Cahiers du monde russe et soviétique Les Vénitiens en mer Noire, XVIe-XVIIe siè

Cahiers du monde russe et soviétique Les Vénitiens en mer Noire, XVIe-XVIIe siècles [Nouveaux documents] Nouveaux documents Mihnea Berindei Citer ce document / Cite this document : Berindei Mihnea. Les Vénitiens en mer Noire, XVIe-XVIIe siècles [Nouveaux documents]. In: Cahiers du monde russe et soviétique, vol. 30, n°3-4, Juillet-Décembre 1989. Hommage à Alexandre Bennigsen. pp. 207-223; doi : https://doi.org/10.3406/cmr.1989.2186 https://www.persee.fr/doc/cmr_0008-0160_1989_num_30_3_2186 Fichier pdf généré le 11/05/2018 Résumé Mihnea Berindei, Les Vénitiens en mer Noire, XVIe-XVIIe siècles. Nouveaux documents. Nous savions, grâce à des travaux récents, que la présence des marchands vénitiens en mer Noire s'est poursuivie au-delà de la conquête de Constantinople et de la quasi-totalité du littoral pontique par les Ottomans. Simple survivance du passé vouée à la disparition à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle, comme le pensent les historiens qui se sont penchés sur ce problème, ou au contraire persistance - après adaptation aux nouvelles conditions - de courants commerciaux établis de longue date? La découverte dans les archives de Venise de plusieurs copies de documents ottomans permet de trancher: les marchands vénitiens continuent de fréquenter les ports de la mer Noire non seulement au XVIe mais également au XVIIe siècle et, de surcroît, leur présence est suffisamment importante pour qu'ils obtiennent au besoin d'être représentés et défendus par des consuls (ainsi à Kefe en Crimée en 1593 et en 1635 ou à Kili aux bouches du Danube en 1640). Abstract Mihnea Berindei, The Venetians in the Black Sea over the sixteenth and seventeenth centuries. New documents. Thanks to recent research work we know that Venetian merchants were still present in the Black Sea after the conquest of Constantinople and of almost all the Pontie coast by the Ottomans. Was it a mere survival of the past, fated to die out in the late sixteenth or early seventeenth centuries - as experts arc inclined to believe - or was it on the contrary to be ascribed to the persistency of long-standing trade movements ? The discovery of several copies of Ottoman documents in the Venetian archives enables us to settle the question: not only were the Venetian merchants still present in the harbours of the Black Sea in the sixteenth (and also in the seventeenth) centuries, but their importance was such that they could be represented and defended by consuls when the need arose (such was the case in Kefe in 1593 and 1635, or in Kili in 1640). MIHNEA BERINDEI LES VÉNITIENS EN MER NOIRE XVIc-XVIIe SIÈCLES Nouveaux documents Nous savons aujourd'hui, grâce à des travaux somme toute récents, que la présence des marchands occidentaux en mer Noire - génois et vénitiens en particulier - n'a pas pris fin, suite à la conquête de Constantinople en 1453 et à la mainmise ottomane, dans les décennies suivantes, sur la quasi-totalité du littoral pontiquc1. Rappelons d'abord brièvement quelle était la situation des marchands italiens à la veille de l'emprise ottomane sur la mer Noire. A partir de la seconde moitié du XIVe siècle, les colonies italiennes - notamment celles de Crimée - se trouvaient à l'écart des grands circuits commerciaux qui avaient fait leur fortune. Bien avant la conquête ottomane, Caffa et La Tana étaient devenues avant tout des marchés locaux de la mer Noire ou de la mer d'Azov. Sans que leurs liaisons avec les métropoles fussent entièrement coupées, les marchands italiens s'étaient reconvertis dans le commerce des produits locaux - poisson, céréales, cuirs, cire, beurre, sel, vin - et dans la redistribution de ces marchandises entre les ports pontiques (Trébizonde, Samsun et Sinope sur la côte anatolienne, Moncastro et Chilia à l'embouchure du Dniestr et du Danube, et surtout Constantinople). Même les galées de la muda vénitienne de la mer Noire (convoi de galées organisé par l'État) participèrent dès la fin du XIVe siècle à ce irafic. Les Italiens de la région pontique se voyaient d'ailleurs de plus en plus concurrencés, voire supplantés par les marchands locaux : grecs, juifs, moldaves et bientôt ottomans2. Il faut également avoir à l'esprit que l'intégration économique de la mer Noire à l'Empire ottoman précède de fait la conquête. Dès la fin du XVe siècle, l'Empire ottoman est le principal débouché des produits locaux et il contrôle déjà les circuits qui relient, à travers l'espace pontique, l'Orient et la Méditerranée à l'Europe centrale et orientale et à la Baltique. Contrôle sans doute militaire - notamment après la construction en 1452 de la puissante forteresse de Bogaz Kcsen (Riimcli hisjm) qui verrouille le Bosphore - mais tout d'abord économique : les marchands ottomans - musulmans, ou grecs, arméniens, juifs de l'empire - dominent les marchés des étapes pontiques des grandes routes du commerce international avant que ces places ne soient occupées par les armées de Mchmcd II et de Bâyezid II. Les Cahiers du Monde russe et soviétique, XXX (3-4).juil.