La Carte et le Territoire MICHEL HOUELLEBECQ La Carte et le Territoire • PRÉSEN

La Carte et le Territoire MICHEL HOUELLEBECQ La Carte et le Territoire • PRÉSENTATION NOTES RÉPERTOIRE DOSSIER par Agathe Novak-Lechevalier GF Flammarion Du même auteur H.P. Lovecraft. Contre le monde, contre la vie, Le Rocher, 1991 ; J’ai lu, 1999. Rester vivant – méthode, La Différence, 1991. La Poursuite du bonheur, La Différence, 1991. Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, 1994 ; J’ai lu, 1997. Le Sens du combat, Flammarion, 1996. Rester vivant suivi de La Poursuite du bonheur (édition revue par l’auteur), Flammarion, 1997. Interventions, Flammarion, 1998. Les Particules élémentaires, Flammarion, 1998 ; J’ai lu, 2000. Renaissance, Flammarion, 1999. Lanzarote, Flammarion, 2000. Plateforme, Flammarion, 2001 ; J’ai lu, 2002. La Possibilité d’une île, Fayard, 2005 ; J’ai lu, 2013. Préface à Auguste Comte, Théorie générale de la religion, Mille et Une nuits, 2005. Ennemis publics (avec Bernard-Henri Lévy), Flammarion/Gras- set, 2008 ; J’ai lu, 2011. Interventions 2, Flammarion, 2009. Poésie (Rester vivant, Le Sens du combat, La Poursuite du bon- heur, Renaissance), J’ai lu, 2010. Configuration du dernier rivage, Flammarion, 2013. Non réconcilié – anthologie personnelle 1991-2013, Gallimard, 2014. Soumission, Flammarion, 2015. © Michel Houellebecq et Flammarion, 2010. © Flammarion, 2016, pour l’appareil critique de cette édition. ISBN : 978-2-0813-6545-2 P r é s e n t a t i o n Point de fuite 8 novembre 2010 : le prix Goncourt est attribué à Michel Houellebecq pour La Carte et le Territoire. Après deux échecs successifs et très discutés (pour Les Particules élémentaires en 1998, pour La Possibilité d’une île en 2005), après avoir déclenché de multiples et intenses polémiques (à la parution de Plateforme en 2001, notamment), le roman- cier français le plus connu à l’étranger accède cette fois au prix le plus prestigieux de son propre pays. Mais alors même que la critique s’avère très majoritairement élogieuse et que l’adhésion du public est immédiate, la controverse renaît : Houellebecq aurait-il livré un roman adouci, assagi, asep- tisé, dans le seul but d’amadouer les jurés et d’emporter la manne du Goncourt ? L’« ennemi public » se serait-il rangé, ou plutôt machiavéliquement renié lui-même en visant le consensus ? Les amateurs de scandale ont, il est vrai, de quoi être désappointés : ni bordel, ni sexe cru, ni discours antireligieux, ni provocation idéologique dans un roman dont on loue parfois le réalisme balzacien pour mieux déplorer qu’il ne soit pas suffisamment houellebecquien. Reproches paradoxaux, car l’auteur est bien là, ostentatoi- rement là, même, au cœur de La Carte et le Territoire – comme personnage ; parce que ce roman, qui s’interroge sur la représentation que nous pouvons nous faire du monde, met précisément le réalisme en question ; et parce que cette œuvre est tout sauf inoffensive. L a C a r t e e t l e T e r r i t o i r e 6 « Rendre compte du monde… […] simplement rendre compte du monde » (p. 406) : voilà, lorsqu’on l’interroge sur le but et le sens de son œuvre artistique, ce que répond Jed Martin, le personnage principal de La Carte et le Terri- toire. Michel Houellebecq, qui renoue ici avec la tradition du roman d’artiste, en réactive aussi l’enjeu central : le personnage de l’artiste (le plus souvent un peintre) offre au romancier un support pour théoriser une pratique esthétique 1. L’ensemble du texte travaille ainsi les échos entre le peintre et l’écrivain, et la convergence de leurs objectifs s’avère rapidement évidente. Car Michel Houelle- becq a lui aussi affirmé vouloir « parler du monde/ Simple- ment, parler du monde 2 » ; et comme l’œuvre de Jed qui cherche à « décrire, par la peinture, les différents rouages […] d’une société » (p. 226), celle du romancier se situe « entièrement dans le social 3 ». Les principes qui découlent de cette commune exigence semblent identiques pour le peintre et pour l’écrivain : simplicité, exhaustivité, ambition d’atteindre à la généralité. L’adverbe « simple- ment » qui qualifie le projet de Jed Martin comme celui de Houellebecq n’a pas ici le sens d’une restriction (il ne s’agi- rait pas d’autre chose que de parler du monde) – il définit le style qui doit caractériser la description. Or, Michel Houellebecq l’a dit à maintes reprises (il reprend la phrase 1. « Beaucoup d’écrivains, si vous y regardez de près, ont écrit sur des peintres ; et cela depuis des siècles. C’est curieux » rappelle opportu- nément à Jed Martin le personnage Houellebecq (p. 159). En acceptant de rédiger la préface du catalogue du peintre, il s’inscrit en effet dans la lignée des écrivains critiques d’art, inaugurée par Diderot au XVIIIe siècle ; en racontant la vie de Jed Martin, Houellebecq auteur perpétue, lui, la tradition du roman d’artiste, qui naît au XIXe siècle avec Le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac (1831). 