115 Frédérique Seyral Agrégée d’arts plastiques, doctorante en sciences de l’ar
115 Frédérique Seyral Agrégée d’arts plastiques, doctorante en sciences de l’art Université Michel de Montaigne, Bordeaux III Abstract : The acceleration of transport networks and information development processing offers a world in which hypermobility has become an essential principle. However, the speed, quickness and the efficiency of these of transport prevent neither traffic jams nor any other paralyzing slowing downs. The assumed aim of such a free and endless movement of people as well as goods is closely connected with a loss of landmarks in a more and more segmented notion of space-time. Contemporary art wonders about the ways of exploring the world as a whole, and the human body. Through different walking figures, body-space-time is dissected with slowness and necessity so as to invite to other mental travels. Key words : contemporary art, walking, flow, abeyance, intensity. Depuis la révolution industrielle, le développement accéléré des villes tend à organiser un réseau de circulation ininterrompu et régulé, sans zones de pression ou de dépression, bref un réseau discipliné où la cartographie urbaine de type haussmannien, avec son tracé rigide, rectiligne et géométrique agence l’espace de la façon la plus claire possible jusque dans les jardins et parcs. A la lisière des mondes (naturels, industriels, intérieurs...), l’acte participatif de la marche tend à repousser les limites, que ce soient les limites du propre corps Synergies Pays Riverains de la Baltique n°4 - 2007 pp. 115-128 Résumé : L’accélération des processus de développement des réseaux de transport et d’information propose désormais un monde où l’hypermobilité est un principe essentiel. Pourtant, la vitesse, la rapidité, l’efficacité des moyens de déplacement n’empêchent pas les engorgements et autres rétentions paralysantes. L’objectif assumé, d’une circulation sans contrainte et infinie des hommes et des marchandises, est corrélatif à une perte des repères et du sens dans un espace-temps de plus en plus segmentarisé. L’art contemporain s’interroge sur les modes exploratoires du corps du monde et du corps de l’homme. A travers les figures de la marche le rapport corps- espace-temps est disséqué, avec lenteur et nécessité, afin d’inviter à des voyages autres. Mots-clés : art contemporain, marche, flux, suspens, intensité. Figures de la marche dans l’art contemporain : De l’hypermobilité au suspens 116 de l’homme ou celles de l’horizon qui toujours se dérobe. L’homme qui marche, titre d’une célèbre sculpture de Giacometti, cherche fondamentalement à atteindre les choses du monde en allant à leur rencontre, à en saisir la durée et l’élan vital. Paul Ardenne rappelle que “la modernité s’accompagne d’une obsession ambulatoire. Dans le corpus iconographique moderne, les figures de la marche abondent, expression moins de l’errance ou du nomadisme que d’un geste volontariste du corps conquérant. (...) Entreprises “marchées” du territoire où l’artiste en personne se meut à son tour, et que développe comme aucune autre, entre “dérives” urbaines des situationnistes et déambulations de type Land Art dans les campagnes les plus diverses, la période 1950-1990 (Marches de Guy Debord, Stanley Brown, Richard Long, Hamish Fulton, Joseph Beuys...). La marche, au juste est une preuve d’activation du corps, refus de la polarité, sortie de la place conquise, désir d’accession à l’ailleurs. Le marcheur fait un pari: le monde n’est pas clos mais pénétrable” (Ardennes, 2001 : 310). Face à l’hypermobilité d’un monde qui rejette toute stase et autre forme d’arrêt, l’immobilisme ne semble pas être la réponse appropriée, c’est pourquoi penseurs, philosophes et artistes questionnent une mobilité autre. Il ne s’agit plus d’une prospection à faire dans la dimension euclidienne surface-profondeur, mais dans celle des flux. Capter les forces et les flux, c’est expérimenter, c’est appréhender le présent en train de se faire, l’évolution et la mutation des choses. Le flux tend à devenir une nouvelle forme de pensée qui interroge la matière-image-mouvement, proposant une vision de l’éphémère irrémédiablement liée à un infini virtuel. Il s’agit pour de telles œuvres de mettre en place une radiographie de la circulation, mais d’une circulation différente de celle que nous vivons au quotidien, une microcirculation, bien plus lente ou bien plus rapide, mais toujours bien plus infime et qu’il faut nécessairement apprendre à voir. Il suffit de regarder autour de nous pour constater la géométrisation des réseaux urbains de circulation. Pour Paul Virilio, “la géométrie est la base nécessaire à une expansion calculée du pouvoir de l’état dans l’espace et le temps; l’état possède donc inversement en soi une figure suffisante, idéale pourvu qu’elle soit idéalement géométrique”. La ville contemporaine est un lieu panoptique dans son architectonique même. Les routes sont goudronnées, éclairées, policées. Dans les quartiers récents, le