Entretien avec Edouard-Marie Gallez sur les origines de l’Islam jeudi 23 novemb
Entretien avec Edouard-Marie Gallez sur les origines de l’Islam jeudi 23 novembre 2006. La question des origines de l’islam est une question tabou. Aussi curieux que cela puisse paraître, les chercheurs occidentaux, même marxistes ou athées, s’en sont tenus souvent à la légende musulmane d’un Mahomet, qui, partant de Jérusalem, est monté au ciel pour aller chercher le Coran avant de revenir en Arabie sur la jument ailée, qui lui avait déjà servi de moyen de transport à l’aller. Edouard-Marie Gallez vient de soutenir une longue thèse (1000 pages) où il fait le point de tout ce que la recherche vraiment scientifique sait des origines de l’Islam mais aussi sur les textes de la mer Morte (Le Messie et son prophète. Aux origines de l’Islam, 2 tomes, éditions de Paris, 2005, tome 1 : De Qumrân à Muhammad, 524 pages/tome 2 : du Muhammad des Califes au Muhammad de l’histoire, 582 pages). Il propose, après plusieurs grands chercheurs, d’explorer de manière systématique la piste de l’origine judéo-chrétienne de l’Islam. De recoupements en découvertes, on peut dire que son travail s’impose à la considération de toute la communauté scientifique. Plusieurs chercheurs évoquent les origines judéo-chrétiennes de l’islam... La qualification de « judéo-chrétienne » pour cette « secte » est abusive : il faudrait parler d’une « secte ex-judéo-chrétienne », car c’est dans un contexte de rupture que se situe son rapport avec le judéo-christianisme originel. J’ai tenté de décrire le mieux possible cette secte, qui, depuis des siècles, axait sa vision du monde et du salut sur le retour du Messie ; les textes trouvés dans les grottes de la mer Morte contribuent fortement à cette compréhension. Il s’agissait d’un retour matériel, d’un avènement politique du Messie, non d’une Venue dans la gloire comme la foi chrétienne l’enseigne... Nous allons revenir tout à l’heure sur cette secte apocalyptique, à laquelle votre travail confère, patiemment, sa véritable physionomie, pour mieux éclairer l’origine de l’Islam. Mais quel est le but de celui que nous appelons Mahomet, déformation de l’arabe Muhammad en passant par le turc ? Est-il vraiment conscient de fonder une religion ? Pour cela, il aurait fallu qu’une religion nouvelle ait été fondée ! La question de l’Hégire permet d’entrevoir immédiatement ce qui s’est passé. L’Hégire ou Émigration à l’oasis de Yathrib situé en plein désert est un événement très significatif de la vie du Mahomet historique. On sait que, très rapidement, cette année-là - 622 semble-t-il - a été tenue pour l’an 1 du calendrier du groupe formé autour de Mahomet (ou plutôt du groupe dont il était lui-même un membre). Or, la fondation d’un nouveau calendrier absolu ne s’explique jamais que par la conscience de commencer une Ère Nouvelle, et cela dans le cadre d’une vision de l’Histoire. Quelle ère nouvelle ? D’après les explications musulmanes actuelles, cette année 1 se fonderait sur une défaite et une fuite de Mahomet, parti se réfugier loin de La Mecque. Mais comment une fuite peut-elle être sacralisée jusqu’à devenir la base de tout un édifice chronologique et religieux ? Cela n’a pas de sens. Si Mahomet est bien arrivé à Yathrib - qui sera renommé plus tard Médine - en 622, ce ne fut pas seulement avec une partie de la tribu des Qoréchites, mais avec ceux pour qui le repli au désert rappelait justement un glorieux passé et surtout la figure de la promesse divine. Alors, le puzzle des données apparemment incohérentes prend forme, ainsi que Michaël Cook et d’autres l’on entrevu. Le désert est le lieu où Dieu forme le peuple qui doit aller libérer la terre, au sens de ce verset : « Ô mon peuple, entrez dans la terre que Dieu vous a destinée » (Coran V, 21). Nous sommes ici dans la vision de l’histoire dont le modèle de base est constitué par le récit biblique de l’Exode, lorsque le petit reste d’Israël préparé par Dieu au désert est appelé à conquérir la terre, c’est-à-dire la Palestine selon la vision biblique. Telle est la vision qu’avaient ceux qui accompagnaient et en fait qui dirigeaient Mahomet et les autres Arabes vers Yathrib en 622. Et voilà pourquoi une année 1 y est décrétée : le salut est en marche. Dans l’oasis de Yathrib d’ailleurs, la plupart des sédentaires sont des « juifs » aux dires mêmes des traditions islamiques. Et pourtant les traditions rabbiniques ne les ont jamais reconnus comme des leurs : ces « juifs » et ceux qui y conduisirent leurs amis arabes sont en réalité ces “judéochrétiens” hérétiques, qui