. essa1 sur la Chine la longue marche Œuvres de SIMONE DE BEAUVOIR ~ Romans. L'

. essa1 sur la Chine la longue marche Œuvres de SIMONE DE BEAUVOIR ~ Romans. L'INVITÉE. LE SANG DES AUTRES. Tous LES HoMMES soNT MORTELS. LES MANDARINS. Théâtre. LEs BoucHES INUTILEs. Essais. PYRRHUS ET CINÉAS. POUR UNE MORALE DE L' AMBIGUITÉ. LE DEUXIÈME SE:XE : 1. Les Faits et les Mythes. II. L'expérience vécue. L'AMÉRIQUE AU JOUR LE JOUR. PRIVILÈGES. LA LoNGUE MAitCHE, essai sur la Chine. Simone de Beauvoir la longue marche essai sur la Chine GALLIMARD 7e édition Il a été tiré de r édition originale de cet ouvrage cinquante-six exemplaires sur vélin pur fil La fuma N t.Warre, savoir cinquante · exemplaires numérotés de l i 50 et six, hors commerce, marqués de A à F. Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays, y compris la Russie. © 1957, Librairie Gallimard. Touchant les noms chinois, l'ortho~raphe que j'ai adoptée n'est pas homogène. Des s.l>éciahstes m'ont obli- 1\eamment indiqué les transcriptions orthodoxes que J ai généralement utilisées; toutefois, pour les noms très connus - Chou En-lai, Mao Tsé-toung, Lou Sin - j'ai accepté les transcriptions populaires. J'ai lu la plupart des livres, essais, rapports, articles chinois auxquels je me réfère dans des traductions anglaises; quand le P.as- sage de la transcription anglaise à la française etait incertain, fai conservé la première de ces formes. PRÉLIMINAIRES Septembre 1955. Dans l'avion qui survolait le désert de Gobi, il y avait deux Tchèques, trois Soviétiques, une Hongroise accompagnée de sa petite fille, un Sud-Mricain, deux Français. Les premiers étaient des techniciens- et la femme d'un technicien- qui rejoignaient leurs points d'attache; les trois derniers avaient été invités par le gouvernement chinois. Pendant la confé· renee de Bandoeng, Chou En-laï a lancé un appel qu'il a étendu au monde entier : « Venez voir. » Nous profitions de cette politique, non sans étonnement. Le Sud-Mricain était blond, nonchalant, il portait une chemisette à carreaux et tenait à la main une hache au manche de bois sculpté, orné de dessins folkloriques; il venait de se promener pendant plusieurs mois du Cap à Paris, Londres, Helsinki, Varsovie; pourtant, quand à l'aérogare de Moscou il avait distingué dans le ronronnement du haut·parleur le mot «Pékin», ses cils avaient battu : « Pincez-moi », avait-il dit. Quant à .moi, une nuit blanche, trente-six heures de vol coupées de siestes saugrenues et de breakfasts au caviar rouge me donnaient l'impression moins de faire un voyage que d'accomplir un rite de passage. A Irkoutsk, frontière de l'U.R.S.S. et de la Mongolie, les Soviétiques avaient célébré la proche traversée de la ligne en offrant à la ronde de la vodka : des Espagnols, des Portugais, descendus d'un autre avion, avaient trinqué avec nous. Nous nous étions posés à Oulan-Bator, au milieu d'une prairie ·qui sentait l'anis et l'herbe chaude; j'avais 8 LA LONGUE MARCHE reconnu les yourtes blanches et rondes, les chevaux, les steppes que j'avais vus autrefois dans TempêtP- sur l' AsiP-. A présent, le nez collé au hublot, contemplant sous le ciel brumeux la nudité incolore du désert. ie commençais à me convaincre que j'arriverais bientôt à Pékin, et je me deman- dais perplexe : « Qu'est-ce au iuste que je vais vo~r ? » J'étais indifférente à la Chine ancienne. La Chine, pour moi, c'était cette patiente épopée qui commence aux iours sombres de la Condition humaine et s'achève en apothéose le rr octobre 1949 sur la terrasse T'ien An Men; c'était cette révolution pass1onnée et raisonnable qui avait non seu- lement délivré de l'exploitation paysans et ouvriers, mais libéré de l' étran~er toute la Chine. Les temps héroïaues étaient révolus. Le nroblème était à présent d'industrialiser un pays où, sur six cents millions d'habitants, plus de cinq cents cultivent la terre et soixante- quinze vivent de l'artisanat. Saisir sur le vif les commencements d'une nareille trans· formation me semblait une ~ande chance. Elle s'onérait, je le savais. dans un contexte économiaue et soc1al très sin~­ lier. La Chine dénend en grande part~e de J'U.R.S.S., sans aui il lui serait impossible de se créer une industrie lourde; elle se distina:ue cenendant nrofondément des autres démocraties ponnlaires. Bien aue diritzée nar le parti communiste, sa révolut;on n'est faite au'à moitié. Le canitalisme, la nrooriété privée, le profit, l'héritage demeurent. Tis sont apnelés à di'!