caractère chaotique du sentier ou de la ruelle a depuis longtemps disparu, pour laisser place à une disposition étudiée pour la fluidité de la régulation vasculaire de la cité. “Le problème du socius, notent Gilles Deleuze et Félix Guattari, a toujours été celui-ci: coder les flux du désir, les inscrire, les enregistrer, faire qu’aucun flux ne coule qui ne soit tamponné, canalisé, réglé” (Deleuze et Guattari, 2005 : 40). Si l’espace est à définir comme un élément fondateur de la réalité matérielle et de l’existence humaine, il est à la fois le produit de la société qui le crée et un élément qui fabrique le social en organisant la vie humaine, en étant le support de leurs déplacements, de leurs habitats, de leurs réalisations. Il est aussi doublement le produit du présent et du passé, de la mémoire individuelle et collective. En s’insérant dans l’espace, en y laissant son empreinte, l’homme s’ancre dans une relation au monde qui se traduit par la fabrication de “lieux”, d’“espaces existentiels” (selon la formule de Merleau-Ponty). La géométrisation de l’espace se retrouve dans tous les domaines de l’existence humaine, mise à Synergies Pays Riverains de la Baltique n°4 - 2007 pp. 115-128 Frédérique Seyral 117 part l’existence nomade peut-être: “on est segmentarisé de partout et dans toutes les directions, [constatent ensemble Deleuze et Guattari]. L’homme est un animal segmentaire. La segmentarité appartient à toutes les strates qui nous composent. Habiter, travailler, circuler, jouer: le vécu est segmentarisé spatialement et socialement. La maison est segmentarisée suivant la destination de ses pièces, suivant l’ordre de la ville, l’usine suivant la nature des travaux et des opérations” (Deleuze et Guattari, 2001 : 254). Le corps géométrique de la ville ne fonctionne que dans le flux, tel un organisme qui tend vers le mouvement constant et fluide. Il fuit l’immobilisme et l’engorgement, rejette la douleur dans les hôpitaux et les cellules, remplace ce qui ne fonctionne pas et pourrait entraver sa circulation, jette ce qui est définitivement cassé. “La ville rejette les figures de l’immobilité avec une insouciance monstrueuse qui la rend fascinante, [constate Alain Gauthier]. Elle puise son énergie dans cette facilité à dénier l’état stable des choses pour ne s’intéresser qu’à leur fluidité, leur légèreté, leur caractère vaporeux. Elle met en contact, en réseau, en mobilité. Elle néglige avec une certaine hypocrisie son assise foncière pour se consacrer au principe de circulation qui s’étend à tout, aux opinions, aux désirs, aux intérêts. Elle offre un panel d’intensités en évolution incessante qui lui permet de ne jamais se bloquer sur des états de pensée ou de sensibilité définitifs. Elle fait de chaque habitant un visiteur qui se rend à son bureau, au spectacle, à la clinique, dans un autre quartier. Toujours, il se déplace errant sur les circuits du travail, de la culture, des relations. Mais, en dépit de la séduction de tous ses fastes et atours, la ville n’est-elle pas hantée par l’immobilité, le piège catastrophique qu’elle veut s’éviter à tout prix, contre lequel elle n’a aucun recours? Un potentiel de souffrance à la dimension de la cité?” (Gauthier 2005 : 44-45). L’organisation et la distribution de l’espace urbain ont pour fonction première la circulation. Régulation informatisée du trafic, fléchage, sens unique, file d’attente, télésurveillance et radars sont quelques uns des moyens de canalisation des flux. Conformer, limiter, agencer, ordonner, tels semblent bien être les principes existentiels de la ville. Pourtant cela ne l’empêche pas d’être hantée par sa propre fluxion, ses bouchons récurrents, ses attentes et lenteurs qui minent l’hypermobilité du citoyen actif et efficace. Et la ville de se prendre à rêver de translations pures où corps et informations se déplaceraient à l’infini et sans contraintes... Ainsi le citadin moderne traverse-t-il une multitude d’espace et de lieux. Mais l’espace reste plus flou et insaisissable que le lieu, aussi notre société contemporaine aime-t-elle créer des “espaces”, mais finalement crée peu de “lieux”. On peut se demander, avec Georges Balandier, si la prolifération lexicale du mot espace, employé sous toutes les formes imaginables, n’est pas révélatrice de “la fonction instrumentale de l’espace, au détriment de ce qui le constitue en tant que lieu. Elle montre aussi ce qui le lie aux organisations, ce qui régit son agencement en conformité avec ces dernières, avec l’expansion bureaucratique et réglementaire. Elle désigne, peut-être davantage, une forme de société et de culture où le mouvement prévaut; alors, les lieux importent moins que l’espace où s’effectuent la circulation, les parcours, Figures de la marche dans l’art contemporain : De l’hypermobilité uploads/Geographie/ figures-de-la-marche-dans-l-x27-art-contemporain-de-l-x27-hypermobilite-au-suspens.pdf
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- Publié le Jul 06, 2022
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