2. « Nous devons développer une attitude de non-résistance au monde », Poésie, J’ai lu, 2014 [2010], p. 110. 3. L’expression est utilisée par Jed pour qualifier sa propre œuvre (p. 168), mais elle pourrait tout aussi bien s’appliquer à celle de Houel- lebecq, dont le père de Jed pense que la principale qualité est d’avoir « une vision assez juste de la société » (p. 53). P r é s e n t a t i o n 7 à Schopenhauer) : « la première – et pratiquement la seule condition d’un bon style, c’est d’avoir quelque chose à dire 1 ». D’où la nécessité d’être, comme Jed dans ses titres et dans sa peinture, « simple et direct » (p. 204) ; d’où aussi l’impasse du formalisme, explicitement rejeté par le peintre comme par le romancier (p. 163). Le principe d’exhausti- vité, quant à lui, est formulé explicitement dans chacun des projets artistiques de Jed. Photographie-t-il des objets ? Il cherche à constituer « un catalogue exhaustif des objets de fabrication humaine à l’âge industriel » (p. 68). Choisit-il de représenter divers métiers ? Il ambi- tionne de « donner une vision exhaustive du secteur pro- ductif de la société de son temps » (p. 142) 2. De son côté, dès Les Particules élémentaires, Michel Houellebecq s’est donné pour but de fournir « un examen un tant soit peu exhaustif de l’humanité 3 ». Enfin, si le personnage de l’écrivain s’intéresse aux tableaux de Jed dans La Carte et le Territoire, s’il accepte de rédiger la préface du catalogue de l’exposition de l’artiste, c’est, dit-il, parce que ces tableaux « ont quelque chose… de général […], qui va au- delà de l’anecdote » (p. 191) – le romancier, quant à lui, n’a jamais caché son peu d’intérêt pour les psychologies individuelles, ni son ambition de chercher derrière chaque personnage une forme spécifique d’exemplarité, de peindre non des individus mais l’« homme occidental » contempo- rain (p. 174), de conférer à ses romans une portée philo- sophique. « Rendre compte du monde », ce n’est donc en aucun cas se contenter de le copier, ni même chercher à l’expliciter : en le représentant, il s’agit de le révéler 4. 1. « Lettre à Lakis Proguidis », Interventions 2, Flammarion, 2009, p. 153. 2. Cette ambition d’exhaustivité rapproche, dans le roman, Jed des maîtres de la peinture classique dont le narrateur affirme qu’ils « étaient encore davantage estimés en tant que peintres lorsque leur vision du monde paraissait exhaustive, semblait pouvoir s’appliquer à tous les objets et toutes les situations existants ou imaginables » (p. 65). 3. Les Particules élémentaires, J’ai lu, 2007 [1998], p. 91. 4. Ce critère central départage, dès l’ouverture du roman, les « soi- disant grands photographes », qui « ne rév[èlent] rien du tout », du véri- table artiste (p. 42). L a C a r t e e t l e T e r r i t o i r e 8 Le titre du roman semble dès lors doté d’une valeur pro- grammatique : quels rapports entre le territoire et la carte ? entre le réel et sa représentation ? Est-il possible de « simple- ment, parler du monde » – et comment ? À peine ces ques- tions posées cependant, les enjeux s’enchevêtrent. Car la référence au fameux aphorisme du philosophe Alfred Kor- zybski, « une carte n’est pas le territoire (les mots ne sont pas les choses qu’ils représentent) 1 », nous renvoie immédiate- ment aussi à l’utilisation littéraire qu’en a faite A.E. Van Vogt, dans un roman de science-fiction célèbre, et dont Michel Houellebecq est familier, Le Monde des ā 2. Le lecteur verra par ailleurs ce titre développé et reformulé lors de la première exposition que réalise Jed Martin et qui, elle, s’intitule « LA CARTE EST PLUS INTÉRESSANTE QUE LE TERRI- TOIRE ». Principe premier : faire davantage confiance à Michel Houellebecq pour brouiller les cartes que pour nous en tendre une qui prétende nous orienter. FAIRE FEU « [Jed] se demanda fugitivement ce qui l’avait conduit à se lancer dans une représentation artistique du monde, ou même à penser qu’une représentation artistique du monde était uploads/Geographie/ dossier-hou-pdf.pdf

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