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http://congress70.library.uu.nl/ 591 Les Villes invisibles d’Italo Calvino: entre Utopie et Dystopie Els Jongeneel (Rijksuniversiteit Groningen) Io credo nell’avvenire delle città acquatiche, in un mondo popolato da innumerevoli Venezie. (Italo Calvino, 1974) Une utopie à contrainte Vers la fin des années soixante, l’œuvre d’Italo Calvino dont les origines remontent à l’immédiat après-guerre, prend une tournure nettement plus formelle. Si dans ses ouvrages antérieurs Calvino avait surtout combiné le fantastique et l’engagement politique et social, dans les textes des années ’70, Les villes invisibles (1972), Le château des destins croisés (1973) et Si par une nuit d’hiver un voyageur (1979), il se met à expérimenter avec la forme littéraire. Ce formalisme s’explique par l’influence du poststructuralisme français dont Calvino s’inspire à l’époque. De 1967 jusqu’en 1980 il séjourne régulièrement à Paris, où il s’associe avec ‘L’Ouvroir de Littérature Potentielle’. L’Oulipo consiste en un groupe d’auteurs d’origine française pour la plupart, qui ont des affinités avec le poststructuralisme par l’intérêt qu’ils manifestent pour le pouvoir heuristique de la forme textuelle. Les oulipiens essayent d’exploiter au maximum les possibilités narratives et expressives du langage à partir de ‘contraintes’, des LES VILLES INVISIBLES D’ITALO CALVINO: ENTRE UTOPIE ET DYSTOPIE 592 règles de construction textuelle empruntées à des domaines divers, tels la versification, les mathématiques et le jeu d’échecs.TPF1 FPT Calvino est admis comme ‘membre étranger’ de l’Oulipo. En 1967, il traduit en italien un roman du chef du groupe, Raymond Queneau.TPF2 FPT En outre il collabore aux recueils collectifs du groupe, la Bibliothèque Oulipienne.TPF3 FPT Cependant, en dépit de tout formalisme Calvino n’abandonne pas pour autant sa position critique vis-à-vis de l’actualité historique. Au contraire, il reste attaché avec toutes les fibres de son être et de son art à la terra incognita de la vie humaine. Ainsi, à l’époque des expériences oulipiennes, il rédige une anthologie des écrits de Fourier pour les éditions Einaudi.TPF4 FPT Ces travaux l’amènent à se pencher sur le genre de l’utopie. L’utopie le fascine, étant donné qu’elle réunit la critique sociale et le merveilleux, une combinaison de thèmes qu’il n’avait cessé d’exploiter lui-même jusque-là dans ses ouvrages (Petersen). TP1 PT Cependant la place importante que les oulipiens ont réservée au récit à l’intérieur de leurs ouvrages les distancie des poststructuralistes officiels (tels les auteurs liés à la revue Tel Quel), qui, eux, ont abjuré tout lien avec l’aventure romanesque. TP2 PT I fiori blu (Les fleurs bleues), Einaudi, Torino 1967. En 1981Calvino écrit une introduction pour la traduction italienne des essais de Queneau, Segni, cifre e lettere, e altri saggi, publiés également chez Einaudi. TP3 PT Voir ses lipogrammes (dans Bibliothèque Oulipienne IV, 1977), Piccolo sillabario illustrato inspiré de Perec (dans Bibliothèque Oulipienne VI, 1978) et un conte resté inachevé, ‘L’ordre dans le crime’, où Calvino a eu recours à l’ordinateur pour sélectionner des réalisations textuelles compatibles avec des contraintes (voir Oulipo. Atlas de littérature potentielle (319-331)). TP4 PT Charles Fourier, Teoria dei Quattro Movimenti – Il Nuovo Mondo Amoroso e altri scritti sul lavoro, l’educazione, l’architettura nella società d’Armonia, Einaudi, Torino 1971. L’introduction de la main de Calvino s’intitule “L’ordinatore dei desideri”. ELS JONGENEEL (RIJKSUNIVERSITEIT GRONINGEN) 593 On pourrait donc dire que dans Les villes invisibles qu’il publie tout de suite après l’anthologie fouriériste, Calvino poursuit son interrogation critique de la société. Pour ce faire, il a opté cette fois-ci pour une adaptation moderne du récit de voyage de Marco Polo. On rencontre souvent des réélaborations de textes ou de thèmes littéraires connus chez Calvino. Tel Borges, un de ses auteurs préférés dont il se réclame souvent, Calvino aime à s’inscrire dans la Bibliothèque en tant que glossateur et continuateur. S’y ajoute qu’il connaissait assez bien les aléas de Marco Polo, vu que, en 1960, il avait entrepris des recherches sur le célèbre voyageur vénitien pour un scénario de film qui finalement resta inédit (Falcetto). Dans Les villes invisibles, il a transformé le voyageur beau parleur de La description du monde en utopiste engagé et lucide et son employeur, l’empereur des Tartares,TPF5 FPT en cosmopolite désillusionné et anxieux. Les deux interlocuteurs s’interrogent à tour de rôle sur le monde moderne en construisant et déconstruisant des villes fabuleuses à force de paroles, de gestes et d’objets. De même que dans l’œuvre antérieure de Calvino, où elle constitue un thème récurrent,TPF6 FPT la ville figure ici comme symbole de la société humaine. C’est ce symbole complexe de la ville utopique dans Les villes invisibles, le