Christian HOUEL MES AVENTURES MAROCAINES ÉDITIONS «MAROC-DEMAIN» CASABLANCA IL

Christian HOUEL MES AVENTURES MAROCAINES ÉDITIONS «MAROC-DEMAIN» CASABLANCA IL A ETE TIRE DE CET OUVRAGE DEUX MILLE EXEMPLAIRES DONT 1000 SUR VERGÉ ÉDMON DES PAPETERIES LUGAT (NON NUMÉROTÉS) , 1000 SUR OFFSET SURFIN DES PAPETERIES DE FRANCE ET NUMÉROTÉS DE 1 à 1000 EXEMPLAIRE N° 97 ACHEVÉ D'IMPRIMER SUR LES PRESSES RÉUNIES DES IMPRIMERIES FÉVRIER 1954 Copyright by « Maroc-Demain » et Christian HoueI - 1954 Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S. Suavis est laborum proeteritorum memoria CICERON Doux est le souvenir des misères passées LE PIONNIER Ma tâche était trop lourde et mon front toujours grave Le besoin d’un effort héroïque et viril A dégagé mon cœur de sa trop rude entrave Et l’a fait éclater comme un bourgeon d’avril De la cité qui grouille et que l'orgueil déprave. J'ai quitté sans regret le charme puéril Et je pars, les bras nus, présomptueux et brave, Recommencer la vie au soleil de l'exil. A l'horizon, déjà, l'orbe inconnu se lève ()ù s'en vont les chansons des hardis matelots. Alors, prêt d'aborder sur la nouvelle grève, J 'ai jeté par-dessus le murmure des flots, Dans la sérénité de l'heure vespérale, Le suprême salut à la terre ancestrale. Christian HOUEL (octobre 1908) 1 MES AVENTURES MAROCAINES _______ PREMIERE PARTIE _____ LES PREMIERES JOURNEES DE CASABLANCA DU 30 JUILLET AU 10 AOUT 1907 e « James-Haynes » est un petit vapeur espagnol aménagé pour recevoir une dizaine de voyageurs. Son carré bordé d’étroites couchettes sert de salle à manger et de dortoir. Un gros bouquet de fleurs de jasmin orne la table. De Tanger à Casablanca, la route en sera parfumée. Nous ne sommes à bord que trois Européens. M. Maigret, vice-consul de France à Casablanca, un sujet espagnol, M. Henrique Ruiz, consul de Belgique et moi, envoyé spécial du « Matin » et de la « Dépêche Marocaine ». Il y a aussi, accroupis sur un tapis aux couleurs vives, devant un magnifique samovar de cuivre, un personnage marocain et ses deux domestiques. Ce personnage est Si Allal Ben Abdelkader, délégué de Si Torres, ministre du Sultan à Tanger. Indifférents à ce qui les entoure, ils ont déjà pris leurs aises : ils boivent leur thé à la menthe par petites gorgées, et c'est à peine si le grincement des treuils couvre leurs bruyantes aspirations. C'est l'heure du départ. Nous nous sommes tous embarqués à destination de Casablanca. La veille, par le vapeur le « Mogador » chargé de réfugiés, sont arrivés le Docteur Merle, médecin du dispensaire de Casablanca et un employé de la Poste française, M. Abraham Zagury. Ils ont apporté à la Légation de France de graves nouvelles. La révolte gronde à Casablanca. Neuf ouvriers du port ont été massacrés par les indigènes : trois Français, trois Espagnols, trois Italiens. Ces nouvelles ont causé autant d'émotion que de stupeur. Le Vice-Consul Maigret, en congé à Gibraltar, a été brusquement rappelé. Il rejoint son poste où, seul, son beau-frère, M.Neuville. élève vice-consul, fait face à ces dramatiques événements. Le délégué de Si Torrès est aussi expédié là-bas, porteur, dit-on, d'une caisse remplie de douros pour apaiser les émeutiers. Il n'y a que quelques semaines que je suis à Tanger. Je ne connais Casablanca que par le point L MES AVENTURES MAROCAINES 2 qui le situe sur la carte. J'ai hâte d'y débarquer car ce meurtre dont ont été victimes neuf ouvriers d'une entreprise française, aura de redoutables conséquences. * EPUIS plusieurs semaines une vive agitation bouleversait la vie tranquille des habitants de Casablanca. Elle était provoquée par le Caïd des Ouled Harriz, Si Hamou, fils du précédent Pacha. Si Hamou ayant brigué la succession paternelle ne pouvait se consoler que le Sultan lui eût préféré un étranger: Si Bou Becker. Il organisait donc des razzias autour de la ville pour démontrer que ce dernier était incapable de maintenir l’ordre. Dans le même temps, la Compagnie Marocaine avait commencé à construire une petite darse pour permettre aux barcasses d'embarquer et de débarquer plus aisément les passagers et les marchandises. Une carrière, ouverte près des Roches-Noires, fournissait la pierre; un petit DecauviIle la transportait dans des wagonnets vers le port. en suivant la plage. L'inauguration de ce petit chemin de fer avait été un événement considérable. Cette machine qui crachait du feu de la fumée, ce sifflet qui troublait le silence inviolé du ciel, étaient une invention diabolique. Couchés sur les remblais pour voir passer la locomotive, les Marocains avaient vu dans la chaudière un diable entouré de flammes. Et l'on disait que ce monstre de fer qui n'allait pas plus loin qu'Aïn Mazi se prolongerait