vous évoquiez à l’instant. Ils appartenaient à la secte de « nazaréens » dont on a déjà parlé à propos de la sourate 5, verset 82. Je ne saisis pas encore l’ampleur de cette question d’un judéo-christianisme sectaire ou hérétique à l’origine de l’islam. Les traditions musulmanes ne présentent pas du tout La Mecque comme une ville ayant abrité une communauté juive. Effectivement. Ils n’en venaient justement pas, pour plusieurs raisons péremptoires dont la plus immédiate est qu’ils venaient d’ailleurs : de Syrie. Car c’est là qu’avant l’Hégire, s’était jouée “la première partie de la carrière de Mahomet”, comme l’écrit si joliment Patricia Crone, qui démontre également et surtout beaucoup d’autres choses concernant La Mecque. Mais pour nous en tenir à la Syrie, c’est bien là qu’ont commencé l’endoctrinement et l’enrôlement des premiers Arabes, au cours de la génération qui a précédé Mahomet, c’est-à-dire au temps de son enfance. On pourrait encore aller voir les lieux où Mahomet a vécu, ils sont connus des géographes modernes et même de certains anciens, comme par exemple le lieu-dit “caravansérail des Qoréchites”, c’est-à-dire rien de moins que la base arrière de sa tribu, adonnée au commerce caravanier - Mahomet lui-même participa à ces caravanes, dans sa jeunesse, ainsi que les traditions nous l’indiquent sans qu’il existe la moindre raison d’en douter. Et sur une carte toponymique (voir à la page 278 du volume deux de mon ouvrage), vous pouvez repérer d’autres noms de lieux très significatifs également puisqu’on les retrouve à La Mecque : ce même nom, La Mecque justement, se trouve en Syrie ; de même Kaaba, ou encore Abou Qoubays - qui est le nom de la montagne renommée jouxtant La Mecque en Arabie -... Est-ce que vous voulez dire qu’il y a eu plus tard un transfert vers La Mecque de ces appellations syriennes, dont le but aurait été d’occulter ce passé syrien et « juif » de la tribu de Mahomet, les Qoréchites ? Oui, c’est bien ce qui est advenu plus tard ; Antoine Moussali avait déjà observé ce phénomène à propos du Coran, en parlant des manipulations subies par son texte et destinées elles aussi à effacer le passé. Nous y reviendrons, mais restons-en à l’Hégire de 622 et à l’année 1 de l’entrée dans une ère qui, en toute logique, doit être nouvelle pour toute l’Humanité. Ce que la Bible appelle la « terre » et invite à conquérir, c’est seulement la Palestine. Quel rapport y a-t-il alors avec un programme de conquête qui viserait le monde entier ? Ce rapport tient précisément à l’idéologie des « nazaréens ». Ces derniers ne sont pas des « juifs » de l’Ancien Testament (qui auraient alors sept siècles de retard), mais d’ex-judéo-chrétiens bien de leur temps. Dans leur vision de l’Histoire, la reconquête de la Terre d’Israël est liée à la venue de l’Ère Nouvelle. Elle est une étape. Une étape indispensable au Salut. Régis Blachère a bien compris que cette « terre que Dieu vous a destinée » (S. V, 21) désigne la Palestine, et il en est ainsi 18 autres fois du mot « terre » dans le Coran. Et tel fut bien le but poursuivi par l’expédition des guerriers de Mahomet dès l’année 629, un fait connu des historiens mais habituellement passé sous silence dans les articles pour le grand public, alors qu’il s’agit de la seule donnée de la vie de Mahomet qui soit à la fois totalement sûre et bien datée. En cette année-là, à la tête de ses troupes, Mahomet est battu par les Byzantins (qui s’appelaient encore Romains) à l’est du Jourdain, à Mouta. C’est évidemment là qu’on l’attendait, puisque selon l’image biblique de la libération de la Terre, il faut nécessairement passer le Jourdain. C’est après sa mort c’est-à-dire seulement neuf ans plus tard que ‘Oumar entrera finalement dans Jérusalem, alors que le pays était déjà sous contrôle depuis quatre années - seule Jérusalem résistait encore. Pour tous ces gens, la prise de la Palestine et de la Ville apparaît alors comme le gage de la conquête du monde. Sophrone, le Patriarche de Jérusalem, l’avait bien compris puisqu’il écrivit en 634 déjà dans un sermon sur le baptême que les Arabes « se vantent de dominer le monde entier, en imitant leur chef continûment et sans retenue ». C’est une telle perspective, beaucoup plus large que celle de la seule Terre d’Israël, qui est exprimée dans la Sourate VII : « la terre appartient à Dieu, uploads/Geographie/ entretien-avec-edouard-marie-gallez-sur-les-origines.pdf
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- Publié le Apv 15, 2021
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