texte que Calvino à son propre dire préférait à ses autres ouvrages (Leçons américaines 118), que je me propose d’interroger. TP5 PT Commentaire de Calvino: “Dans la réalité historique, c’était un descendant de Gengis Khan, empereur des Mongols; mais dans son livre, Marco Polo l’appelle Grand Khan des Tartares et c’est ainsi qu’il est entré dans la tradition littéraire”, ‘Préface par Italo Calvino’, dans Les Villes invisibles, (IV) (il s’agit d’une conférence donnée à la Columbia University de New York en 1983). TP6 PT Pour un aperçu, on consultera La visione dell’invisibile (10-21). LES VILLES INVISIBLES D’ITALO CALVINO: ENTRE UTOPIE ET DYSTOPIE 594 Furor mathematicus Les Villes invisibles reposent sur une structure rigoureuse qui répond à une règle de jeu inventée par l’auteur lui-même (“Préface par Italo Calvino” III). Les villes décrites sont au nombre de cinquante-cinq, réparties sur neuf chapitres ou sections. Les sections sont séparées par des textes cadres en italique comprenant les dialogues entre Marco Polo et Kublai Khan. Les villes ont été réparties en onze rubriques: ‘Les villes et la mémoire’, ‘Les villes et le désir’, ‘Les villes et les signes’, ‘Les villes effilées’, ‘Les villes et les échanges’, ‘Les villes et le regard’, ‘Les villes et le nom’, ‘Les villes et les morts’, ‘Les villes et le ciel’, ‘Les villes continues’, ‘Les villes cachées’. Chaque rubrique comprend cinq villes. Chaque section introduit une nouvelle rubrique et en termine une autre, sauf la dernière section. La règle du jeu est la suivante: après avoir introduit la première rubrique, ‘Les villes et la mémoire’ (A), l’auteur change de rubrique à chaque fois que le numéro de la position x à l’intérieur de la rubrique courante réduit de 1, équivaut à 1 ou à plus d’1 que le numéro de position de la rubrique successive, donc A1 A2 (x-1) B1 A3 (x-1) B2 (x-1) C1 A4 etc. (Kuon 27). Ainsi chaque ville est reliée aux autres villes par un lien paradigmatique, à l’intérieur de la section où elle se trouve et par un lien syntagmatique, à l’intérieur de la rubrique en question qui, elle, enjambe les sections. La structure fermée s’inspire de la méthode mathématique de l’exhaustion actuellement appliquée dans le calcul intégral (Milanini 134). Elle permet à l’auteur de multiplier les points de vue sans devoir se soucier de la causalité narrative. Par conséquent elle offre au lecteur la possibilité de plus d’un trajet de lecture (le parcours selon les rubriques par exemple). Cependant le texte stimule en même temps la lecture linéaire grâce à un développement thématique que ponctuent les textes cadres (Milanini 133): dans les sections I et II Marco Polo et le Kan se demandent si le discours humain est capable de ELS JONGENEEL (RIJKSUNIVERSITEIT GRONINGEN) 595 remédier à la déchéance du monde, mais ils constatent bien vite que cela est impossible; dans les sections III -VII ils cherchent fiévreusement d’autres moyens pour connaître le monde, tandis que dans VIII et IX, après avoir testé plus d’un système descriptif du réel, Marco opte pour l’approche directe du présent. En dépit de ce pragmatisme du hic et nunc, le texte fait preuve d’un pessimisme croissant: dans I-IV dominent les thèmes du désir et de la mémoire, tandis que dans V-IX règnent la dégénération et la mort. Sans aucun doute Calvino s’est inspiré ici des expériences formelles de l’Oulipo, néanmoins la règle du jeu à la base des Villes invisibles n’est pas une contrainte proprement dite.TPF7 FPT La structure à contrainte, elle, règle la causalité de l’histoire, comme dans Si par une nuit d’hiver un voyageur par exemple, tandis que le réseau structural soutenant les Villes invisibles n’influe guère sur le cours que prennent les fantasmagories de Marco et du Khan.TPF8 FPT Au contraire, la macrostructure régulière du texte contraste avec la microstructure fragmentaire et ouverte des esquisses urbaines. En outre, la structure ingénieuse du texte ne correspond pas à un développement thématique parallèle. Ainsi certaines rubriques ne sont pas entièrement distinctives, étant donné que les mêmes TP7 PT Témoin aussi l’Atlas de littérature potentielle (415), qui classe Les villes invisibles parmi les œuvres non oulipiennes de Calvino. TP8 PT Les remarques de Carol P. James, in “Seriality and narrativity in Calvino’s Le città invisibili”, sont particulièrement révélatrices à cet égard. Voir surtout p. 147: “The arrangement of Calvino’s cities is not one that builds up a story or anything at all except its own system” et p. 148/-49: “The cities refuse to give themselves over to a thematic pattern that would support, replicate, or mirror the numerical pattern. Seen from this perspective, the cities fragment themselves thematically because of the uploads/Geographie/ calvino-utopie.pdf
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- Publié le Dec 06, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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