bientôt dans leur pays et sèmerait sur les douars sa suie maléfique. La construction de la darse provoquait aussi des mécontentements. Les incommodités mêmes de débarquement et d'embarquement sur une grève caillouteuse faisaient vivre de nombreux barcassiers et débardeurs. Que deviendrons-nous, pensaient-ils, quand les navires viendront à quai ? Un malaise pesait ainsi sur la ville, aggravé par les palabres de la populace et les excitations des partisans de Si Hamou. Enfin, un fonctionnaire français, M. Darmet, vint un jour s'installer à la Douane pour en contrôler les recettes. Cette nouveauté ressortissait de l'acte d'Algeciras. Les arrérages des emprunts contractés par le Sultan étant gagés sur les revenus des Douanes, une taxe de dix pour cent frappait toutes les marchandises importées. L'organisation et le contrôle de cette première application de l'acte d'Algeciras avaient été confiés à la France, principale créancière du Gouvernement Chérifien. On l'appela le « Contrôle de la Dette ». Les principaux chefs de cette administration, MM. Luret et Victor Berti étaient venus à cette occasion à Casablanca et des congratulations avaient été échangées entre fonctionnaires français et marocains. Mais dès que l'exercice des vérifications fut amorcé, les oumanas ne cachèrent plus leur hostilité. Cette intrusion d'un Français blessait leur amour-propre et surtout leur faisait perdre les profits qu'ils avaient tirés jusque-là, de la fraude et de la contrebande. Peut-être tous ces gens se fussent-ils résignés à la longue à ce changement, comme au sifflet de la locomotive, si le Caïd Hamou n'avait envenimé ces frictions et haussé ses prétentions à vouloir chasser les Français. On serait tenté de rendre grâce au turbulent Caïd si neuf ouvriers n'avaient payé de leur vie ses ambitions. Car, depuis l'acte d’Algésiras qui devait, dans l'esprit des diplomates, mettre fin à la rivalité franco-allemande au Maroc, la France avait en réalité bien du mal a y maintenir son prestige. D DU 30 JUILLET AU 10 AOÛT 1907 3 Les intérêts allemands jusque-là peu importants s'étaient développés à une cadence impressionnante. Une de leurs entreprises obtint du Sultan la construction du port de Tanger. Les frères Manesmann s'étendirent du Riff aux confins du Souss, et dans l'intérieur, le régime des protections attira les multitudes vers les consulats allemands. On ne sait jusqu'où seraient allés ces empiètements économiques et politiques sans le coup de théâtre de Casablanca. À cette heure, sur notre caboteur espagnol tout embaumé de ses jasmins, M. Maigret, lui- même, porteur des décisions de Paris, n'était pas sûr du lendemain. Nous n'avions qu'à nous abandonner au cheminement du petit vapeur ; ils s’attardait complaisamment sur le tranquille océan que les derniers rayons du soleil irisait de reflets d'or vert. * e lendemain, vers une heure de l'après-midi, sur une côte aride et plate apparut la blanche cité de Casablanca. Pas un arbre, pas une tache de verdure sur l'étendue désolée, sauf, près du rivage, la haute tige d'un palmier décapité de ses palmes. Voilà pourquoi ces hommes sont barbares. Les arbres adoucissent les moeurs. Sans l'ombre d'un hêtre, Virgile eût-il écrit ses Géorgiques ? Les grandes marées de l’Atlantique obligent les navires à stationner prudemment au large. Nous sommes encore en haute mer quand le « James-Haynes » jette son ancre. Plusieurs cargos sont mouillés en rade : le « Constantin », de la Compagnie Havraise Péninsulaire, « L'Oued Sebou », de la Compagnie Paquet, un bateau anglais « Le Demetrian », et plus loin, à quinze cents mètres environ de la terre, le croiseur « Le Galilée » à l'imposante et grise superstructure. A notre arrivée, une multitude de têtes apparaissent au-dessus des bastingages. Nous reconnaissons des Juifs aux fichus bariolés des femmes et à la calotte noire des hommes. Toutes ces familles affolées par l’insurrection sont venues chercher refuge à bord des vapeurs. Les Juifs sont toujours les victimes des troubles intérieurs. Meurtres, viols, pillages sont la rançon dont ils paient leur existence au sein des cités musulmanes. Leur lamentable cohorte, traînant des malles, des ballots de hardes et d'ustensiles de cuisine, a traversé la ville sous les quolibets et les insultes de tous les vauriens du pays. Et pour les transporter, les barcassiers ont exigé des sommes exorbitantes. Parqués sur le pont et les entreponts comme un troupeau de bêtes, sans hygiène, nourris de ce que les parents ou amis restés à terre leur faisaient péniblement parvenir, ces réfugiés supportaient leur détresse avec résignation. Ils uploads/Geographie/ aventures-marocaines-1.pdf

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