-déc. 1989, pp. 207-224. 208 MIHNEA BERINDEI étapes principales de la mainmise ottomane sur la mer Noire sont marquées par la conquête d'Amastris en 1460, de Sinope et de Trébizonde (Trabzon) en 1461, de Caffa (Kefe), du sud-ouest de la Crimée, de Vosporo (Kerč) et de La Tana (Azaq) en 1475, de Qopa et d'Anapa en 1479, de Chilia (Kili) et de Moncastro-Cetatea Albà (Aqkerman) en 1484. L'occupation de Tighina (Bender) et d'Ôzii et la transformation de la région comprise entre le Bas-Danube et le Bas-Dniepr en sangaq ottoman complètent cette série d'acquisitions qui transforme la mer Noire en un lac ottoman. Les marchands italiens s'adaptent à la nouvelle situation politique. Ils continuent à être présents dans le trafic local même si leur part est moindre que par le passé. Un fragment d'un registre de douane de Kefe de la dernière décade du mois de juin 1487 enregistre ainsi les noms de Todoros et d'Anton « efreng » qui apportent du caviar d'Azaq (l'ancienne La Tana). De cette dernière place arrive aussi Lorenga (Lorenzo) « efreng » avec un chargement de poitrine de poisson (doš-i màhi) et de l'esturgeon (morina). En analysant les registres de douane de Kefe de 1486 à 1490, Halil Inalcik a dénombré cinq patrons de bateaux et onze marchands italiens (dont les trois que nous avons mentionnés plus haut), la plupart impliqués dans le commerce régional des produits locaux. L'un d'entre eux, le patron de bateau Zorzi (Giorgio, selon la prononciation vénitienne) est un habitué des transports entre Kefe et Istanbul. Mais, en même temps, ces marchands gardent des liaisons avec les métropoles d'où ils apportent - comme par le passé - des draps et des étoffes, le brocart par exemple - et où ils font parvenir des produits des régions pontiques3. Après la conquête de Constantinople, les Génois, les Anconitains, les Florentins, se sont empressés de s'assurer l'accès à la mer Noire et de supplanter, temporairement, les Vénitiens pendant la guerre qui oppose ces derniers aux Ottomans de 1463 à 1479. Pourtant, après la conclusion de la paix, les Vénitiens peuvent de nouveau franchir les Détroits (capitulation de 1480). Le règlement de la douane d'Istanbul et de Galata de l'année suivante (1481) place d'ailleurs les navires de Venise en premier, avant ceux de Gênes et des autres « Francs »4. Un acte similaire de 1482, le règlement de la douane de Samsun et de Sinope, mentionne également les bateaux de Venise (pour les autres Occidentaux on utilise ici un terme générique, assez inusité : bateaux de Rum, mais le montant des droits de douane montre clairement qu'il s'agit en fait des Occidentaux)5. Sur l'autre rive de la mer Noire, à Kili, les marchands de Chio - possession génoise - chargent en 1500 de l'esturgeon salé, du cuir, de la laine, du fromage, qu'ils transportent en Crète, possession vénitienne6. Les capitulations qui sont renouvelées en faveur de Venise, en 1513 et en 1517, comportent encore une clause spécifiant la liberté de commerce en mer Noire (mentions de Kefe et de Trabzon). Dans la version de 1540 cette clause disparaît mais cela ne signifie nullement que les Détroits seront dorénavant fermés. Tout simplement il n'a plus paru nécessaire d'indiquer une direction devenue par trop habituelle. La Porte le rappelle à ses agents quand les abus de ces derniers à rencontre des marchands vénitiens lui sont signalés par les bai les. Ainsi en 1530, au qàdidc Galipoli : « Les marchands de la Sérénissime et ceux des lieux qui lui sont soumis peuvent circuler dans l'empire, par terre comme par mer (notamment à Istanbul, Galata, Trébizonde, Caffa... »7. De même en 1549 (donc neuf ans après les capitulations de 1540) il est ordonné au qàài d'Istanbul de faire respecter l'ancienne coutume et le traité en vigueur au sujet des « négociants vénitiens qui vont faire le commerce en mer Noire du caviar, du poisson et d'autres denrées. . . »8. LES VÉNITIENS EN MER NOIRE 209 Par ailleurs, le règlement (qànùnnàme) de Kefe en 1542 contient une clause qui indique clairement que les marchands italiens peuvent acheter des céréales en Crimée : les « bateaux mécréants » du « pays de la guerre » peuvent charger à uploads/Geographie/ berindei-les-venitiens-en-mer-noire.pdf

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