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HAL Id: halshs-00927318 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00927318 Submitted on 12 Jan 2014 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Voyages aux îles désenchantées. Regards sur les Mascareignes (XVIIè-début XIXè siècle) Serge Briffaud To cite this version: Serge Briffaud. Voyages aux îles désenchantées. Regards sur les Mascareignes (XVIIè-début XIXè siècle). Influences et échanges culturels dans l’Océan Indien. Les jardins. Organisation de l’espace et construction du paysage, Nov 1994, Saint-Gilles (Réunion), France. pp.1-9, 1998. <halshs-00927318> 1 Paru dans Influences et échanges culturels dans l'Océan Indien. Les jardins. Organisation de l'espace et construction du paysage. Actes du colloque de Saint- Gilles, novembre 1994. Saint-Denis de La Réunion : Editions CNH, p. 1-9. VOYAGE AUX ÎLES DÉSENCHANTÉES Regards sur les Mascareignes (XVII°- début XIX° siècle) Serge Briffaud ADESS – UMR 5185 du CNRS, Université de Bordeaux Montaigne CEPAGE (Centre de recherche sur l'histoire et la culture du paysage) – ENSAP Bordeaux Les îles Mascareignes (Réunion, Maurice, Rodrigues) représentent, du point de vue d'une histoire des regards sur le paysage, un cas de figure bien spécifique : celui de territoires vides avant leur colonisation et qui présentent donc aux voyageurs successifs le spectacle de l'humanisation progressive d'une nature vierge. Étudier les transformations du regard porté sur les paysages insulaires revient donc d'abord, ici, à interroger la réaction des observateurs face aux répercussions du peuplement colonial. On connaît l'importance théorique et idéologique donnée par le siècle des Lumières, au cœur de la période étudiée ici, au processus de socialisation de la nature originelle. Les Mascareignes ont à cet égard toutes les apparences d'un laboratoire, où l'on peut se proposer d'observer comment cette problématique se trouve retranscrite par les observateurs dans une attitude face au paysage. LE JARDIN ENCHANTÉ A propos de la première fois où, en 1801, il aperçut depuis le large l'Ile de France et les îlots qui l'entourent, le naturaliste Bory de Saint-Vincent écrit : « La terre nous paraissait comme un nuage ardoisé dont quelques déchirures se dessinent sur l'horizon à la fin d'un jour sombre »1. L'île, c'est d'abord ce profil évanescent, cette tache qui ponctue l'infini océanique. Elle appartient d'abord à ce qui l'entoure, c'est-à-dire aux vastes étendues qui la noient. L'île, et surtout la petite île, ne devient 1. Bory de SAINT-VINCENT, Voyage dans les quatre principales îles des mers d'Afrique…, Paris : F. Buisson, 1804, t. I, p. 151. 2. Le mémoire de Thoreau, l'un des premiers colons de l'île, qui raconte cette exploration est publié 2 pas tout de suite un territoire. On ne retient d'abord d'elle qu'une façade, dont les voyageurs dessinent les contours, depuis le pont des navires. On en retient aussi le rivage et sa découpe, patiemment cartographiée. Pour explorer l'île, on en fait, au mieux, le tour. C'est ainsi que procèderont les premiers colons de Bourbon, au milieu du XVII° siècle, comme pour entériner leur prise de possession des lieux 2. C'est ainsi encore que Bernardin de Saint-Pierre, en 1769, explorera l'Ile de France pour compléter son récit de voyage. Cette pratique est héritée d'une vision de marin, auscultant les possibilités de mouillage et recherchant à proximité des lieux de débarquement les "rafraîchissements" pour l'équipage. Longtemps, donc, l'île n'a pas de cœur. Elle hésite à devenir une terre ferme. Elle n'est qu'un monument dont on apprécie la façade. Le centre de l'île demeure un lieu voué aux projections de l'imaginaire. Sur la première carte de Bourbon, qui restera longtemps une référence pour les voyageurs, Etienne de Flacourt dessine au milieu du XVII° siècle trois montagnes séparées par un étang qui semble représenter le centre idéal de la circonférence insulaire. L'ignorance permet ici la construction d'une image qui dote le territoire d'une perfection quasi-géométrique. Cette vision de l'île pèsera d'ailleurs d'un poids important sur les formes de son occupation, puisque les concessions de terres attribuées aux colons partaient du rivage pour arriver "au sommet des montagnes", sans plus de précision. Il faudra attendre la seconde moitié du XVIII° siècle pour qu'apparaissent, avec les conflits sur les limites de propriétés, les défauts de ce système qui reposait sur une conception de la montagne faisant d'elle une barrière, et non un territoire susceptible d'être lui-même occupé 3. Il existe une relation étroite entre cette représentation cartographique, dans laquelle les montagnes