· paraître par étapes, sana violence. Je me doutais que la Chine ne ressemblait pas aux pays install~s définitivement dans le canitalisme. Je supposais au'eUe différait aussi de ceux où déjà le socialisme a triomnhé. Quelle était son exacte figure ? Je la savais pauvre : mais avais .. ie en raison d'emoorter un stock de savon, de nâte dentifrice, d'P.ncre. de naoier à lettres, comme si je nartais nour la terre Adélie ? F.lle nossédait des avions : combien ? Pouvais-ie esnérer aller faire un tour au Thihet? Ce dont m'ava;ent assurée les reportaŒes aue i'avais lus, les gens que i'avais interroa:és, c'est qu'auiourd'hui en Chine la vie était d'un excentionnel aŒrément: des vovaŒeurs aui jugeaient Moscou austère m'avaient vanté les beautés de Pékin, les charmes de Canton; Français, Tchèmies. ArŒen- tins, tous souniraient avec nostalŒie : « Ah ! la Chine ! ~ Un pays où on apprend à lire aux a:ens en même temps au'on leur asBure leur !Ubaistanee, où généraux et homme• d'Etat PRÉLIMINAIRES 9 sont des lettrés et des poètes, autorise hien des rêves. J'avais vu à Paris l'Opéra de Pékin : j'imaginais des traditions pres- tigieuses s'alliant aux inventions d'un présent effervescent. Le slogan « Pays tout neuf et infiniment vieux » engendrait d'autres séduisantes synthèses; je pressentais une Chine ordon- née et fantasque, où la pauvreté avait les douceurs de l'ahon· dance, et qui jouissait, malgré la dureté de ses tâches, d'une liberté inconnue des antres pays de l'Est. Le ronge est en Chine la couleur du bonheur : je le voyais rose. La terre où j'allais aborder m'apparaissait aussi ;rréelle que le Shangri La des Horizons perdus, que l'Icarie de Cabet : tons les contraires s'y conciliaient. · Six semaines plus tard, je traversai le désert de Gobi en sens inverse. Le soleil le dorait; à l'entour, des montagnes neigeuses ét;ncelaient. La Chine aussi avait cban$(é. Aucune couleur symbolique ne lui convenait plus, ni noir, ni gris, ni rose : elle était devenue une réalité. La fausse richesse des imae:es traduit leur radicale pauvreté : la vraie Chine avait infiniment débordé les conceots et les mots avec lesquels j'essayai de la prévoir. Elle n'était plus une Idée; elle s'était incarnée. C'est cette incarnation que je vais raconter. Quand on voya~e en avion, les apparitions sont abruptes. Soudain, les bromes se sont dissipées, la terre s'est colorée : an-dessous de moi, c'est la Ch-1ne; elle s'étend à perte de vue, plate, déconnée en minces lanières mauves, vert sombre, mar- ron clair; de loin en loin, solitaire comme une île, se dresse un villae:e de pisé dont les maisons forment un bloc unique, rectangulaire, ajouré de courettes. Le sol bariolé contraste avec les vastes surfaces monochromes des kolkhozes sibériens; visiblement, ces chamos ne sont pas collewvisés, chaane ruban est une prooriété privée. Je ne comorends oas tout de suite pourquoi le oaysae:e me semble si désolé : c'est qu'il n'y pousse pas un arbre; sur les villao:es, pas une ombre; à vol d'oiseau, cette plaine fertile paraît nue comme un désert. Quelan'un dit : « La ~ande muraille. » Je la distingue à peine. L'avion descend, il tourne autour d'un lac; j'aperçois, obliquement couch& contre le ciel, une haute pagod~ et puis un kiosque au toit doré : édifices qui symbolisent si conven- tionnèllement la Chine que je me sens déconcertée. On m'in· dique Pékin au loin, mais je ne vois pu de ville, seulement 10 LA LONGUE MARCHE des arbres gris. L'appareil se pose; le Sud-Africain s'élance vers la porte, je le suis; l'hôtesse ·de l'air nous arrête : un fonctionnaire monte examiner nos papiers. Première sur- prise : ce n'est pas l'Icarie, c'est un vrai pays, sur certains points semblable à tous les autres. Deuxième surprise : c'est un pays différent de tous les autres; le concept : communisme, est si universel et si abstrait qu'il m'avait masqué les plus élémentaires données géographiques; en descendant de l'avion, je regarde les hommes aux visages jaunes, aux cheveux noirs, vêtus de légères cotonnades, qui s'activent sur l'aérodrome, et je me rends compte que je suis en Asie. Pendant que des délégués, habillés du strict complet au petit col fermé qu'adop- tèrent en 1911 les partisans du Kuomintang, nous assurent que « le peuple chinois nous attend avec impatience », je respire l'aigre odeur végétale qui monte de la terre; la moi- teur de l'air, le rouge violent des parterres de :fleurs m'étour- dissent; je ne m'attendais pas à retrouver ici cette chaude impression d'exotisme que j'ai connue au Guatemala, en Afrique, et qui était restée liée pour moi à l'esclavage, à l'oppression. Assis à l'extrémité d'une longue table, dans un hall que décorent les · portraits de Lénine, Staline, Boulganine, Khrouchtchev, nous uploads/Geographie/ beauvoir-simone-de-la-longue-marche-essai-sur-la-chine-gallimard-1962-pdf.pdf

  • 28
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager