COURS GEOGRAPHIE DES MEDIAS ET DE LA COMMUNICATION AU CAMEROUN Pr MBAHA Joseph
COURS GEOGRAPHIE DES MEDIAS ET DE LA COMMUNICATION AU CAMEROUN Pr MBAHA Joseph Pascal UNIVERSITE DE DOUALA Les soubresauts relatifs à la transition démocratique en pointillé au début des années 1990, ont entrainé une profonde modification du paysage médiatique, à la faveur des textes desserrant l’étau juridique sur la communication sociale. Cette nouvelle dynamique d’ouverture a permis la diversification de l’offre communicationnelle monopolisée par les médias d’Etat tant en presse, en radio qu’en télévision. Cette démonopolisation a enrichi la media-sphère camerounaise1 au point de compter aujourd’hui plus de 100 journaux paraissant au gré des saisons parmi lesquels une dizaine qui se consacrent prioritairement au développement de l’information régionale (Ouest Echos, Ouest Littoral, L’œil du Sahel, Septentrion Infos, La Tribune de l’Est, Essingan, les Dépeches du Sud, the Herald, the Guardian post…). Les sources officielles du Ministère de la Communication dénombrent, selon leurs statistiques, plus de 1000 journaux ayant obtenu un récépissé de publication depuis 1990, près de 80 radios émettant par voie hertzienne et une Trentaine de télévisions diffusées à partir du Cameroun. La principale conséquence de cette libéralisation de la communication est une déconcentration et une pluri vocalité informationnelle en fonction des acteurs, de leurs intérêts, des rivalités qui se structurent et de leurs perspectives de construction d’un territoire à partir d’une identité plus ou moins vécue sur le plan politique et anthropologique. En nous inspirant de l’approche de Noyer et Raoul ( 2011) concernant la production médiatique en vue de la construction des imaginaires socio spatiaux du territoire, plus ou moins liés à des héritages symboliques, nous souhaitons montrer qu’au regard de l’hétérogénéité de cette construction géopolitique locale de la territorialité par le discours médiatique concernant les crises sociales et politiques au Cameroun (« question anglophone », la lutte contre Boko Haram, le drame d’Eseka, « l’affaire Koumatéké», la disparition des membres du Clergé, le nouveau code pénal etc .), les médias traditionnels (presse, radio, Tv) et les réseaux sociaux (facebook, whatsapp, Instagram) constituent d’actifs contributeurs des tissages territoriaux inédits et des construction identitaires au Cameroun. L’exploration de la relation Medias/Identité/Territoire permet d’appréhender les reconfigurations spatiales qu’ils impulsent à travers le discours médiatique, et de comprendre comment se constitue le territoire indiqué, quelle signification fédératrice lui accordent les acteurs qui s’investissent à sa construction. Cette contribution a pour objectif de montrer comment les problèmes publics d’intérêt national sont pris en charge par des acteurs médiatiques locaux pour faire émerger la conscience d’un imaginaire territorial homogène plus ou moins ancrée dans la réalité (septentrion, Ouest-littoral, l’Est, Grassfields, sawaland etc.). PROBLEMATISER LE RAPPORT MEDIAS/TERRITOIRES (Avant cas pratiques) Un regard rapide sur la littérature scientifique des cinquante dernières années suffit pour confirmer que l’étude du rapport médias/territoires (ou espace) n’a guère suscité d’intérêt chez les chercheurs. Les géographes eux-mêmes ont été peu attirés par les autres facteurs de développement et donc par la communication immatérielle. Quant aux spécialistes des 1 médias, force est de constater que leur formation disciplinaire dominante (sociologie, économie, droit, linguistique, esthétique...) les a tenu éloignés des analyses spatiales. Si l’on peut en effet considérer qu’il existe un sillon de recherche, creusé au cours de ces dernières décennies, au sujet du rapport entre les médias et les territoires, c’est notamment du côté de la presse – locale en particulier – qu’il a été tracé, puis, plus récemment, à partir de la mise en place de radios et de télévisions régionales et locales. Que la presse ait joué un rôle de production d’une identité nationale, où la construction de la nation passait par la mise en place et l’affirmation de principes d’unité territoriale à l’échelle du pays – comme P. Rétat (1989) a pu le montrer à propos de la presse révolutionnaire – mais aussi par le fait de favoriser la constitution des débats, selon le principe de publicité, en contribuant à la formation des opinions en régime républicain est sans doute un premier paramètre du « rôle territorial » que les journaux ont assuré. J.-F. Tétu rappelait, récemment, que « les médias ont eu, au XIXe siècle, un rôle important en fournissant à la population un ‘imaginaire national’, fondé sur la découverte des particularités et des richesses des différentes régions » (Boyomo-Assala et Tétu, 2010, 43). La notion même d’imaginaire témoigne, en quelque sorte, du caractère de nécessaire dépassement de représentations localisées pour atteindre des représentations plus globales, indispensables au fonctionnement politique d’un État. C’est notamment sur le registre d’une identité partagée – conçue comme dépassement de particularismes locaux – que les « grands journaux » des XIXe et XXe siècles ont pu jouer, à partir de notions comme celles de bien commun ou d’intérêt général, pour contribuer à sceller un lien imaginaire de tous par-delà les disparités de chacun. Certes, cette question de l’imaginaire fait débat mais, à la suite de M. Mouillaud et J.