apparaissent comme le noyau impénétrable d'un fruit, et l'image que l'on se fait des Mascareignes entre l'apparition des premiers récits de voyageurs au début du XVII° siècle et le milieu du XVIII° siècle. Cette période est celle de l'émerveillement — émerveillement qui trouve place dans le rapprochement que l'on opère entre la réalité découverte et des images parfaitement intégrées à la culture des voyageurs occidentaux. C'est en effet avec une belle unanimité que ces derniers reconnaissent dans ces îles toutes les apparences du paradis terrestre. Que la référence soit suggérée ou clairement explicitée, comme c'est souvent le cas, on trouve dans les récits tout ce qui peut légitimer une telle assimilation. 2. Le mémoire de Thoreau, l'un des premiers colons de l'île, qui raconte cette exploration est publié dans E. de FLACOURT, Histoire de la grande île de Madagascar, Troyes et Paris, 1658. 3. Ce problème est notamment évoqué par P.P.U. THOMAS dans son Essai de statistique de l'Ile Bourbon (Paris : Bachelier, 1828). L'auteur remarque que la Compagnie des Indes a découpé les concessions «sur une base déterminée au bord de la mer, entre deux lignes gagnant le sommet des montagnes. On supposait alors l'île ayant pour centre un piton élevé auquel se rapportaient angulairement toutes les concessions. Cette supposition, dont quelques courses dans l'intérieur ont du faire bientôt connaître le peu de fondement, a servi souvent d'appui aux prétentions les plus extravagantes...». 3 Au premier rang vient l'abondance en ressources alimentaires, d'abord considérées comme des "rafraîchissements" pour les équipages, puis de plus en plus, à partir du début du XVIII° siècle, sous l'angle du support qu'elle offre à l'installation de colons permanents. Les premiers navigateurs qui débarquent aux Mascareignes sont d'abord sensibles au produit exceptionnel de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Les tortues et les grosses anguilles que l'on pêche avec la plus grande facilité dans les rivières sont alors les reines de la faune locale. Les auteurs de descriptions ne se lassent pas de dresser de longues listes d'animaux ou de végétaux comestibles ou curieux. Le style du récit est alors énumératif. Les objets, en s'accumulant les uns à la suite des autres dans le texte, présentent le tableau d'une profusion baroque. Le territoire insulaire est le produit d'une somme. Il n'est pas un paysage que l'on décrit, mais un magasin prodigieux dont on fait l'inventaire. Il arrive toutefois que le paysage émerge à la surface du pays ; l'image du jardin sert alors d'intermédiaire. C'est notamment le cas chez François Leguat, voyageur quelque peu exceptionnel, puisqu'il vint en 1691 aux Mascareignes pour y installer une colonie de protestants français, qui avaient fui leur pays après la révocation de l'Édit de Nantes. Originellement prévue à Bourbon, l'installation se fera finalement sur l'île alors déserte de Rodrigues. Leguat décrit cette île comme un paradis terrestre providentiellement disposé à servir d'asile aux fidèles persécutés. L'image du jardin revient dans son texte à plusieurs reprises. Elle est associée aux «cascades, bassins, et nappes d'eaux qui orneraient les jardins d'un prince » 4, mais aussi au décor végétal, aux arbres, aux étendues boisées, dépourvues de broussailles, et qui « en garantissant des ardeurs du soleil, forment en même temps une perspective qui est merveilleusement embellie par la vaste étendue de mer qu'on entrevoit quelquefois au travers [des] troncs élevés et unis » 5. Leguat évoque ainsi l'une de ses promenades naturelles, qu'il dit avoir l'habitude de fréquenter : « Nous en avions une entre autres sur le bord de la mer, à la gauche de notre ruisseau, qui était parfaitement belle. C'est une avenue naturelle, droite comme si elle avait été plantée au cordeau, à une distance parallèle de la mer, et longue d'environ mille deux cents pas communs, ce qui est justement la longueur du Mail de Londres, dans le beau parc Saint-James. » 6 4. François LEGUAT, Voyage et avantures de François Leguat et de ses compagnons en deux îles désertes des Indes orientales..., Amsterdam et Londres, 1707. Nos références renvoient à la réédition de cet ouvrage : François LEGUAT, Aventures aux Mascareignes, Paris : La Découverte, 1984 ; citation p. 79. Pour une présentation de cette expédition et une analyse détaillée de l'ouvrage, voir l'introduction de cette édition par Jean-Michel Racault. 5. Ibid., p. 84. 6. Ibid., p. 110-111. 4 Le jardin, dans son rapport avec le paradis terrestre, n'est pas uploads/Geographie/ briffaud-s-voyage-aux-iles-desenchantees-hal.pdf

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