer sa contribution à la valorisation du sol urbain. La présente étude s'écarte ainsi des études « tradi- tionnelles », assez nombreuses, portant sur la satisfaction de la population urbaine vis-à-vis de ce service. Ces dernières montrent généralement que leur niveau de satisfaction est faible vu la crise actuelle des transports publics. Tableau 1 : Offre de transport en bus de la RATUF et croissance urbaine à Fès Années 1986 1994 2004 Population urbaine (habitants) 532 000 772 184 951 871 Population desservie 550 000 788 834 975 805 Superficie du périmètre urbain (hectares) 6 550 9 308 10 080 Nombre de km-bus/ Population desservie (20,5 à Toulouse en 2001-2003) 16,5 22,8 12,02 Nombre de km-bus/Superficie (2.065 à Curitiba en 1990 ; 1.847 à Angers agglo. en 2001-2003) 1.389 1.934 1.164 Longueur du réseau (km) 180 320 420 Longueur du réseau/ Superficie (km de longueur par km²) (9,08 à Angers en 2001-2003 ; seulement 0,9 à Dakar en 1989) 2,74 3,44 4,16 Longueur du réseau/Population (km de long./10 000 hab.) (16,08 à Angers en 2001-2003 ; seulement 2,5 à Dakar en 1989) 3,38 4,14 4,41 Parc total (nombre de bus) 161 274 248 Parc circulant 103 193 170 Nombre d’habitants par bus (norme internationale : 2 000 habitants/bus) 3 304 2 818 3 838 Age moyen des bus (années) 4 7 10 Vitesse commerciale moyenne (km/heure) (13,2 km/h à Strasbourg en1998 ; 22,4 à Curitiba en 2000) --- --- 19,5 (2005) Source : Statistiques de la RATUF et de l’Union des Transports Publics La démarche poursuivie consiste à appliquer la méthode des prix hédoniques à l’analyse des choix résidentiels des ménages. Cette dernière permet de révéler indirectement (dans un contexte concurrentiel) ces choix à travers les prix implicites qu'ils accordent aux différents facteurs de localisation rési- dentielle et qui composent la valeur de l'immobilier urbain. Après avoir présenté les modèles expliquant les déterminants de choix de localisation résidentielle des ménages ainsi que la méthode des prix hédo- niques, nous donnerons ensuite une revue de littérature sur la question posée. Enfin, nous montrerons la démarche et les résultats de notre modélisation économétrique de la fonction hédonique du marché immobilier portant sur la ville de Fès. 2. APPROCHE THÉORIQUE 2.1. LES MODÈLES DE LOCALISATION RÉSIDENTIELLE Le modèle d'ALONSO (1964) apparaît comme le point de départ de la déter- mination des variables qui expliquent la localisation des ménages. Ces 87 88 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 62-2012 derniers réalisent un arbitrage entre un bien composite et la taille de logement en fonction de leurs revenus et de leurs préférences (représentées par leurs fonctions d'utilité). Les localisations ne se distinguent que par la distance vis-à-vis du centre. L'existence d'un gradient négatif d'offre de rente permet que des ménages s'établissent du centre de l'espace jusqu'à sa péri- phérie en compensant les coûts de transport croissants avec la distance par rapport au centre. Cette dernière s'avère un des déterminants micro-écono- miques du choix de localisation des ménages. Ainsi la taille du logement et le paramètre de distance ressortent dans ce modèle comme des variables expliquant les prix des logements (BECKERICH, 2000). Mais le modèle de base d'ALONSO demeure trop réducteur pour saisir le comportement des ménages lorsqu'ils décident de résider quelque part. En effet, l'hypothèse d'isotropie de l'espace (les localisations sont toutes sembla- bles dans l'espace) n'est pas compatible avec des espaces urbains complexes, aussi bien dans les activités et les populations abritées que dans l'aménage- ment des espaces privés et publics. Aussi, les caractéristiques des localisa- tions varient-elles en fonction de leur situation dans l'espace. Cela revient à modifier l'arbitrage des ménages et à le compléter par d'autres attributs qui interviennent dans la fonction d'utilité des ménages. Elle s'accompagne ainsi d'une sophistication de la spécification des coûts de transport (WINGO, 1961) (par la prise en compte d'un coût de transport généralisé faisant intervenir le temps de déplacement) et de la prise en compte de l'existence d'espaces polycentriques. Cette meilleure spécification de l'espace vise à expliquer pourquoi le gradient de rente offerte n'est pas forcément décroissant avec la distance au centre. Ce dernier peut croître en certains points notamment en raison des transports et des coûts qu'ils génèrent pour certains ménages. D'autres facteurs interviennent dans cette remise en cause de l'homogénéité de la rente pour tous les logements situés à la même distance au centre. En effet, au-delà des seuls coûts de transport variant d'un lieu à un autre, chaque localisation peut être définie par une série d'attributs (PAPAGEORGIOU, 1990). Ces attributs peuvent concerner des éléments de l'environnement, les effets externes présents, etc. Ils sont constitués des aménités positives ou négatives, intervenant dans les choix résidentiels des ménages (FUJITA, 1989). L'existence de biens publics locaux peut également être introduite dans l'analyse uploads/Geographie/ tachfine-62.pdf

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