-F. Tétu, il nous semble possible d’avancer que « dans les sociétés où la dispersion des territoires ainsi que l’hétérogénéité des statuts, des professions et des cultures fait qu’il ne peut y avoir, entre les expériences, de continuité organique, les médias sont l’écran où une communauté se ressaisit dans le partage des événements » (1989, 23). Ce qui se joue à l’échelle nationale peut aussi se rejouer à des échelles territoriales plus restreintes, comme la presse régionale/locale le montre, de multiples façons. L’origine politique de la presse locale et les liens étroits qu’elle entretient, pendant longtemps, avec les partis politiques a tendance à évoluer vers un fonctionnement où le journal régional/local est le « support du lien social » (Dulong et Quéré, 1978, 25) : d’un lien social qui se formule régulièrement sur le registre du vivre ensemble – présent dans les discours-sources des institutionnels cités dans les pages du journal mais, également, fréquemment pris en charge par l’énonciation journalistique elle-même et les choix iconographiques (Le Bohec, 1994) dont elle s’accompagne. La presse quotidienne régionale se fait souvent l’expression d’un point de vue ancré territorialement, argumenté à l’aune des enjeux et des intérêts régionaux ou locaux, où l’information – sa sélection autant que son traitement – est souvent l’objet d’un pré-cadrage dans lequel la mesure de l’intérêt in situ est dominant. Cette information est en quelque sorte constamment référée à une place, située à la confluence d’enjeux multiples pour le territoire local, mais où l’intérêt collectif territorial doit être préservé, par-delà les éventuelles dissensions. Il s’agit là d’une forme de « fabrique du consensus » (de la Haye, 1984, 77) où, à l’écart de tout ce qui pourrait être clivant pour la société locale, le journal régional se veut être le journal de tous et non celui d’un(e) (prise de) parti contre un(e) autre. Construisant quotidiennement une communauté de préoccupation(s), il oriente vers la confirmation du collectif, de ce qui fait lien pour les membres d’une même collectivité territoriale, qu’il s’agisse d’une commune ou de collectivités plus larges comme la. Ce lien correspond à ce que Renaud Dulong et Louis Quéré (1978, 23) appellent la « production de repères quotidiens ». Repères qui fonctionnent pour les membres de la communauté territoriale visée mais qui semblent beaucoup moins effectifs pour un lecteur externe. On pourrait sans doute, en transposant une proposition d’E. Veron (1985), parler de « contrat de lecture locale » au sens où cette presse vise un « destinataire générique » que le discours (les thématiques développées en référence à des contextes donnés ; les types d’acteurs mobilisés, relativement à ces situations ; les modes d’énonciation adoptés pour en rendre compte...) et l’organisation rubriquale contribuent à élaborer, excluant symétriquement un lecteur ne disposant pas des mêmes clés d’identification et de compréhension de ces enjeux. C’est par le fait de se reconnaître comme un de ces destinataires potentiels de l’information locale – fruit du travail discursif et organisationnel du journal – que le lecteur de cette presse peut – parmi d’autres déclencheurs du même sentiment – se sentir membre d’une collectivité sur un territoire. A.-J. Tudesq (1988, 42) souligne l’ambiguïté de la notion d’information locale en attirant l’attention sur le fait que « les sources locales d’information privilégient l’information institutionnalisée, celle des leaders d’opinion et des municipalités qui possèdent l’information comme pouvoir, non sans tendance à la rétention ». Cette information, centrée sur un certain nombre de micro-événements récurrents, caractérise une information sur le local fonctionnant comme consolidation d’une forme d’identité locale que l’information pour le local vient renforcer, dans le sens où cette information est un outil de pilotage de l’action pour des décideurs locaux susceptibles de mesurer, par cet intermédiaire, un climat d’opinion locale, plus ou moins favorable aux projets qu’ils développent. LA NECESSAIRE PRISE EN COMPTE DE LA « MATIERE SPATIALE » Les travaux pionniers évoqués ci-dessus peuvent s’entendre comme s’étant intéressés aux « liens qui unissent médias et territoires » (Pailliart, 1993, 149). Mais notre idée est, à travers ou par-delà ces liens, de considérer autre chose que la seule contribution des médias « pour forger une communauté d’idées, de valeurs, de pensées » et par laquelle, par exemple, « ils prennent une place de choix dans la constitution uploads/Geographie/ cours-medias-et-territoire-problematiser-le-rapport-medias-repare.pdf
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- Publié le Mar 10, 2021
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